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« Le Cours de la vie » : Entretien avec Agnès Jaoui

« Le Cours de la vie » : Entretien avec Agnès Jaoui

Agnès Jaoui Le Cours de la vie Style : Cinéma Date de l’événement : 10/05/2023

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Quel plaisir pour LillelaNuit de s'entretenir avec Agnès Jaoui pour le film de Frédéric Sojcher, Le Cours de la vie ! Agnès Jaoui y incarne Noémie, une scénariste à succès que Vincent (Jonathan Zaccaï), son amour de jeunesse, devenu directeur d'une école de cinéma, invite à donner une leçon de scénario. Le cinéma, la vie, le passé, le présent, l'amour, l'amitié, se confondent alors. Ce beau film fut l'occasion d'une discussion franche avec Agnès Jaoui sur le métier d'actrice, de réalisatrice, et la difficulté de donner naissance, aujourd'hui, à des films non formatés. Rencontre avec une grande artiste.

© Philippe Quaisse / UniFrance

Le Cours de la vie est un  film singulier. Qu'est-ce qui vous a donné l’envie d’accepter ce film, assez différent de ce que l'on a l’habitude de voir actuellement au cinéma ? 

Agnès Jaoui : C'est exactement la raison pour laquelle j'ai dit oui ! Je dois dire que l'idée de faire un film qui ne ressemble à aucun autre fait auparavant m’a plu. Je n’ai pas connaissance d'un seul film qui soit sur une leçon de cinéma. Sauf que, justement, ce n’est pas que ça, puisque j’explique comment on écrit les histoires et, qu’en plus, une autre se raconte. Et ça, ça m’a beaucoup plu. Et on ne le refera pas non plus. J’aime l’idée. Pour moi, c’est ça le cinéma. Ce sont des objets uniques. C’est exactement pour ça que je ne pouvais pas dire non à ce film.

Justement, c'est un film sur le cinéma et c’est un film sur la vie. Or, François Truffaut disait que le cinéma c’est mieux que la vie. Dans Le Cours de la vie, le cinéma, c’est la vie et la vie, c’est le cinéma.

Agnès Jaoui : Oui, François Truffaut le disait et il avait raison. C’est mieux que la vie parce qu’il n’y a pas tous les temps morts, ni les moments où on a mal à la tête... Le cinéma, c’est un tout petit peu mieux rythmé quand même !

Au début du film, on se demande où Frédéric Sojcher nous embarque parce qu'il nous fait assister à la masterclass de Noémie à travers le retour des moniteurs des caméras qui la filment. L’image est en 4/3. On se retrouve à la place des élèves. Il y a un aspect documentaire assez fort, qui se confond vite à la fiction. Or, Frédéric Sojcher a réalisé des documentaires. Tenait-il à cette forme originale pour son film : combiner le cinéma documentaire au cinéma de fiction ? 

Agnès Jaoui : Ah oui, je trouve très ingénieux ce dispositif de différentes caméras, de 4/3, de passer par différents points de vue... Le son est aussi travaillé de façon différente. C’était quelque chose à laquelle Frédéric Sojcher tenait, qu’il avait pensé comme ça. Je trouve que ça fonctionne très bien.

Agnès Jaoui dans Le Cours de la vie de Frédéric Sojcher.

Pour la séquence de masterclass, vous êtes êtes visiblement intervenue, ponctuellement, sur l’écriture. Avez-vous aussi parfois travaillé sur l’improvisation ?

Agnès Jaoui : Non, pas vraiment. Il y a eu une scène où on a un peu improvisé sur le rapport homme/femme, mais elle n’est pas au montage final. Mais non, autrement, c’est très écrit. Le truc qui était rigolo, je me demande si ce n’était pas à Lille d’ailleurs, c’est que pendant que Frédéric réécrivait le scénario, et qu’on travaillait là-dessus, j’ai donné une vraie masterclass et j’ai demandé aux étudiants de la filmer pour qu’il puisse la voir et s’en inspirer. Mais après, même les échanges, sont très écrits.

Au générique d’ouverture, il n’y a pas de grosse chaîne productrice.

Agnès Jaoui : Non, il n’y en a pas.

Les films que j’accepte, parce qu’ils me plaisent, sont singuliers et risqués, sont archi sous-financés.

Agnès Jaoui

On se demande si la singularité et l’originalité du film n’a pas fait peur aux chaînes, aux décideurs. Êtes-vous au courant ?

Agnès Jaoui : Non, je ne sais absolument pas ce qui fait qu’ils ont dit non ou ce qu’ils ont dit, mais quand même, il faut le dire aux spectateurs : la pandémie et les plateformes ont un peu assassiné le cinéma, le théâtre, l’opéra, et tous les spectacles vivants. Certains retrouvent leur fréquentation d’avant, mais on a quand même tous notre drogue quotidienne à la maison. Les gens ont perdu l’habitude de prendre ce risque-là. Du coup, les films que j’accepte, parce qu’ils me plaisent, sont singuliers et risqués, sont archi sous-financés. Ça se fait en deux temps mouvements, donc ils sont sous-financés, ils ne trouvent pas souvent leur public. Comme toujours, ce sont les plus gros films qui s’en sortent le mieux. Il y a beaucoup d’indépendants, de producteurs indépendants, de productrices indépendantes. Il y a Véronique Zerdoune, qui a eu le courage de faire Le Cours de la vie à bout de bras, et des équipes, heureusement passionnées, qui acceptent de faire ces films, eux aussi, en étant très sous-payées. Les acteurs aussi, les actrices aussi. Je n’aime pas tellement en parler parce que ça reste un métier de passion et qu’on ne le fait pas pour l’argent. Et parce que c’est moins difficile que pour beaucoup de gens qui travaillent dans des métiers bien moins passionnants, pour des salaires moins grands ou similaires, parce que, franchement là, vous imaginez pas ! Moi-même j’oublie, parce que quand on fait le film on fait le film, on pense plus à ça, mais je pense pas qu’on ne va pas pouvoir tenir très longtemps dans de telles conditions.

C’est très inquiétant.

Agnès Jaoui : Oui, je trouve aussi.

Qu’aucune grande chaîne ne s’associe pas à un projet dans lequel Agnès Jaoui et Jonathan Zaccaï se trouvent au générique, donne l’impression que la demande de formatage est encore plus forte qu’auparavant.

Agnès Jaoui : Oui, et puis en plus, c'est un film sur la transmission, archi éducatif, qui peut tout à faire servir. Je suis d’accord. J’ai tourné récemment dans quatre films qui sont très beaux, et je vais encore en faire un de Sophie Fillières, qui n’est pas la dernière des réalisatrices. Son film est ultra sous-financé. C’est à ne pas croire ! Pour tout c’est comme ça, pour le théâtre aussi. J’attends le moment où on va me demander de payer pour jouer. D’ailleurs, on en est presque là, parfois. D’ailleurs, dans le film, j’ai mon pantalon. Ce sont mes chaussures. Il y avait 1.200 balles pour le budget costume. (rires)

Le Cours de la vie est romanesque, s’approche du mélodrame. Le film parle des choix qu’on fait dans la vie, de ceux qu’on ne fait pas, des histoires d’amour passées qu’on n’oublie pas. Si le couple de cinéma que vous formez avec Jonathan Zaccaï n’avait pas marché, le film se pétait la gueule. Comment avez-vous travaillé avec lui ? Comment réussissez-vous à nous faire croire à une liaison qui a duré 5 ans ?

Agnès Jaoui : Ce qui est drôle … qu'est-ce que j'ai été contente que Jonathan accepte le rôle, enfin qu’il soit choisi et qu'il accepte… c'est que nous avons été amoureux ! Non pas dans la vie, mais au cinéma, il y a plus de 20 ans dans Le Rôle de sa vie de François Favrat. Ensuite, on s’est croisé de temps en temps mais très peu. J’aime beaucoup Jonathan, mais la vie fait qu’on ne se croise plus. J’ai aimé le voir comme acteur. J’ai aimé ce qu’il faisait. Il est vraiment très drôle. Il est vraiment très bien. Je le trouve bouleversant dans le film. Le retrouver, je pense que ça a aidé. Le fait qu’on se soit connu et fréquenté, cinématographiquement a aidét. D’ailleurs, dans le film je lui fais une blague en lui disant qu’il a changé, mais je trouve qu’il n’a pas vraiment changé. Donc, je pense que ça a aidé.

Jonathan Zaccaï et Agnès Jaoui.

Mon travail, c'est essayer de vous faire croire aux sentiments.

Agnès Jaoui

Quand vous interprétez un personnage, êtes-vous plutôt du genre instinctif ou avez-vous besoin de lui inventer une trajectoire ? Pour le rôle de Noémie, avez-vous inventé des choses de l’ordre du hors-champ, que le spectateur ignore ?

Agnès Jaoui : Oui, c’est souvent instinctif comme vous dites. C'est-à-dire qu’il y a des choses que je sais de mon personnage, par exemple le visage de ma compagne dans le film, je l’ai en tête. C’est comme quand on lit un livre. Vous voyez ce que je veux dire, on met des images sans même s’en rendre compte. Donc, c’est plus ce type de travail. C’est marrant parce que quand j’ai vu le film je me suis dis : “elle est bien différente de moi quand même”, alors que je pensais qu’elle allait être proche de qui je suis, mais en fait non, parce qu’il y a des choses qu’elle affirme. Parce que c’est le texte qui dit les choses. Après, mon travail, c’est de faire croire que c’est vrai, que je suis Noémie, et essayer de vous faire croire aux sentiments.

Le texte vous suffit-il ou avez-vous besoin d’échanges avec le réalisateur pour vous nourrir ?

Agnès Jaoui : Oui, il y a forcément des échanges. Le texte ne suffit pas à me nourrir, il dit qui je suis. Je n’ai pas à le surligner. Jouer le méchant parce qu’on joue un méchant, est une erreur qu’on fait parfois quand on débute. Je pense que mon travail, c’est de défendre mon personnage. Toujours !  Et de ne pas indiquer quoi que ce soit. Je suis dedans. Après, évidemment on a parlé avec le réalisateur, et puis il y a le moment où on choisit le costume, le maquillage. Tout ça, crée aussi le personnage.

Pourquoi Frédéric Sojcher a-t-il voulu adapter le livre d’Alain Layrac ? Vous en a-t-il parlé ?

Agnès Jaoui : Non non, il ne m’en a pas parlé.

C’est intéressant que vous ne ressentiez pas le besoin de connaître la raison de cette adaptation cinématographique.

Agnès Jaoui : Oui, et puis je ne me vois dire à aucun réalisateur : “Pourquoi t’as voulu faire cette histoire ?”

Donc, ce qui vous séduit dans un projet, c’est le texte, le personnage ?

Agnès Jaoui : Oui, c’est le texte et les personnages. De toute façon, c’est vraiment très simple, à chaque fois je lis, je ferme et je fais “Je peux pas dire non” ou alors je ferme et je fais “Mmmh, bah oui mais non”, ou alors non direct. Quand je me pose des questions, c’est que je ne vais pas le faire. J’avoue que c’est quelque chose de très particulier, qui tient à des sentiments que je ressens ou pas. Après, je peux évidemment me tromper, être déçue ou être surprise par la réalisation. Mais à chaque fois, je ressens quelque chose qui me chope. Parfois vous êtes chopé, puis après le scénario baisse et on sent que le mec a eu une bonne idée, mais ce n’était qu’une bonne idée. Mais des fois, ça tient jusqu’au bout, et ça a été le cas pour ce scénario-là. Et puis pour répondre à votre question précédente, je sais aussi pourquoi je ne pose pas cette question : faire un film c’est trois ans de votre vie, voire deux, pour certains cinéastes. Ce sont des gens qui travaillent beaucoup.

Tout le monde n’est pas François Ozon. 

Agnès Jaoui : Oui, en général, c’est plutôt deux ou trois ans de travail. Quand vous faites un film, c’est parce que vous y tenez. Je n’ai même pas à poser la question : c’est parce que c’est vital ! Autrement, vous ne passez pas trois ans à vous battre comme un fou pour arriver à l’aboutissement d’un projet.

Géraldine Nakache, Jonathan Zaccaï et Agnès Jaoui.

Sur un film où vous êtes uniquement actrice, alors que, par ailleurs, vous réalisez des films, regardez-vous la façon dont les autres cinéastes travaillent pour apprendre ?

Agnès Jaoui : Bien sûr !  Alors, je reste distante dans la mesure où je n’interviens jamais. Parce qu’il faut un chef, pas deux, sur un plateau de tournage. Mais, en revanche, oui bien sûr que je continue à apprendre, à observer et à être surprise. Des fois, à être énervée. (rires). Mais autrement oui. D’ailleurs, j’ai réalisé Le Goût des autres avec la peur au ventre, parce que je n’avais jamais rien réalisé avant, si ce n’est une bande-annonce. Mais ça m’a servi, j’avais quand même une petite habitude des plateaux. Je n’avais pas fait 60 films en tant qu’actrice, mais j’en avais fait quelques-uns, et ça aide, évidemment.

Vous est-il déjà arrivé de choisir un film pour de mauvaises raisons, ou de ne pas avoir choisi un film et de vous dire “Mince, j’aurais dû” ?

Agnès Jaoui : Oui. Les chansons d’amour de Christophe Honoré, je l’ai refusé et je le regrette, parce que c’est beau ce qu’il fait. Puis, je suis absolument folle de la musique d’Alex Beaupain. Mais je pense que le scénario était moins bien que le film, ou je n’ai pas su le lire, ça c’est très possible, ou je n’ai pas su faire confiance au talent du réalisateur. J’avoue que je me base sur le scénario. C’est pour ça que, des fois, à l’arrivée c’est un peu moins bien que le scénario. Ça arrive souvent ! Et des fois, c’est encore mieux que le scénario. Mais ça, on ne peut pas le deviner, sauf quand ce sont des cinéastes très accomplis. Et encore, quand j’ai lu Comme un avion de Bruno Podalydès (j’aime beaucoup son cinéma) je me suis dit “Putain, ça passe ou ça casse”. Le film est meilleur que ma lecture. Mais alors quand ils ne sont pas identifiés, comme Frédéric Sojcher, ou comme pas mal de premiers films que je fais, oui c’est un risque, mais c’est ça qui est chouette.

Avez-vous une idée de scénario pour un futur film d’Agnès Jaoui ?

Agnès Jaoui : Oui.

On va donc vous revoir comme réalisatrice.

Agnès Jaoui : Oui, j’espère oui.

Vous filmez la France, vous filmez notre société. Il y a des choses à dire en ce moment, il y a beaucoup de choses à raconter.

Agnès Jaoui : C’est pour ça que ça me démange !

Les infos sur Le Cours de la vie

Synopsis : Noémie retrouve Vincent, son amour de jeunesse, dans l’école de cinéma dont il est désormais directeur. A travers une masterclass hors norme, elle va apprendre à Vincent et ses élèves que l’art d’écrire un scénario c’est l’art de vivre passionnément.

Le Cours de la vie de Frédéric Sojcher
Scénario  et dialogues Alain Layrac
Sur une idée de Frédéric Sojcher, d’après le livre d’Alain Layrac, Atelier d’écriture, 50 conseils pour réussir son scénario sans rater sa vie, Hémisphères, 2019

Avec : Agnès Jaoui, Jonathan Zaccaï, Géraldine Nakache
Musique de Vladimir Cosma

Durée : 1h30
Sortie le 10 mai 2023

Visuels et film-annonce : Tabotabo films, Sombrero films , Leto Films et Jour2Fête
Entretien : Grégory Marouzé, réalisé le 20 avril 2023 à Lille. Retranscription de l'entretien Emma Legname
Remerciements Gilles Lyon-Caen, cinéma Le Pont des Arts

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