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« Les Cadors » : entretien avec Jean-Paul Rouve

« Les Cadors » : entretien avec Jean-Paul Rouve

Jean-Paul Rouve Les Cadors Style : Cinéma Date de l’événement : 11/01/2023

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LillelaNuit a interviewé Jean-Paul Rouve pour Les Cadors de Julien Guetta. Dans ce film, le comédien incarne Christian, un type un peu loser venant en aide à son frère Antoine (Grégoire Ludig), en grande difficulté. Sur une base classique, Julien Guetta signe une comédie douce-amère et sociale attachante, bien écrite et interprétée. Jean-Paul Rouve parle de ce film qui lui tient à cœur, et de la ville dont il est originaire : Dunkerque !

Si on n'a pas vu le film, on peut se dire que Les Cadors est une " pure" comédie. En fait, le film dépasse ce cadre. Ce qui est intéressant, c'est que l’on croit tout de suite à cette histoire de frères que tout oppose. Votre association avec Grégoire Ludig fonctionne bien. Vous êtes très touchants tous les deux.

Jean-Paul Rouve : Je pense que ça vient beaucoup du réalisateur, Julien Guetta. Je ne sais pas si vous avez vu son premier film qui était vraiment formidable, Roulez Jeunesse avec Éric Judor. Il y avait une sensibilité, une douceur, une comédie… J'avais beaucoup apprécié son univers. C'est sa patte je crois. Mais à la base avec Julien, on voulait aussi qu'il y ait une crédibilité dans les personnages, dans leur vie sociale, dans leurs rapports. On ne voulait pas qu'il y ait une efficacité de scénariste de comédie. Il fallait que ce soit crédible parce que sinon ça ne m'intéressait pas. Et avec Grégoire, on voulait ça. Quand on joue, quand on tourne, on ne se dit pas qu'on fait une comédie, on ne se met pas en mode comédie. On joue comme si on était dans n'importe quel film. Ensuite, c'est le ton général et ce qui s'y passe, qui fait qu’on pourra en rire ou pas. Les Anglais font ça très bien, ils sont un peu les champions de ce domaine. Et j'aime bien en France quand il y a des films comme ça. Prenons comme Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, avec Patrick Dewaere. Aujourd'hui, tout le monde dit « Bon ben c'est Coup de tête, quoi ». Mais on se disait à l'époque, « Mais c'est quoi en fait ? Une comédie ?». On regarde le film et il est comme ça, doux amer, il est entre les deux.

Jean-Paul Rouve, Michel Blanc et Grégoire Ludig.

Il y a presque un ton de comédie italienne ?

Jean-Paul Rouve  : Oui, c'est ça. En fait, que ce soit la comédie italienne ou la comédie anglaise, elle est toujours ancrée dans la société, dans une époque, c'est toujours ça. Le cinéma italien des années 50-60 montre la société italienne de ces années-là. Le cinéma anglais de Ken Loach montre la société anglaise et, en France, on peut avoir ça aussi. Dans Les Cadors, on est ancré dans une réalité sociale et économique très vraie et dans un milieu professionnel concret. On n'est pas hors-sol, même dans la façon de vivre, les décors, les costumes… Tout ce qui s’y passe n'est pas hors sol. Par exemple, le personnage le plus dur à écrire c'était vraiment le personnage de Michel Blanc, qui joue le méchant. Il fallait qu'il soit crédible parce qu'on est pas aux États-Unis. Aux États-Unis, il y a un rapport aux armes qui n'est pas le même que chez nous, donc il y a un rapport à la violence qui n'est pas le même, et on peut avoir des méchants au coin de la rue. En France, ça n’existe pas, il n’y a pas ce rapport-là. Donc, dès qu'on fait un méchant comme ça, il devient un peu faux, c'est un méchant de cinéma. Il fallait qu'on l'ancre dans une réalité professionnelle, et c'est pour ça qu'on s'est dit « Tiens, où est-ce qu'il y a des pouvoirs ? Dans les dockers ». Je ne dis pas que les dockers sont comme ça, évidemment, mais c'est un milieu où ça pourrait exister, comme ça peut exister quand il y a des micro sociétés qui se forment à l'intérieur de la société. Il y a d'autres mondes comme ça bien sûr, par exemple à Rungis, dans les puces à Saint-Ouen… On voulait que ce soit toujours crédible et quelquefois, quand on travaillait, on se disait « Non, là le personnage de Michel, on y croit pas ». Des gens comme ça, n'existent pas. Donc, on réécrivait pour qu'il existe, mais en faisant en sorte qu’il soit dangereux parce que sinon il n’y a pas d'enjeu.

On voulait que ce soit toujours crédible et quelquefois, quand on travaillait, on se disait « Non, là le personnage de Michel, on y croit pas ». Des gens comme ça, n'existent pas. Donc, on réécrivait pour qu'il existe, mais en faisant en sorte qu’il soit dangereux parce que sinon il n’y a pas d'enjeu.

Jean-Paul Rouve à propos des Cadors

Les Cadors est produit par Nolita, qui a produit les films que vous avez réalisés. Pour Les Cadors, vous êtes comédien, vous collaborez au scénario et aux dialogues. Est-ce qu'à un moment, vous vous êtes dit « J'ai envie de le mettre en scène » ?

Jean-Paul Rouve  : Non, parce que ce n’est pas mon univers. Ce n’est pas ce que j'ai envie de raconter. J'adore le jouer, j'adore le voir, j'adore l'écrire, mais je n’ai pas envie de le mettre en scène. C'est autre chose, mettre en scène. Mettre en scène, c'est parler de soi, toujours. Donc forcément, c'est très intime. Michel, ça lui est arrivé. Il y a plein de films qu’il a écrit et c'est du Michel Blanc de A à Z. Mais il a dit « Je ne peux pas le réaliser », et je comprends ça.

Jean-Paul Rouve et Grégoire Ludig.

Ce qui est intéressant avec votre personnage, Christian, c'est qu'au départ il est l’aîné, l'homme fort, celui qui protège le petit.  La progression de sa relation avec son frère Antoine, est intéressante.  A un moment, le grand  frère devient le petit frère…

Jean-Paul Rouve : Ça, ça fait partie des choses qui m'intéressent dans l'écriture. Les rapports établis par la société et les habitudes qui sont transformées par la vie, m'intéressent beaucoup. C'est passionnant, ça s'inverse. Le summum de ça dans l'écriture, c'est Le Parrain. Ce n'est pas le frère aîné qui est le patron, et c'est ça qui est vachement intelligent. Dans Le Parrain c'est dément, parce que c'est ça qui créé toutes les relations, qui fait que le frère n’est pas à la place où il devrait être, mais il l'est quand même. Ça crée tout. Si dans Le Parrain on avait eu l'aîné, comme premier successeur, ça aurait été beaucoup moins intéressant. Là, ce qui se passe avec le roi d'Angleterre et le numéro deux, c'est hyper intéressant. A un moment, il y a forcément quelque chose qui va en sortir. Et moi, ça me passionne ce rapport frères/sœurs indestructible, entre amour et haine.

A la fin des Cadors, on se dit qu’on aimerait savoir ce que les deux frères deviennent, comment ils vont, comment ils vont poursuivre leur histoire...

Jean-Paul Rouve : Tant mieux ! Quand on arrive à ça, c’est qu’on s’attache au personnage en tant que spectateur et que les personnages existent, qu’ils sont un peu vrais. Ça veut dire que quand on sort, ce sont des gens qu'on a connus, on se dit qu'on les connaît. Donc, ça veut dire qu'ils ne sont pas trop mal écrits. On se dit que ce n'est pas trop mal joué s’il y a une identification réelle aux choses. Et ça, c'est le plus beau compliment qu'on puisse me faire parce que c'est toujours ce que je recherche, c'est ce que j'aime. Après, ce n'est pas forcément la sympathie, je peux être antipathique, mais qu’il y ait une véracité c’est très important pour moi. La véracité même dans la façon de penser. C'est souvent la façon de penser qui fait la véracité, c'est le chemin d'une pensée. On suit la pensée d'un personnage mais on peut ne pas être d'accord avec lui. C'est comme avec des gens qu’on connaît. Par exemple, tu vas voir ta femme et puis elle va dire « Bah y a ma sœur, elle a fait ça, putain elle exagère quand même, elle est chiante ». Tu n’es pas d'accord mais tu ne dis pas « Elle a fait ça ? c'est très étrange… ». Ben il faut que les personnages soient pareils. Sinon on se dit « Ah bah non, c'est pas crédible que le personnage fasse ça le personnage, il n’est pas construit comme ça ».

Aurore Broutin et Jean-Paul Rouve.

Vous êtes de Dunkerque. Vous semblez très attaché à la région ?

Jean-Paul Rouve : En effet je suis attaché à la région parce que c'est la région de mon enfance.

Ce n’est donc pas pour rien si vous avez tourné Quand je serai petit à Dunkerque ?

Jean-Paul Rouve : Ah oui, bien sûr ! Et puis parce que, et j'en suis très heureux, j'étais l’un des premiers. On ne tournait pas encore beaucoup dans le Nord à cette époque-là, maintenant c'est à la mode. Mais moi, quand je suis venu à Dunkerque avec mon chef-opérateur Christophe Offenstein (qui fait tous mes films). Ils ne connaissaient pas Dunkerque, avec le premier assistant, Léonard Vindry. Ils étaient subjugués par la beauté des lieux parce que la lumière est dingue, c'est cinématographique. Et c’est cinématographique, malheureusement, parce que ça a été détruit et donc il y a eu une reconstruction assez géométrique qui est cinématographique. Et un port, c'est cinématographique. Filmer des containers, filmer des bateaux, filmer l'usine, filmer du feu qui sort avec l'eau, filmer des dunes, filmer des bunkers qui tombent dans l'eau…Ben c'est beau quoi. Il y a une mélancolie naturelle.

Les infos sur Les Cadors

Synopsis : L’histoire de deux frères que tout oppose. Antoine, marié, deux enfants conducteur de bateaux, et Christian, célibataire, chômeur et bagarreur incorrigible. Mais quand Antoine le mari idéal se retrouve mêlé à une sale histoire, c’est Christian le mal aimé qui, même si on ne lui a rien demandé, débarque à Cherbourg pour voler à son secours. « Les Cadors » comme ils aimaient se surnommer dans leur enfance vont se redécouvrir au travers de cette histoire. Christian qui n’a rien à perdre, va alors défendre au péril de sa vie cette famille qu’il a toujours rêvé d’avoir sans jamais avoir eu le courage de la fonder.

Les Cadors de Julien Guetta
Avec : Grégoire Ludig, Jean-Paul Rouve, Michel Blanc, Marie Gillain, Aurore Broutin
Scénario : Julien Guetta et Lionel Dutemple avec la collaboration de Jean-Paul Rouve
Musique : Alex Beaupain

Sortie le 11 janvier 2023
Durée : 1h25

Visuels : Jour2Fête

Entretien : Grégory Marouzé / Retranscription de l'entretien : Élise Coquille
Entretien réalisé à Lille le 6 janvier 2023.
Remerciements : UGC Ciné Cité Lille

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