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« Tremblements » : Un film saisissant sur les thérapies de conversion censées « guérir » les homosexuels

L’Actu Ciné de Lille La Nuit vous propose de découvrir en salles Tremblements de Jayro Bustamante. Ce jeune cinéaste lance un pavé dans la marre en questionnant la perception de l’homosexualité dans son pays, le Guatemala. Son film s’attaque à la société bien-pensante, puritaine, et à la religion. Bustamante évoque aussi les terrifiantes thérapies de conversion, imposées dans le monde entier, à beaucoup d’homosexuels.

Du jour au lendemain, toute la vie de Pablo (Juan Pablo Olyslager) va s’écrouler.

Jayro Bustamante : cinéaste engagé

Jayro Bustamante s’est fait connaître en 2014 pour son premier long-métrage Ixcanul(Ours d’Argent Prix Alfred Alfred Bauer à la Berlinale, Abrazo du meilleur film et Prix de la critique au Festival Biarritz Amérique Latine). Le film, remarquable, retraçait le destin d’une jeune maya tentant d’échapper au mariage forcé.

Dans Tremblements, Bustamante se montre toujours aussi engagé en racontant l’histoire de Pablo. Un jour, cet homme marié, père de famille, brillant, rangé socialement, tombe amoureux de Francisco. Du jour au lendemain, la vie de Pablo s’écroule. Il perd famille, femme, enfants, amis, travail. Il est mis au banc de toute la société guatémaltèque.

être homosexuel au Guatemala

« A l’origine de l’histoire de Pablo, il y a le récit que m’a fait un homme rencontré alors que je terminais Ixcanul. Il m’a parlé de sa vie, de son homosexualité. Ce qui aurait pu être le simple récit d’un coming-out est devenu peu à peu beaucoup plus complexe car je réalisais que j’avais face à moi un homme qui était gay et homophobe à la fois. Je réalisais progressivement que les contradictions qui habitaient cet homme venaient du carcan dans lequel il vivait, du poids de la société dans laquelle il avait grandi et vécu jusque-là. Du coup, je me suis intéressé à la manière dont mon pays considérait les gays. »*

Bustamente filme la terrifiante thérapie de conversion à laquelle Pablo doit se soumettre pour être « guéri » de son homosexualité.

Les thérapies de conversion

Tremblements fait œuvre de pédagogie. Bustamente filme avec force de détails, la terrifiante thérapie de conversion à laquelle Pablo accepte de se soumettre sous la pression de son entourage (il y a quelques semaines, Boy Erased de l'américain Joel Edgerton, abordait le même sujet), d’une société bien-pensante, machiste et misogyne, pour être « guéri » de son homosexualité.

Bustamante filme les réunions, stages « paramilitaires » que Pablo doit subir, la folie de certains religieux et croyants considérant l’homosexualité comme un péché mortel. Si tout n’était pas rigoureusement documenté, on aurait un mal de chien à croire à ces scènes effrayantes.

« C’était un des enjeux majeurs du film : la thérapie aussi surréaliste soit-elle devait être crédible. Je me suis donc inscrit à un programme de conversion afin de voir par moi-même en quoi cela consistait, mais j’ai vite été reconnu par les organisateurs qui se sont doutés que je n’étais pas là pour changer ma nature mais plutôt faire des recherches pour mon prochain film. J’ai beaucoup discuté avec des personnes qui ont suivi ce genre de thérapies. Plus je me documentais, plus j’avais le sentiment de revenir un demi-siècle en arrière tant cela témoigne d’une vision archaïque de la sexualité et de la société … »*

Bustamante livre un film orienté et critique mais ne sombre jamais dans le manichéisme.

« ... Il était logique de parler de religion si je parlais de la condition des gays au Guatemala. Les mouvements évangélistes sont quasiment devenus une force politique dans le pays – et en Amérique latine plus largement. La diversité des cultes propres à l’évangélisme a permis de toucher toutes les couches de la société. La main mise est totale. La religion est omniprésente à tous les niveaux. Tout le monde ou presque se revendique d’une église que ce soit en famille ou au travail. Votre religion peut même figurer dans votre CV. Il est très difficile de vivre en dehors des préceptes religieux, de s’échapper du cadre admis par la majorité, de vivre selon ses propres règles et désirs. C’est ce que raconte Tremblements. L’histoire de Pablo n’est pas propre à ce personnage, elle est partagée par beaucoup de gens dans un pays où 98% de la population est croyante. Les églises évangélistes ont pu prendre une telle importance au Guatemala à cause des carences même de l’État. Elles se sont souvent substituées à celui-ci pour assurer de nombreux services et assurer une sorte d’unité sociale. Par exemple, la plupart des psychothérapeutes qui sont censés « guérir » les gays sont liés à une église, de fait il n’est donc plus question de soins mais bel et bien d’endoctrinement. »*

La folie de la société, de certains religieux et croyants, qui considèrent l’homosexualité comme un péché.

Du cinéma !

Si Bustamante livre un film orienté et critique, il ne sombre jamais dans le manichéisme. Tremblements est admirablement écrit, porté par l’interprétation époustouflante (on pèse nos mots) de Juan Pablo Olyslager. La mise en scène, le montage de César Díaz et Santiago Otheguy, la photographie de Luis Armando Arteaga, sont au cordeau.

En faisant du cinéma, Bustamante évite la lourdeur du film à thèse. Construit très intelligemment comme un thriller à l’américaine, Tremblements atteint une dimension universelle. Pour autant, le cinéaste n’oublie jamais la portée sociale et politique de son film. Et ne sacrifie en rien la belle histoire d’amour entre Pablo et Francisco (Mauricio Armas Zebadúa). Quand le cinéma est à ce point intelligent, tout en prenant soin de ne laisser aucun spectateur sur le bord de la route, on en redemande !

Les infos sur Tremblements

Synopsis : Guatemala, Pablo, 40 ans, est un « homme comme il faut », religieux pratiquant, marié, père de deux enfants merveilleux. Quand Il tombe amoureux de Francisco, sa famille et son Église décident de l’aider à se "soigner". Dieu aime peut-être les pécheurs, mais il déteste le pécher.

Tremblements de Jayro Bustamante
Avec Juan Pablo Olyslager, Diane Bathen, Mauricio Armas Zebadúa, Rui Frati, Sabrina de La Hoz, María Telón…

Durée : 1h47min
Sortie le 01 mai 2019

* Propos du cinéaste issus du dossier de presse du film.
Tremblements a reçu le Prix du Public aux Rencontres Cinélatino de Toulouse 2019

Affiche et film-annonce © Memento Films Distribution, photos © TuVasVoir - François Silvestre de Sacy

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