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Le Procès Goldman : Entretien avec le cinéaste Cédric Kahn et l’acteur Arieh Worthalter

Le Procès Goldman : Entretien avec le cinéaste Cédric Kahn et l’acteur Arieh Worthalter

Cédric Kahn et Arieh Worthalter LE PROCÈS GOLDMAN Style : Cinéma Date de l’événement : 27/09/2023

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LillelaNuit fait le choix d'un grand film avec Le Procès Goldman. Le film de Cédric Kahn retrace une histoire quelque peu oubliée, mais qui a passionné en son temps : le procès du militant d’extrême-gauche Pierre Goldman - le demi-frère du chanteur Jean-Jacques Goldman -, accusé des meurtres de deux pharmaciennes, en 1975. Clamant son innocence, Goldman se montre, lors de son procès, tour à tour inquiétant, drôle, séducteur, arrogant. C'est Arieh Worthalter qui incarne le personnage fascinant d'un film qui nous éclaire sur notre temps. Entretien avec Cédric Kahn et Arieh Worthalter.

Arieh Worthalter n'incarne pas Pierre Goldman, il est Pierre Goldman !

Il y a sans doute dans la vie d’un cinéaste des films qui sont peut-être plus personnels. Quand Le Procès Goldman se termine, vous le dédiez à votre père. De quelle manière l'affaire Goldman, ce procès, ont-ils accompagné votre vie ? 

Cédric Kahn : Il n’a pas accompagné ma vie. Mais oui, effectivement, c'est un personnage que je connais depuis que je suis tout petit. Les juifs de gauche font partie des gens qui connaissent l'histoire de Goldman, mais c'est diffus. Ce n’est pas une personnalité imposante, écrasante. Ça faisait longtemps que j'avais envie de faire un film sur Pierre Goldman. Ce film possède une particularité par rapport à mes autres réalisations car c'est la première fois que j'aborde le thème du judaïsme. Je n’ai aucun problème à parler de ça, d'autant plus que j'en ai très peu parlé dans mes films. Le judaïsme est une chose importante dans ma vie, dans mon histoire familiale, mais je n’ai jamais voulu être identifié qu'à ça. J'ai fait des films sur des personnages musulmans, sur des personnages marginaux, sur des toxicomanes, j'ai toujours envisagé mon métier de cinéaste comme une ouverture au monde. J'ai probablement convoqué aussi des choses intimes, forcément. Ça fait surement partie du fait que je prenne mon temps.

Arieh  Worthalter, est-ce écrasant de redonner vie à un personnage comme Pierre Goldman ? Comment vous l'avez approché ? Comment êtes-vous devenu le Goldman de Cédric Kahn. 

Arieh Worthalter :  Non, ce n’est pas écrasant. D’ailleurs, si le personnage existait, il y avait peu d'images sur lui, on n’entend pas sa voix. Ce n’est pas un personnage qui existe dans l'univers médiatique, sinon ça aurait peut être un peu plus écrasant. C'est mon métier. Je l'ai approché de manière très calme, on n'a pas eu 36000 discussions sur comment était le personnage. Le scénario était extrêmement bien écrit, dès la première écriture j'étais un peu soufflé. D’ailleurs, j’espère ne pas l’avoir trop montré à Cédric. Ensuite, le scénario te guide vraiment. Mais ensuite, c’était mon travail, je rentre chez moi et je plonge dans la vie de Pierre Goldman, dans sa parole, dans sa vie, donc uniquement dans son livre. Le reste ne m'intéressait pas trop. Après, ça a été un travail minutieux, d'aller déceler des détails de la façon dont il parle de lui-même, de son rapport au monde, ce qui fait qu'il est tellement explosif, rationnel et complètement irrationnel en même temps.

Il est aussi séducteur …

Arieh Worthalter :  Ça, c'est le public qui le voit. Moi je ne le cherche pas, c'est le scénario qui le rend comme ça. C'est comme ça qu'il se comporte, donc peut-être que des gens vont le trouver arrogant, d'autres, séducteur. Je ne m'occupe pas de faire quelqu'un de gentil, de méchant, de triste, Ça ne marche pas, enfin pour moi.

Arthur Harari (réalisateur de Onoda et coscénariste de Anatomie d'une chute) est exceptionnel dans le rôle de l'avocat Georges Kiejman.

Il y a de sacrés films de procès dans l'Histoire du cinéma. Votre mise en scène est impressionnante. Elle est impressionnante par le travail avec les comédiens, sur vos choix de mise en scène, sur ce que vous montrez ou pas. Quels étaient les écueils à éviter ? Comment avez-vous fait ces choix de mise en scène ? 

Cédric Kahn : Je pars du principe que je m'émancipe de tous les chefs d'œuvres qui ont été faits dans le cinéma, sinon je suis tétanisé et je ne peux plus faire de films.

Vous y arrivez ? 

Cédric Kahn : C’est obligatoire. Le miracle du travail, c'est que tout à coup, il y a une espèce d’égalité qui revient. Alors le procès ? C'est pareil, j'y pense. Et au moment de faire le film, je n’y pense plus du tout. Je rentre dans mes problèmes à moi. Je fabrique. Je suis un artisan, je suis très attaché à l'artisanat du cinéma. Je règle des problèmes, même avec les acteurs, on me dit toujours la direction d'acteurs…. Je dis bah on règle des problèmes, si l'acteur a un problème, j'essaie de le régler.

C'est presque de l'horlogerie Suisse. Il y une mécanique impressionnante et, en même temps, on sent dans votre mise en scène une liberté et presque un amusement à passer à d’un genre à l’autre. D'un film politique à un thriller, voire, à un moment, à une comédie. Je trouve que c’est un film très drôle.  

Cédric Kahn : Pierre Goldman a beaucoup d'esprit. Je dirais que c’est plus un film de dispositif que de mise en scène. C’est-à-dire que je mets en place un dispositif auquel je fais confiance, et ça me libère des contraintes de mise en scène. Et c’est pareil avec les acteurs. Je fais confiance au dispositif, je fais confiance aux acteurs et ça libère beaucoup d’énergie. Donc, je peux vraiment être inventif avec les caméras. Le filmage se fait au fur et à mesure de mes envies, de nos envies, avec les 3 cadreurs. Je ne sais pas si c'est une impression de maîtrise qui émane du film à la fin, mais ça s'est fait dans une forme de liberté énorme. C'est ça qui est paradoxal, et ça rejoint à un moment, la liberté et la spontanéité. Quand j'ai tourné avec Joachim Lafosse, comme acteur, L’économie du couple, les gens ont eu l’impression que c’est un film très écrit, très rigoureux, très formel alors qu’on a fait des impros.

D'ailleurs, vous ne jouez pas dans votre film ? 

Cédric Kahn : Ouais ! Même pas caché derrière. J'avais de quoi m'occuper. C'était un tournage très rapide, très dense, même si on dit qu'on s'amusait, c'était vraiment un sprint. C'était extrêmement jubilatoire d'avoir tous les acteurs tout le temps, c’est un terrain de jeu génial. C'est une expérience de tournage absolument exceptionnelle. Je ne sais pas si ça se ressent mais à vivre, c’est incroyable.

Avez vous l'impression que ce personnage, ce rôle, cette expérience de travail avec Cédric Kahn, ont fait sortir de vous, quelque chose que vous ne soupçonniez pas en tant que comédien ?

Arieh Worthalter : À chaque fois. On espère quand même quand on s'attaque à un rôle que ça va dévoiler des côtés de nous-mêmes qu'on ne veut pas voir, des choses qu'on se cache, des choses qu’on a enfoui. Après, ce sont des choses très intimes, mais c'est troublant parfois. Rien que sur la réflexion d’un personnage, on peut voir énormément de ponts. C'est le travail aussi de trouver ce qui est différent, et ce qui est similaire entre les personnages. Et ça peut être un peu troublant.

Cédric Kahn: Arieh fait référence au travail qu’il a fourni sur le plateau, avec cette intensité, cet effort et cette énergie, mais ce qui me trouble c'est que quand il a fait cette première lecture en découverte du texte, pour moi il avait déjà tout pour le rôle. C'est pour dire que je pense que le rôle n'a rien révélé chez lui. Je pense que c'est juste une rencontre entre un rôle et un acteur. Dans le fond c'est ça qui est beau. Enfin moi, à chaque fois que je réussi un film avec un acteur, c'est qu’il s’est passé cette rencontre entre un rôle et un acteur, et cette rencontre m’échappe. C'est un triangle, moi j'écris un rôle, j’ai l'idée de le proposer à un acteur, mais à un moment il se passe quelque chose entre le rôle et l’acteur qui ne me concerne plus. Et qui me revient puisque à l'arrivée c'est mon film.

Cédric Kahn sur le tournage de La Prière - Crédit Carole Bethuel - Les films du Worso - DR

Est-ce qu'il a encore des réticences, est-ce que cette histoire sent un peu encore le souffre ? Toute une génération ne connaît pas Pierre Goldman. Moi-même, je le connaissais assez peu. J'avais vu un documentaire sur lui mais on n'en a jamais parlé dans ma famille. Comment votre film est-il accueilli quand vous le présentez ? Cette histoire est-elle encore présente dans la tête des gens ? Sentez-vous une gêne ?

Cédric Kahn : Non, il n’y a pas de gêne. Au tournage, dans notre salle de tribunal, il y a beaucoup de jeunes qui font de la figuration pour représenter les jeunes gauchistes de l’époque. Et par la magie, et l'interprétation d’Arieh, ils sont pris par cette histoire. Ils me posent beaucoup de questions, ils vont sur internet le soir, ils lisent des articles sur l'affaire, ils s'impliquent dans le procès quasiment comme s'ils le vivaient en direct. Donc, je me dis qu’il y a quand même quelque chose. Il y avait une séduction de Goldman qui opérait 50 ans auparavant puisqu'il a quand même embarqué les gens, et cette séduction réopère. C'est la première étape.

Après à la vision du film, c'est le même phénomène. C'est pas tellement que les gens se souviennent ou font référence à ce qu’il s'est passé dans les années 70, c'est qu'il y a quelque chose dans le discours de Goldman, dans la façon d'appréhender le monde, dans son goût de la provocation, de la transgression, qui est plaisant et qui traverse les âges. Voilà, j'ai pas d'explication, mais j'observe ça.

Le film ne traite pas de la fin de Pierre Goldman, mais forcément on y pense. Et, en plus vous terminez là-dessus, par un carton. À votre avis, qui a assassiné Pierre Goldman? 

Cédric Kahn : Il n'y a pas de version officielle.

Alors, à votre avis, pourquoi n'y a-t-il de version officielle ?

Cédric Kahn : Je sais pas, vous avez peut-être la réponse. Pourquoi il n’y a pas de version officielle ? Parce qu'il n'y a pas de version officielle. Parce qu'il se trouve qu'il y a des affaires dont on n'a pas la conclusion, c'est comme ça. J’ai pas plus de vérité que les autres. Je sais qu'il y a beaucoup d’hypothèses. Je sais que ça fait partie de sa légende, il a été assassiné en pleine réunion, on ne sait pas par qui, et ça continue à nourrir la légende. Non j'ai pas d’idée, mais comme ça, et ça n'engage que moi, je trouve que ça ressemble dans le mode opératoire aux règlements de comptes entre voyous. C'est un peu déceptif, hein. Je pense que Goldman intéresse et qu’il y a quelque chose de vivant autour de lui justement car il y a tous ces mystères. Il a inventé son propre roman.

Synopsis : En novembre 1975, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.

Le Procès Goldman de Cédric KAHN
Scénario et dialogues : Cédric KAHN et Nathalie HERTZBERG
Avec Arieh WORTHALTER, Arthur HARARI
Montage : Yann DEDET

Durée : 1h56
Sortie le 27 septembre 2023

Visuels : Ad Vitam Distribution
Entretien réalisé le 19 septembre à Lille par Grégory Marouzé - Retranscription Camille Baton
Remerciements UGC Lille Le Métropole

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