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« The Substance » : Coralie Fargeat, réalisatrice du film-monstre de l’année

« The Substance » : Coralie Fargeat, réalisatrice du film-monstre de l’année

Coralie Fargeat The Substance Style : Drame, Epouvante-horreur Date de l’événement : 06/11/2024

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L'entretien cinéma de LillelaNuit est consacré à The Substance. Le film-choc de Coralie Fargeat, Grand Prix du scénario à Cannes, ne se refuse rien. Coralie Fargeat réalise un vrai body horror, éprouvant, mais aussi très drôle et d'une grande causticité. Porté par Demi Moore, dans son meilleur rôle à l'écran, mais aussi Margaret Qualley et Dennis Quaid, The Substance (nourri de références allant de Cronenberg à Kubrick), donne un bon coup de griffe au patriarcat, à la compétition féminine, à la misogynie... Une expérience cinématographique radicale autant qu'un trip sensoriel. Attention, futur film culte ! Entretien avec Coralie Fargeat.

Comment avez-vous réussi à imposer votre vision, à faire produire The Substance avec deux actrices réputées, et un acteur reconnu ? Le film est un objet de cinéma radical  !

C'est une très bonne question. Il m’a fallu énormément de détermination, de combats, que je prenne le temps de construire autour de moi le bon environnement pour le faire. Parce que je savais que pour que le film soit ce que j'avais envie qu'il soit, il fallait que j'ai les bons partenaires, que j'ai le contrôle du film et donc, j'ai pris du temps, parce que je savais que j'avais besoin des anglo-saxons pour avoir un budget plus conséquent que sur Revenge. Il me fallait avoir accès à un casting international. Mais il fallait à côté de ça que je puisse avoir un fonctionnement bien plus français en termes de Final Cut, de liberté créative.

Cela m'a amenée à prendre deux décisions : la première était d’écrire le scénario en ne m'engageant avec personne, sans être payée, pour détenir les droits sur le scénario jusqu'à ce que je trouve les  bons  partenaires. Car il est facile de vendre une idée, mais, une fois le projet écrit, on peut se rendre compte que le résultat final diffère de ce que l'on imaginait. Je pense donc qu'avoir le contrôle sur son œuvre jusqu'à ce qu'elle prenne forme est essentiel. En parallèle de ça, je voulais co-produire le film pour avoir plus de poids dans les décisions, choisir mes partenaires co-producteurs, une fois le scénario achevé. Ceux qui allaient avoir l'assise, on va dire plus internationale, pour m'apporter les ressources dont j'avais besoin, tout en pouvant me protéger, faire bouclier.

Vous vouliez le montage final ? 

Depuis le début, dès que je parlais à quelqu'un, le premier mot qui me venait à la bouche, c'était Final Cut !  Je disais : “Bonjour je m'appelle Coralie, moi ce qui m'intéresse c'est d'avoir le Final Cut !”  Il faut réussir à trouver comment naviguer dans le système pour réussir à produire The Substance. Je connais très bien les éléments de fabrication d'un film. Il faut savoir où il est important de mettre de l'argent et où ça ne l’est pas, pour que tout le budget aille sur l'écran et pas dans des choses inutiles. Je voulais une fabrication de film totalement sur mesure, qui ne réponde pas du tout aux manières habituelles de faire. On a tourné pendant près de 100 jours, avec une équipe plus réduite, pour avoir le nombre de prothèses, d'effets de maquillage. Ça prend un temps dingue.

Coralie Fargeat et Demi Moore.

Comment avez-vous fonctionné ? 

On a eu près d'un mois de tournage, que j’appelle le Lab, car il y avait énormément d'inserts, de close-up, qui sont une partie fondamentale de la mise en scène. Si on se met à tourner avec 100 personnes autour de soi, on a une journée de tournage ultra chère pour filmer un insert sur une prise de sang. Tout est écrit très précisément, je fais aussi le montage-images, donc je sais exactement ce que je vais utiliser. On a reporté les inserts à la fin du tournage, quand les actrices étaient parties. On s'est retrouvé à cinq personnes dans le hangar d'un studio, avec des bouts de faux bras, un bout de carrelage au sol, c'était vraiment le laboratoire du savant fou. Je faisais les doublures main, je m’injectais la substance, je faisais doublure de dos. L’équipe était ultra-réduite.

Cela nous a permis de tourner ces plans extrêmement importants, mais qui, souvent, sur des tournages normaux, passent à la trappe, parce qu'il n'y a pas d'acteur, donc on s'en fiche. Moi, je sais que dans le cinéma, dans un film, tout à sa place, tout à son importance. On filmait  les prothèses, les têtes qui explosent,  les dos qui s'ouvrent, avec des faux corps, des bouts de perruques. Toutes ces parties-là, on les a gardées pour la fin. Le fait de tourner en France, c'est ce qui a fait que j'ai pu faire The Substance, car les équipes sont hyper investies, elles font les films pour des bonnes raisons, ce sont des passionnés de cinéma. Les jours où c'était fatiguant, où ça a pu être dur, ces gens avaient tout de même à cœur de créer. L’artistique leur importait vraiment, et donc on était tous embarqués dans cette aventure assez folle.

Margaret Qualley

Il vous a fallu maintenir le cap jusqu’au bout…

Une fois que le tournage a été fini, il a fallu tenir bon. J'ai eu près d'un an de montage, je monte aussi moi-même. Il a fallu tenir bon par rapport aux les gens qui devaient voir le film à certaines étapes, des personnes qui ne comprennent pas, ou qui regardent et se disent  :"ah bon, mais c'est ça !" C'est ça qui est dingue : on a beau être aussi clair qu'on veut sur le papier, puisque mes scripts sont hyper détaillés, tant que le film n'est pas 100% fini, et qu'un public y répond, en post-production, c'est le règne de la peur. C'est le règne de safe choice, personne ne veut prendre de risque. Donc là, pour le coup, il faut tenir bon, face à tous les gens qui ne comprennent pas, ou qui veulent faire moins. Il faut donc aussi se faire confiance. Il y des moments qui sont durs, parce qu'on est seul contre tous, mais c'était ma seule solution. Je savais que pour que le film soit réussi, il fallait qu'il soit à 100% de moi, et ça ne veut pas dire que dans le process, on n'a pas de bons conseils, de bonnes idées, ou de bons regards qui aident à améliorer le film, mais le truc, c'est de se faire confiance, d'être fidèle à soi, d'être fidèle à sa vision, c'est là où il faut être fort mentalement, parce qu'on peut être incompris jusqu'à ce que le film soit montré la première fois. À Cannes, c'était la première projection publique du film.

Tant qu'il n'est pas vu par le public, personne ne sait ce qu'est le film.

Coralie Fargeat

The Substance est un film on ne peut plus singulier.

Ça reste un film qui peut être vu comme un truc complètement ridicule. C'est ça qui est fou avec un film, tant qu'il n'est pas vu par le public, personne ne sait ce qu'il est. Donc, ça a été une sacrée épopée, surtout sur la mise en place du film, sa concrétisation. J’ai vu tellement de réalisateurs qui avaient des mauvaises expériences aux Etats-Unis, qui se retrouvaient à ne pas pouvoir faire les films qu'ils voulaient… C'était ma pire hantise ! J’ai donc vraiment pris le temps de réfléchir à comment faire. J’ai rencontré énormément de personnes, pris beaucoup de conseils. Je ne voulais pas aller trop vite sur des propositions qui pouvaient sembler alléchantes. Je savais que si je sautais dans la gueule du loup, au final, je serais dépossédée du film. Ça n'aurait eu aucun intérêt. Je pense que le film parle à un endroit qui m’est très personnel. Je pense que j’étais comme la louve qui défend ses petits. Il y avait un côté animal, viscéral. Même si on préfèrerait faire plaisir à tout le monde. Pendant le process, je n’ai pas forcément été beaucoup aimée, mais il faut prendre le risque de ça, pour se dire qu'une fois que le film est fait, si le public aime, c'est la seule réponse qui compte. Il faut avoir les nerfs solides, et croire à ce qu'on fait, je pense que j'avais tellement investi dans le film à tous les niveaux, que je ne pouvais baisser les bras à aucun endroit.

Demi Moore

Demi Moore

Est-ce que pour Demi Moore, faire ce film, est un geste de révolte contre Hollywood ? On la voit moins, l’un des sujets du film est la compétition. Ce qu’elle fait dans The Substance, jusqu'où elle va, prend la forme d’un geste de femme révoltée, de colère. Un vrai fuck au système hollywoodien !

Je pense que Demi Moore était dans un moment où elle se réappropriait sa vie. Je pense qu'elle avait vécu des choses ultra difficiles. Sa carrière a été tellement liée à son image… Elle en parle dans son autobiographie. Elle a eu des réflexions hyper désagréables, elle a été obsédée par son corps, son apparence, parce qu'on l'embauchait aussi pour ça et on lui faisait bien remarquer. Ça ne laisse pas forcément indemne. Dans sa vie personnelle, elle a vécu des choses assez dures. Je fais une petite blague au début du film. Pour moi, c'est un élément extrêmement important. Quand une femme ne peut plus avoir d'enfant, elle est vue comme n’étant plus jeune, elle ne peut plus avoir cette fonction de la mère reproductrice. Il y a vraiment cette violence du "je ne suis plus bonne à rien, je ne sers plus à rien", et cette dévalorisation totale du regard masculin, qui est celui, malheureusement, qui, quand on est fille, femme, ado, nous construit le plus.

Je pense que Demi a vécu des choses extrêmement difficiles dans sa vie personnelle, qui l'ont amené plus bas que terre. Là, elle était dans une phase où elle reprenait pied, et elle reprenait de la force, justement, dans le fait de se réapproprier sa vie, et de ne plus être dépendante de qui allait la regarder. Tout ça, c'est un voyage, et on n'en est jamais totalement détachée.Donc, je pense que, plutôt que le fuck à Hollywood, ça a été pour elle, comme une sorte de marque de "maintenant, je suis forte face à moi-même, maintenant, je me sens forte pour exister en tant que moi, plus dépendante de ce qu'on va penser, plus dépendante de “est-ce que je vais être sexy, pas sexy ?" Il y a vraiment ce geste de réappropriation d'elle-même qui s'est vraiment superposé au scénario que je lui ai proposé. Je pense qu'elle a aussi senti le potentiel du projet pour revenir sur le devant de la scène, de manière assez risquée, parce que ce genre de film, ça peut être très réussi comme très raté, Ce sont des partis pris extrêmes. Je pense que Demi Moore est quelqu'un d'extrêmement intelligent, d'instinctif, et elle a senti, vu ce que le film racontait, vu à quel point il est centré sur son personnage, dans ses moindres détails, avec une mise en scène assez tranchée, je pense qu'elle a senti que, si c'était réussi, il y avait quelque chose de fort qui pouvait se projeter dans le monde.

C'est plus dans ce sens, parce qu'en l'ayant rencontré, j'ai ressenti quelqu'un qui n'est pas du tout vindicatif. Elle est dans un moment assez apaisé de sa vie, où elle a attiré à elle ce qu'elle était en train de mettre en place, d'un point de vue intime, pour reprendre pied dans le monde. Moi, je crois beaucoup à ça : on attire un peu à soi ce qu'on a à l'intérieur, on attire les énergies qui nous correspondent. Le discours du film sur la misogynie, que Demi a vécu, elle l'a pleinement embrassé. C'est un peu ça que j'ai perçu d'elle, et quelque part, pour moi, le fuck, il est en billard à deux bandes. C'est-à-dire que ça la remet en place, ça l'ancre d'une manière qui, pour elle, est recentrée par rapport à qui elle est. Forcément, par ricochet, oui, ça envoie ce message à plein de gens qui ont pu l'oublier ou la dévaluer. La figure de l'actrice n'est qu'un symbole et je pense qu'elle a vraiment réagit à la thématique qui est celle que toutes les femmes visent. Finalement, le personnage de l'actrice n'était qu'une incarnation symbolique qui permettait de représenter toutes les femme. Elle l’a vraiment perçu et s’est connectée très fortement à ça.

Synopsis : Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? Vous devriez essayer ce nouveau produit : THE SUBSTANCE. Il a changé ma vie. Il permet de générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite. Respectez les instructions : VOUS ACTIVEZ une seule fois .VOUS STABILISEZ chaque jour. VOUS PERMUTEZ tous les sept jours sans exception. Il suffit de partager le temps. C’est si simple, qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?

Les Infos sur The Substance

The Substance de Coralie Fargeat

Avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid
Scénario de Coralie Fargeat
Distributeur : Metropolitan Filmexport

Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement

Sortie : 6 novembre 2024
Durée : 140 min

Photos et film-annonce : Metropolitan Films

Entretien réalisé à Lille le 7 octobre 2024 par Grégory Marouzé.
Retranscription de l'entretien par Ambre Labbe.
Remerciements : UGC Ciné Cité Lille

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