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« Hors-Saison » : Guillaume Canet et le réalisateur Stéphane Brizé

« Hors-Saison » : Guillaume Canet et le réalisateur Stéphane Brizé

Guillaume Canet / Stéphane Brizé Hors-Saison Style : Cinéma Date de l’événement : 20/03/2024

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Cette semaine, l'entretien cinéma de LillelaNuit est consacré à Hors-Saison. Dans ce film, Mathieu, un acteur en crise (Guillaume Canet), se retire seul dans un SPA en Bretagne. Sa solitude se rompt quand il retrouve Alice (bouleversante Alba Rohrwacher), une femme qu'il a aimé quinze ans plus tôt. Avec Hors-Saison, Brizé signe un film émouvant, singulier, à contre-courant de ses œuvres sociales (La Loi du marché, En Guerre) et tourne pour la première fois avec un Guillaume Canet comme on ne l'a jamais vu au cinéma. Rencontre avec Stéphane Brizé et Guillaume Canet.

 

 

Le personnage de Guillaume Canet, c’est moi !

Stéphane Brizé

Hors-Saison est-il un film sur les engagements que l’on prend ou pas, les choix que l’ont fait ou pas, la reconstruction de soi que l'on fait ou pas ? Vouliez-vous exprimer ces idées ?

Stéphane Brizé : C’est exactement ce matériau-là, cette sensation. Pour être honnête je ne pars pas avec des idées très élaborées, votre phrase est déjà très élaborée. Je pars avec une sensation, et je vais construire autour de ça. On est aussi au moment où je commence à écrire le film, je sors de quatre films fait assez rapidement, en 6 ans, entre La loi du marché, En guerre et Une vie. Ce sont vraiment des films où chaque personnage est confronté à une désillusion. Ce sont des gens qui ont cru en quelque chose, la famille, l’entreprise, ils tombent de très haut. Et moi je ne fais qu’avec ce que je suis, j’écris avec ma propre matière, je fais le même parcours qu’eux, je vis la même désillusion sur le monde donc ça me rend plus clairvoyant mais aussi plus mélancolique finalement. Donc je suis à peu près dans le même état. Puis il y a la Covid qui arrive donc on est confiné, et la Covid c’est les rues vides. Ces rues vides que l'on voit dans le film, c’est l’émanation de ça. Déjà cet état un peu mélancolique est accompagné d’un moment du monde où on nous demande d’arrêter le mouvement, le mouvement s’arrête. Alors qu’on est beaucoup dans le mouvement et très souvent pour nous faire croire qu’on fait quelque chose, ça nous évite de penser, on est face à des questions très existentielles à ce moment-là. Moi, c’est mon matériau. Et j’ai envie d’une caresse. Alors elle va être un peu rugueuse, la caresse dans le film, mais il y a une forme de douceur, de prendre le temps, de savoir si on est à la bonne place, si on a fait les bonnes choses, si on a poussé les bonnes portes, si on est avec la bonne personne… C’est tout cela qui est brassé. Évidemment, il y a la cinquantaine qui est dépassée, donc c’est tout ça qui arrive en même temps. Pour être honnête, j’étais parti sur un film heureux, un film social, mais en fait j’avais pas le jus pour ça, ça ne faisait pas sens. Le sens c’était comme ce gars, puisque le personnage que Guillaume porte c’est moi, c’est mes réflexions du moment entre les films que je viens de faire, l’arrivée de la Covid, l’arrêt du mouvement, la cinquantaine dépassée, et voilà, je suis avec ces questions-là. Et je vais les mettre sur le papier. J’avais juste cette image depuis très longtemps en tête : un homme et une femme qui se sont aimés et se retrouvent, et la station balnéaire hors-saison. Voilà j’avais ça en tête et ça a trouvé son incarnation au travers de cette histoire.

 

Ça m’est arrivé de me rendre compte à quel point on peut parfois être aveugle dans sa vie.

Guillaume Canet

Ce rôle d’acteur, dépressif, largué, isolé, vous a-t-il parlé ?

Guillaume Canet : Évidemment ça peut faire écho en moi en tant qu’acteur, de ressentir quelque chose en lisant cette histoire, par rapport aux choix qu’on a fait dans sa vie, des moments de vie en tant qu’acteur où des fois où on devient un peu sec. On a besoin, quand on a trop travaillé, de s’arrêter pour se re nourrir. C’est ce que je trouve de magnifique dans le métier d’acteur en fait, quand on parle d’intelligence artificielle, ce qui est terrible c’est que l’on oublie qu’un acteur devient intéressant parce que justement il vieillit, et il lui arrive des choses entre les films, il vit des choses dures entre les films et du coup sur le film d’après il va être nourri de ça. Et ça, ça me touche dans le film, ce que cet acteur vit dans le film. Je pense que le film qu’il va faire derrière, il ne va pas le faire de la même manière que les autres. Il va être nourri d’une certaine émotion qui va être différente. Je trouvais ça très intéressant. Il y a aussi toute la partie où on se moque qu'il soit acteur. Il y a la partie acteur, qui m’amuse, qui m'intéresse, et je l’ai déjà traitée déjà Rock’n’Roll, et j’ai pris énormément de plaisir à tourner ces séquences truculentes dans le spa avec les gens qui viennent demander des selfies et tout ça, et qui sont d’ailleurs très drôles. Je suis content de voir que les gens se marrent dans la salle, mais moi j’aime beaucoup aussi la partie sur l’homme. Acteur ou pas acteur, c’est un homme qui arrive à un stade de sa vie où il se demande s’il vit avec la femme de sa vie, et que tout d’un coup, quand le hasard fait que cette femme le recontacte, il a des sentiments qui resurgissent, il se rappelle cette relation avec elle, il réalise qu’il n’a pas forcément fini cette relation de la bonne manière, et qu’il l’a blessée, il y a plein de choses qui se mettent en marche. Je trouve ça extrêmement intéressant pour moi de parler de ça parce que ça m’est arrivé de me rendre compte à quel point on peut parfois être aveugle dans sa vie. On peut être dans son truc et on a l’impression d’avoir toujours raison, on n’a pas de distance sur soi, et des années plus tard, on a un pote qui nous dit “tu sais un jour, tu ne t’es pas très bien conduit avec moi en faite”, et d’un coup on se rend compte qu’effectivement c’est fou d’avoir agi comme ça. Et ça, ça m'intéresse, de voir à quel moment on arrête d’être aveugle.

Le film ne marcherait pas si le couple de cinéma ne marchait pas. Alba Rohrwacher est formidable, d’ailleurs c’est amusant car elle porte le prénom de sa sœur dans le film*…

Stéphane Brizé : Oui, parce que je lui ai demandé “comment tu veux t’appeler ?”. Et elle m’a dit “Alice”. Je lui ai répondu que j’aimais bien les films de sa sœur, donc ça m’allait.

J’ai appris quelque chose en tant qu’acteur sur ce film : apprendre à écouter.

Guillaume Canet

Une magie opère, mais le film n’est pas toujours plaisant dans le sens où on se reconnaît forcément, où on se sent un peu égratignés. Mais en même temps, ça nous réconforte. Le couple nous réconforte de choses qu’on a pu vivre, et quelque part, on prend du recul aussi. Enfin voilà, c’est une parenthèse. Comment avez-vous travaillé ? On sent une liberté, on a presque l’impression que c’est totalement improvisé à partir de situations définies. Et, en fait, ce n'est certainement pas le cas ...

Stéphane Brizé : Et vous avez raison.

Guillaume Canet : Non non, tout est écrit. Je trouvais extrêmement intéressante la manière de travailler de Stéphane. J’ai appris quelque chose en tant qu’acteur sur ce film : apprendre à écouter. Quand on parle avec quelqu’un, on varie souvent la manière dont on parle, ou le choix des mots en fonction de la personne qui est en train de vous écouter. Et c’est quelque chose que j’ai vraiment appris sur son film. De nous mettre en scène, en situation, à ce qu’on soit vraiment dans l’écoute. Du coup, je pense que ce sont ces choses-là aussi que vous ressentez dans la véracité des situations. Après, il y a aussi je pense, comme vous le disiez tout à l’heure, la magie qui opère parfois entre deux personnes où on a très envie de jouer ensemble et où ça match, une magie opère sur le fait que des silences peuvent prendre du temps parce que tout d’un coup ils sont nourris par une sorte d'électricité, d’énergie, qu’il y a entre les deux, et c’est très très agréable.

En tout cas, le spectateurs tombe immédiatement amoureux d’elle.

Stéphane Brizé : Ce n’est pas parce que Guillaume est là, mais même hétéro moi je tombe amoureux de lui aussi.

Il est très touchant.

Stéphane Brizé : Oui, ce gars m’émeut. Je ne me sens pas si loin de ce gars-là, même très proche d’ailleurs. Moi, j’apporte mon matériel et j’en mets une partie chez Alba, une partie chez Guillaume. Et il y a des choses de lui, des questions qu’il se pose que je connais par cœur. Ce qui est vraiment très touchant, c’est qu’on fait l’hypothèse d’un couple, qu’est-ce qui fait qu’on va chercher deux personnes, que la première fois qu’elles se rencontrent c’est sur le plateau, et que ça match. Il y a une hypothèse quand même assez mystérieuse et assez dingue.

C’est dangereux !

Stéphane Brizé : C’est dangereux parce que ça pourrait ne pas marcher. Ce n’est pas parce que les gens s’entendent bien que ça marche forcément mieux. Parce qu’on a vu des films formidables avec des acteurs qui ne pouvaient pas se sentir, et c’est parfois très bon signe. Il y a quand même une hypothèse, et c’est hyper jouissif quand on voit que ça fonctionne. Et puis ça m’émeut, je suis hyper reconnaissant de voir des acteurs qui vont mettre à disposition leurs matériaux pour ce film que j’ai écrit, qui est un bout de moi, et qui va devenir un bout d’eux. Ils utilisent un bout d’eux pour raconter un bout de cette histoire, je trouve ça miraculeux et très bouleversant. Et surtout de le faire en camaraderie. On était un peu hors du temps. Mars-avril en Bretagne, il n’y a personne, on n’a pas bloqué les rues pour faire les plans, c’est vide. On n’a pas demandé aux gens de fermer leurs stores, tout est fermé. Donc, on était un petit peu dans cet état-là, hors du temps.

Avez-vous déjà fait du documentaire ? 

Stéphane Brizé : J’en ai fait un dans ma vie. Il se passait dans un hôpital gériatrique, donc l’humour était déjà présent, l’envie de rire. J’ai passé 1 an dans un hôpital gériatrique entre mon premier et mon deuxième long, enfin, à ce moment-là je ne savais pas que j’allais faire un deuxième long et j’étais dans la panade totale, je pensais que ma carrière s'arrêterait au bout d’un film tellement je n’allais pas bien, c’était trop dur à ce moment-là. Dans cet hôpital, deux comédiennes avaient installé un atelier de théâtre, et ce qui était extraordinaire c’était de voir le nombre personnes, et j’en ai suivie quelque-unes dans le film, de voir que dans un en hôpital gériatrique, pas en maison de retraite un peu classe (ça cogne sérieusement, ça sent le pipi le matin, et on a l’impression que le vie n’est plus là), mais que la vie est sollicitée par l'imaginaire et par l’art théâtral, les chansons, l’art de jouer. Immédiatement, les gens sont vivants, et c’est extraordinaire. Donc le film était de suivre en parallèle ces gens dont la vie était toute petite, et tout à coup dès qu’ils étaient en train de jouer, ça s’éclairait, c’était plus du tous les mêmes personnes. Ça s'appelait Bel instant.

Dans votre cinéma, il y a souvent un aspect documentaire, une forme documentaire avec le cadre, la façon dont vous suivez les comédiens. Et on se demande comment vous trouvez les formes, comment vous gérez l’utilisation de l'espace, comme avec la confession de cette femme extraordinaire. On se demande si elle est une comédienne ou quelqu’un que vous avez rencontré. À un moment, on ne sait plus si on est dans un film de fiction ou si le documentaire est en train de le contaminer. 

Stéphane Brizé : Moi,  j’envisage la fiction comme un documentaire sur les acteurs. C’est un peu un documentaire sur moi-même aussi. Cette dame n’est pas comédienne et ce qu’elle dit n’est pas sa vie, c’est écrit, tout est écrit. Pour moi ce sont des moments de grâce. En plus, c’est filmé au téléphone portable donc ça te donne encore plus le sentiment que c’est vrai. Dans le film, il y a avant ce moment-là, puis après ce moment-là. Quand le personnage de Guillaume découvre ça, il se prend une claque de vérité, d'honnêteté, de gens qui sont courageux et il n’est plus le même. Il se demande s’il y a une nécessité de croiser l’amie de la fille qu’il a quittée certainement pas très élégamment il y a 15 ans. Quand quelqu’un se pose des questions sur la vérité de sa vie, la vérité de l’endroit où il est, ce n’est pas rien d’entendre un truc comme ça. C’est hyper secouant. Acteur ou pas acteur, l’homme qu’il est à ce moment-là avec les questions qu’il se pose, est sérieusement secoué par ce que cette dame raconte, de ce qu’elle a osé faire, on imagine la transgression. Je trouve ça incroyable. Après je me suis posé la question “Comment je vais faire passer l’info ?”. Je pense que c’était plus juste de la faire passer comme ça. Parce qu'aujourd'hui on peut plus écrire vraiment sans qu’il y ait un téléphone portable, des messages qui passent, s’envoyer des infos parfois anecdotique, on est constamment abreuvé pendant qu’on fait un truc. On peut plus faire sans, sans toutes ces sources d’images. Mais en termes de dramaturgie c’est pratique parce que ça peut amener des infos d’une certaine manière et être assez utile. Cette dame, je l’ai croisée sur Une vie, elle avait un petit rôle, elle  lavait le personnage de Judith Chemla, quand il était malade, c’est un petit truc qui dure 27 secondes. Mais je l’ai filmé 23 minutes. Je me disais “Mais comment elle la lave ?”, elle lavait en vrai quoi, elle lavait vraiment une malade. La manière de lui soulever le bras, de le tenir pour le laver, tout était vrai. Elle, elle ne joue pas. Elle est totalement vraie quoi. Donc elle habite en Normandie et chaque année elle m’envoie des noix, des noix de Lucette. Au moment où on est en train de commencer le casting et qu’on va naturellement chercher des gens en Bretagne, elle m’envoie ce petit message qu’elle m’envoie chaque année : “Habitez-vous toujours à la même adresse, c’est pour vous envoyer des noix”. Et puis elle a été la première à passer le casting et personne n’a été au niveau de Lucette. Elle est extraordinaire. C’est une femme étonnante. Tout est écrit, c’est hyper précis, il n’y a pas d’invention, mais ce qu’elle est capable de faire… Après les acteurs, je leur laisse la possibilité de dire des mots ou leur phrasé à eux, je ne suis pas à la virgule près, mais par contre, il n’y a pas d’informations qui surgissent de nulle part. Ce n’est pas rien d’écrire un scénario, c’est quand même une tuyauterie mécanique, il faut de la précision pour écrire un scénario et que ça tienne débout. Après, j’ai l’histoire, mes effets spéciaux sont les acteurs donc il faut que j’en ai de bons sinon les effets spéciaux sont ratés. Si les acteurs n’étaient pas bons, c’est comme si on voyait un film d’action joué sur fond vert, c’est aussi ridicule. Accéder à des moments de vérité avec deux acteurs qui jouent, ça me bouleverse. Je trouve que c’est des moments inouïs de vérité.

Synopsis : Mathieu habite Paris, Alice vit dans une petite cité balnéaire dans l’ouest de la France. Il caresse la cinquantaine, c’est un acteur connu. Elle a dépassé la quarantaine, elle est professeure de piano. Ils se sont aimés il y a une quinzaine d’années. Puis séparés. Depuis, le temps est passé, chacun a suivi sa route et les plaies se sont refermées peu à peu. Quand Mathieu vient diluer sa mélancolie dans les bains à remous d’une thalasso, il retrouve Alice par hasard.

Les Infos sur Hors-Saison

Hors-saison de  Stéphane BRIZÉ

Avec Guillaume CANET, Alba ROHRWACHER, Sharif ANDOURA, Hugo DILLON, Emmy BOISSARD PAUMELLE
Scénario :  Marie DRUCKER, Stéphane BRIZÉ

Sortie : 20 mars 2024
Durée : 115 min

Photos : Michaël Crotto / Affiche et film-annonce : Gaumont

* La réalisatrice Alice Rohrwacher (Heureux comme Lazzaro, La Chimère)

Entretien réalisé à Lille le 8 février 2024 par Grégory Marouzé - Retranscription de l'entretien par Camille Baton.
Remerciements UGC Ciné Cité Lille

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