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Le Règne animal : Entretien avec le réalisateur Thomas Cailley et Romain Duris

Le Règne animal : Entretien avec le réalisateur Thomas Cailley et Romain Duris

Thomas Cailley et Romain Duris Le Règne animal Style : Cinéma Date de l’événement : 04/10/2023

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LillelaNuit a rencontré le réalisateur Thomas Cailley et le comédien Romain Duris pour Le Règne animal. Après son premier film, très remarqué, Les Combattants (2014), Thomas Cailley signe, avec Le Règne animal un film fantastique en forme de métaphore sur notre époque. Il y est question de mutations, d'altérité, de différences, de la violence de notre monde. Le Règne animal retient l'attention pour son ambition, la qualité de sa mise en scène, le duo Romain Duris et Paul Kircher. Dialogue avec Thomas Cailley et Romain Duris.

Il s’est passé quatre ans entre votre série AD Vitam et Le Règne animal.

Thomas Cailley :  J’ai terminé AD Vitam fin 2018, et j’ai commencé l’écriture du film en mars 2019. De mars 2019 jusqu'à aujourd'hui, j’ai été sur Le Règne animal. Je n'ai absolument rien fait d’autre.

 Vous avez creusé, travaillé, retravaillé, écrit, réécrit ?  

Thomas Cailley : L’écriture a son temps. Ce qui a été un peu plus long que pour un film habituel, c’est le temps de financement et de préparation. Le temps de tournage et de postproduction est comparable à un film classique et l’écriture aussi. Deux ans, ce n’est pas très long quand on écrit une histoire intégralement. En revanche, la préparation d’un film classique, c’est deux mois, quatre mois. Là, ça a pris un an et demi parce qu'il fallait imaginer ce monde, donner une forme à ses mutations, et, parallèlement, il fallait trouver l’argent. On était en période post-Covid et c’était très compliqué. Tous les distributeurs se retrouvaient avec plein de films sur les bras qui ne sortaient pas, donc il y a eu un petit ralentissement ici, mais qui nous a été presque bénéfique parce qu'il nous fallait du temps pour préparer ce film qui est atypique dans son ampleur.

On voulait que ça transforme le monde, donc on voulait que ça se voit et que le film ait très rapidement cette dimension spectaculaire qui demande beaucoup de temps.

Thomas Cailley, le réalisateur du Règne animal

Oui, il est singulier, et il est singulier dans le cinéma français. 

Thomas Cailley : Oui j’espère. Après je pense qu’on essaye tous de faire des prototypes, mais il est particulier parce qu'il est au carrefour de plusieurs genres. C’est un film qui suit la relation d’un père et d’un fils, mais c’est aussi un film fantastique, un film d’aventures. Il y a aussi des séquences d’action et de comédie, et le film est très géographique. On voulait que les conflits soient extériorisés. On voulait montrer ces mutations, pas les suggérer. L’idée de la mutation, c’est que ça va de l’intérieur vers l’extérieur, ça commence dans les cellules et ça finit par se voir. Nous, on voulait que ça transforme le monde, donc on voulait que ça se voit et que le film ait très rapidement cette dimension spectaculaire qui demande beaucoup de temps.

Le Covid est apparu pendant que vous étiez en train d’écrire ce film. Cela a-til permis d'explorer d’autres pistes et des idées auxquelles vous n’auriez pas pensé auparavant ? 

Thomas Cailley : Ça a vraiment validé l'instinct premier de l’écriture. Il fallait, non seulement, que cela se déroule dans la France contemporaine, mais aussi ne pas identifier le patient zéro, ne pas regarder la première créature qui arrive dans ce monde. Si on faisait ça, on allait se faire détruire par le dispositif, le film allait courir après “pourquoi ça arrive ?”, “comment on fait ? ”, “est-ce qu’il y a une solution ?”. Ce sont de mauvaises questions qui auraient condamné le film parce que ce ne sont plus que des questions de genre de cinéma. Cela serait devenu un thriller qui court après lui-même. On trouvait que c’était bien d’arriver deux ans après, dans une société qui pense avoir fait le tour de la question, et qui se dit qu’elle l’intègre. C’est intéressant parce qu'il y a un terreau qui est fertile et y a plein de situations qui sont prêtes à exploser. Et ça, c’est ce qu’on a connu juste après le Covid, après la phase de panique et de confinement où les gens se sont cloîtrés chez eux. C’est devenu super intéressant cette espèce de retour à la normal, où on ne sait d’ailleurs pas trop où est la limite entre le normal et l’anormal. Donc, on trouvait ça intéressant de se pencher là-dessus et de mettre une loupe sur des choses qui sont moins visibles dans le monde réel. Après on a aussi fait des petits clins d'œil. Il y a un pangolin dans le magasin, il y a une lycéenne qui parle de couvre-feu, on a laissé des clins d’œil volontairement à ça, mais qu’on a transposé.

Romain Duris, qu’est-ce qui vous a particulièrement plu et intéressé dans ce projet? 

Romain Duris : Ce qui m’a plu, c’est clairement Thomas qui écrit ce film. Je connaissais Les Combattants donc j’avais des images qui me venaient en tête, puis le script, le scénario était incroyable. Incroyable par tout ce qu’on vient de dire : l’après Covid, le confinement. C’est comme si on allait un pas de plus vers comment pourrait s’adapter l’homme lors d’un changement allant encore plus loin. C’était bouleversant de lire ces jeunes qui sont témoins de ça, parce qu'on s’est tous posé la question de savoir comment ils avaient traversé les confinements et le Covid, comment ils étaient arrivés à sauvegarder leur jeunesse ? Je trouvais ça génial de faire un zoom sur cette nouvelle jeunesse dans le film, de voir comment elle s’accapare le monde qui change et comment elle vit avec ça. Je trouvais ça très juste et émouvant.

Je trouvais ça génial de faire un zoom sur cette nouvelle jeunesse dans le film, de voir comment elle s’accapare le monde qui change et comment elle vit avec ça. Je trouvais ça très juste et émouvant.

Romain Duris

Avez-vous l'impression d’avoir connu une “mutation” d’acteur dans ce film ? Est-ce que cela vous a permis de faire quelque chose que vous n’auriez pu explorer avant ?

Romain Duris : C’est sûr que ma façon d’être père est peut-être encore plus mature, plus profonde et plus dense que ce que j’avais fait jusqu’à maintenant. J’ai été père dans les Klapisch et dans d’autres films, mais là je trouve qu’on pourrait se passer totalement des créatures et du monde fantastique. La façon qu’a François d’être père et le rapport qu’il a avec son fils, c’est très intense. Ça évolue beaucoup pendant le film : au départ je suis un peu spectateur de cet enfant, puis on traverse une période d’impuissance où j’essaye de faire avec ce que je peux mais il m’échappe et à la fin, il devient un homme et je l’observe d’une autre façon car il est différent de ce à quoi je m’attendais, comme pour chaque parent. Il a vraiment une façon d’être universelle dans cette paternité, et ça c’est vrai que je ne l’ai pas fait à ce point-là, aussi concrètement que ça.

Vous réalisez un film très politique.  Vous le savez ? 

Thomas Cailley : Oui j’en suis un peu conscient quand même.

Pourquoi ne réalisez-vous pas un film frontalement politique ? Vous passez par le cinéma de genre, vous parlez des migrants dans le film mais ça passe par l’imaginaire, le fantastique. 

Thomas Cailley : Alors c’est très simple en fait. Vous me dites que je parle des migrants, mais j’ai une spectatrice qui m’a envoyé un message bouleversant me disant qu’elle était persuadée que ça parlait des maladies psychiques. Il y a des gens qui ne me parlent que de l’environnement et du rapport qu’on entretient avec la planète et les animaux. Donc le genre, la métaphore, permet que ce soit poreux et de toucher à une forme d’universalité. La question de la différence sera plus universelle avec cette histoire-là, que si je fais un film social sur je ne sais quelle forme de différence particulière. Donc la parabole m'intéresse pour ça, elle a une universalité que n’aurait pas le film social.

En faisant un film fantastique, vous ne choisissez pas la facilité quand même.  

Thomas Cailley : C’est vrai. Quand on a fini le scénario et qu’on a commencé à le faire lire à ceux qui sont devenus nos partenaires de création, ils ont commencé par nous dire tous “Non c’est impossible”. Alors que j’étais persuadé qu’ils allaient tous être fous de joie de le faire parce que les films français de créatures n'existent pas. Je pensais que ça allait être la cour de récréation pour eux de faire ça et ils ont tous dit non. Il a fallu vraiment énormément de temps et de réflexion collective pour voir comment on pouvait le faire. Et parallèlement, ces gens travaillaient pour des grosses productions anglo-saxonnes ou asiatiques et faisaient ces films-là, ils faisaient des créatures partout ailleurs, mais pas en France. Quand on a réussi à trouver notre méthode et le financement qui va avec, et quand on a commencé à travailler ensemble, parce que tout le monde a travaillé main dans la main en se tenant au courant, c’est devenu hyper joyeux. Je pense que c’était la première expérience commune d’un grand atelier de création sur un film français. Mais ce qui est fou c’est qu’on a toutes les compétences en France. On a les meilleurs de toutes les disciplines, que ce soit en VFX, en maquillage, en design… Mon storyboarder, Sylvain Despretz, est  le storyboarder de Ridley Scott, et il est français, il habite à Paris. Donc, on a les gens, c’est juste que les projets ont peut-être manqué. Mais tant mieux si celui-là marche et donne des envies.

Romain, avez-vous vu le film ?

Romain Duris : Oui, oui.

On pose la question parce qu'il y a des comédiens qui ne veulent pas voir les films, refusent de se regarder. Qu’avez-vous pensez du film ? Est-il conforme à ce que vous aviez imaginé ? 

Romain Duris : Non, je me suis refusé d’imaginer les créatures, tout ce monde un peu fabriqué. Je le voyais sur le tournage, mais je ne savais pas comment il allait être, puis il y avait plein de scènes où je n'étais pas. Je l’ai découvert après. Je le vis moins bien qu’un spectateur qui n'est pas associé au film parce que c’est compliqué d’avoir des émotions. Je peux sentir quand il se passe quelque chose, mais je suis moins ému que vous je pense, c’est compliqué de s’auto-émouvoir. C’est un peu spécial. Mais je pense que je vais bientôt le revoir, et peut être que j’aurais une vision avec plus de distance. Ce n’est jamais évident mais c’est pas grave, on ne verra jamais les films dans lesquels on est comme d’autres films. Je pense que ce n’est pas possible. Mais ce n’est pas ça le plus important, le plus important c’est ce qu’on a vécu.

Thomas Cailley, en 2017, au Festival Itinérances d'Alès. ©Patrice Terraz/Signatures

L'origine des mutations est hors champs. Vous êtes-vous dit, à un moment, que vous alliez y donner une explication “rationnelle” ? 

Thomas Cailley : Ce qui est dit par le médecin c’est que ce sont des mutations. C’est génétique, ce n’est pas viral. Maintenant le “pourquoi c’est arrivé”, je pense que ce n’est pas intéressant. C’est une question qui nous aurait bloqué ailleurs. Puis, ça devient une question qui génère une intrigue à suspens ou quelque chose de moral, est-ce que la nature aurait repris ses droits… Mais j’avoue que ça ne m'intéresse pas trop. Très vite, on s’est dit qu’on n’allait pas explorer ça, et on s’est plutôt demandé comment on allait faire pour ne pas l’explorer sans que ça gêne. Il y a eu des moments où il y avait un poil plus de dialogues que ça, par exemple à l'hôpital ils en parlaient un peu plus, mais on est toujours revenu en arrière en se disant que plus on ouvrait la boîte de pandore, plus on allait devoir traiter ça comme une intrigue, ce qui aurait  gâché tout le reste : la découverte du monde, le spectacle de ça et de cette société qui change. Donc oui, on s’est bien gardé de dire ça.

Avez-vous pensé à L’île du docteur Moreau, le roman de  Herbert George Welles ?

Thomas Cailley : Je n’ai pas lu le livre, mais j’ai vu deux adaptations cinématographiques du roman. Celle des années 1930, en noir et blanc, est très belle.

 Alors, y avez-vous pensé ou pas du tout ? 

Thomas Cailley : En fait, c’est mon directeur de casting pendant la préparation qui m’a dit de le regarder car je ne connaissais pas le film. Ça a joué à la marge si ça a un peu joué car on était déjà totalement lancé dans le projet. Mais en tous cas oui, il y a des questions communes, c’est un peu le chemin inverse qu’on fait.

Comment s’est passée la rencontre et le tournage avec Paul Kircher ? 

Romain Duris : C’était très naturel. On n’a pas fait de fiches analytiques sur comment être un père et un fils. On s’est abordé en se découvrant et en ayant presque une relation d’amitié en la développant hors tournage, dans les moments libres qu’on avait. Ça a été très tôt très fort, on a aimé être ensemble. Puis après, jouer le père et lui le fils, on s’y est pris très vite. Donc voilà, ça n’a pas été un laboratoire de recherches compliquées. Paul peut avoir tous les âges, il peut faire très petit à un moment, puis à d’autres moments être très mature. Donc, ça n’a jamais été compliqué en fait.

Il vaut mieux, car si l’alchimie n’avait pas fonctionné, le film se serait écroulé.

Thomas Cailley : : Oui, c’est le cœur du film, la relation père -ils est le centre qui structure toute l’histoire.

Les infos sur Le Règne animal

Synopsis : Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce phénomène mystérieux. Alors que la région se peuple de créatures d'un nouveau genre, il embarque Emile, leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence.

Le Règne animal de Thomas Cailley
avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos, Tom Mercier

Durée : 2h08
Sortie le 4 octobre 2023

- Visuels : Studio Canal
- Entretien Camille Baton et Grégory Marouzé, réalisé à Lille le 25 septembre 2023. Retranscription de l'entretien : Camille Baton
- Remerciements : UGC Ciné Cité Lille

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