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« Tirailleurs » : Interview d’Omar Sy et du réalisateur Mathieu Vadepied

« Tirailleurs » : Interview d’Omar Sy et du réalisateur Mathieu Vadepied

Mathieu Vadepied / Omar Sy Tirailleurs Style : Cinéma Date de l’événement : 04/01/2023

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Pour ce début 2023, l'Actu Ciné de LillelaNuit jette un regard vers le passé avec Tirailleurs. Le film de Matthieu Vadepied s'intéresse à une page de notre Histoire, tragique et méconnue : l’enrôlement des Africains de la France coloniale, durant la guerre 14-18. Produit et interprété par Omar Sy, Tirailleurs éclaire le destin tragique de 200.000 jeunes hommes sacrifiés. Rencontre avec Matthieu Vadepied et Omar Sy !

C'est étonnant de voir aujourd'hui une société telle que comme la Gaumont produire Tirailleurs. Cette grosse société de production finance un film qui montre des choses très importantes et oubliées de notre histoire. Omar Sy, on a l'impression que vous vous êtes beaucoup impliqué puisque vous n'êtes pas que comédien dans ce film.

Omar Sy : Oui, je suis aussi producteur sur ce film. J'ai un lien particulier avec la Gaumont, déjà Intouchables a été fait avec la Gaumont. Elle m'a ensuite suivi sur Chocolat, qui n'était pas un film évident. Lupin c'est aussi avec eux. Sur Tirailleurs, on est allé les voir très naturellement, et ils y sont allés. Après, quand je regarde ce que fait la Gaumont, effectivement, il y a beaucoup de contenu prime time, pour faire de l'audience. Mais je pense qu’ils sont assez courageux dans l'ensemble parce que récemment il y a un autre film qu’ils ont produit, Tout simplement noir, qui n’était pas un film simple, et la Gaumont va sur des films comme ça. Plus que d'autres, ils ont cette sensibilité d'aller voir un peu ailleurs. Alors évidemment, c'est une maison amie, mais je n’en fais pas forcément la promo parce que quand ils déconnent, je suis le premier à leur dire. Mais je trouve qu'ils sont plutôt courageux.

Omar Sy et Mathieu Vadepied sur le tournage.

On parle de la Gaumont pour évoquer, de façon générale, les grosses majors, qui ne produiraient peut-être pas forcément ce type de films.

Mathieu Vadepied : Surtout un film en langue peul.

Omar Sy : Oui, alors là il a fallu les convaincre un petit peu, mais ils y sont allés quand même.

Mathieu Vadepied : Je me suis même demandé à un moment « Mais qu’est-ce qui leur prend ? ».

Omar Sy : C’est parce qu'ils nous font confiance ! Ils marchent à la confiance. Il y a quand même chez eux le risque un peu familial, le risque de l'instinct aussi. « Je te connais, je te fais confiance, on y va », et c'est pour ça d'ailleurs que je n’ai pas de relation autre avec la Gaumont, je n’ai pas de contrat avec la Gaumont. C'est vraiment un contrat de confiance et moral. Je me suis dit que ça pouvait les intéresser parce qu'on se connaît. Quand ils disent oui, ils disent vraiment oui, ils accompagnent vraiment.

Mathieu Vadepied : Puis ils accompagnent en laissant une forme de liberté dans le projet, il n’y a rien qui est imposé. C'est ça qui est vraiment très fort. Ce sont quand même les gens qui ont produit Maurice Pialat. Historiquement, ils ont produit des gens très importants.

Omar Sy : La Gaumont, c'est quand même une maison particulière. Ils existent depuis très longtemps, ils ont produit énormément de choses et je trouve qu’avoir cette ancienneté et garder quand même ce truc un peu instinctif, c'est assez beau.

Et du coup, comment naît le projet ?

Mathieu Vadepied : C’est venu de cette idée : « est-ce que le soldat inconnu pourrait être issu du corps d’un tirailleur sénégalais ? ». Et donc c'est venu comme ça un jour, mais je n'arrive pas à retrouver la circonstance exacte. Ce que je sais, c'est que c'était entre mes 18 ans et mes 35-40 ans.

Omar Sy : Chez moi, c'est né comme ça. Mathieu était chef opérateur sur Intouchables. Un jour, à la cantine, on est en train de discuter, on parle un peu « Et toi, tu fais quoi ? T'as envie de faire quoi ensuite ? »… Mathieu me parlait justement de son envie d'être réalisateur et de cette idée qu'il avait. Il me pose le truc de cet article qu'il a lu sur le dernier tirailleur de la Première Guerre qui venait de mourir la veille du jour où il devait recevoir sa médaille. Donc il me parle de tout ça, et puis il me dit « Et si le soldat inconnu était un tirailleur sénégalais ? ». Et là, il m'a accroché pour dix ans. Du coup on a fait des allers-retours pendant dix ans pour réfléchir à ce film etc… jusqu’à être là aujourd’hui avec ce film qui existe enfin.

Par rapport à votre histoire personnelle et votre travail de comédien, qu'avez-vous l'impression que le rôle de Bakary Diallo vous a permis d'explorer que vous n'aviez pas travaillé auparavant ?

Omar Sy : Le fait de jouer en peul, ma langue maternelle, fait qu’il y a quelque chose de l'intime. Je vais chercher en moi ce que je n’ai jamais pu exprimer auparavant avec le français. En français, je suis un  personnage hyper extraverti et très bavard. Dans le peul, il y a autre chose : il y a tout ce qui est dans mon éducation, une discrétion... En français, je ne le suis pas du tout. Mais il y a quand même de ça chez moi parce que ça fait partie de ce qu’il y a à la maison, des valeurs qu'on nous a inculquées plus jeunes, il y a un code peul. En parlant peul, ces choses-là ressortent d'elles-mêmes. Et le minimalisme, le truc un peu intérieur avec le peul, je pense que j'y accède beaucoup plus facilement. Je suis très pudique et donc ce peul m'a permis, je crois, de le montrer. Je pense qu'il y a une partie de moi que je montre là que je n’aurais pas pu faire en français.

Mathieu Vadepied : Bakary n’est pas un personnage volubile et expansif. C'est quelqu'un qui est intérieur, qui est plus silencieux, qui observe et qui n'a pas les codes, qui ne comprend pas tout, qui voit son fils en train de s'éloigner… Et je trouvais que c'était vraiment beau de travailler ce rôle-là avec Omar, parce qu'effectivement je pense que ça venait chercher ce code peul que j'ai eu l'occasion d'explorer durant toutes ces années de travail. C'est une connexion dans le travail qui est entrée en vibration d'une certaine manière.

Je suis très pudique et donc ce peul m'a permis, je crois, de le montrer. Je pense qu'il y a une partie de moi que je montre là que je n’aurais pas pu faire en français.

Omar Sy

Le film vous donne la possibilité de rendre visibles les tirailleurs et par la même occasion des acteurs noirs. Est-ce l'un des buts du film ? 

Omar Sy : Faire découvrir des acteurs noirs, j'avoue que ce n’est pas la première chose à laquelle on pense quand on est sur un projet comme ça. Il y a tellement de choses en plus sur un sujet comme celui-là, sur la guerre, la colonisation… Il y a beaucoup de choses qui entrent en ligne de compte donc on n'y pense pas vraiment. Mais j'avoue qu’une fois sur le plateau, quand on voit tous ces acteurs autour de nous, on se dit « La vache, il y a ça en plus. », c'est vraiment sur le plateau que je me suis rendu compte de la portée du truc et de ce que ça allait amener. C'est cool, c'est une bonne sensation de voir ça et surtout de les voir impliqués comme ils l'étaient, la joie qu'ils avaient d'être là… Et pourtant c'était pas des vacances, être dans la boue toute la journée c'était pas confortable et ils étaient hyper contents. Donc c'est une bonne nouvelle à l'arrivée, mais j'avoue que ce n’était pas quelque chose de moteur.

Qui est ce jeune et formidable comédien qui joue votre fils ? 

Omar Sy  : Alassane Diong est un acteur formidable qui sort du bois, en fait c'est mon neveu. C'est le fils de ma grande sœur et j'étais un peu la figure paternelle de ce gamin. Je suis très fier du travail qu'il a fait sur le film, je suis très fier de son application. Il a énormément travaillé et le résultat est formidable. Je trouve que c'est un acteur qui va faire de grandes choses, j’en suis persuadé.

Mathieu Vadepied : C'était aussi à plein d'égards intéressant, fort et émouvant de voir cette construction entre Omar et Alassane. Je sentais bien que quelque chose se jouait aussi entre eux, quelque chose de fort qui est au-delà de l'histoire.

Omar Sy : Il y a quelque chose dans notre histoire à tous les deux qui jouait là entre père et fils et surtout dans ce qui a pu se jouer dans le passé entre nous deux. C'était un peu une thérapie payée, mais par les thérapeutes.

« Et si le soldat inconnu était un tirailleur sénégalais ? »

Mathieu Vadepied à Omar Sy sur le tournage d’Intouchables

La musique est importante dans Tirailleurs. Pourquoi le choix du compositeur Alexandre Desplat ? Et, d'après vous, qu'est-ce que la musique joue comme rôle dans votre film ?

Mathieu Vadepied : Desplat c'est quelqu'un avec qui j'ai travaillé sur un film de Jacques Audiard, Sur mes lèvres et dont j’ai apprécié une forme de sensibilité, notamment sur la question de l'intime. Comment une petite musique peut raconter l'intérieur d'un personnage... la sensibilité, quelque chose de très délicat et comment ça peut se déployer dans différents motifs, jusqu’à des moments très amples, symphoniques. C'est ça qui m'était resté, dans sa sensibilité. Pour ce film ça m'intéressait, puisque l'histoire était très intime, de travailler cette chose-là, de trouver une petite mélodie qui ne soit pas envahissante ou grandiloquente, qui soit comme une ritournelle, une petite berceuse de nuit. Que la musique puisse aussi se déployer, prendre en charge des moments plus amples comme la guerre. Donc il y avait cette double dimension qui m'a amenée à proposer ce projet à Alexandre Desplat.

Les Infos sur Tirailleurs

Synopsis : 1917. Bakary Diallo s'enrôle dans l'armée française pour rejoindre Thierno, son fils de 17 ans, qui a été recruté de force. Envoyés sur le front, père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble. Galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au coeur de la bataille, Thierno va s'affranchir et apprendre à devenir un homme, tandis que Bakary va tout faire pour l'arracher aux combats et le ramener sain et sauf.

Tirailleurs de Mathieu Vadepied
avec Omar Sy, Alassane Diong, Jonas Bloquet
Scénario : Mathieu Vadepied et Olivier Demangel
Musique : Alexandre Desplat

Durée : 99 min
Sortie le 04 Janvier 2023

Photos : Marie-Clémence David © 2022 - UNITÉ - KOROKORO - GAUMONT - FRANCE 3 CINÉMA - MILLE SOLEILS – SYPOSSIBLE AFRICA

Affiche et film-annonce : Gaumont Distribution 
Entretien : Grégory Marouzé / Retranscription de l'entretien : Élise Coquille
Remerciements UGC Ciné Cité Lille

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