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A l’intérieur

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Julien Maury et Alexandre Bustillo Date de l’événement : 04/06/2007

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Qui est à l’origine du projet ?

Alexandre Bustillo : L’idée du scénario vient de moi. Je l’ai écrit, ensuite, nous avons retravaillé les versions suivantes ensemble. J’avais une amie enceinte, quasiment à terme, qui habite dans un petit pavillon de banlieue à l’identique de celui du film. Je me suis demandé ce que pouvait éprouver une femme enceinte, vivant seule chez elle, si quelqu’un rôdait autour de sa maison. C’était l’idée de base. Ma première pensée était de confronter cette femme à un tueur en série, un homme donc, qui traquait des femmes enceintes pour se nourrir de leur placenta. Idée rigolote mais qui retombait dans les travers du slasher classique. J’ai donc rapidement changé le sexe du tueur et là l’histoire découlait d’elle-même, devenant plus original que le simple monstre qui traque une femme esseulée.

Cherchiez-vous un sujet qui ferait l’objet d’un film sans concession ?

B. : La démarche première n’était pas : « cherchons un sujet pour faire dans le ‘’no limit’’ ». Généralement, les films d’horreur qui mettent en scène une femme enceinte sont assez rares et de plus ce sont plutôt des films fantastiques, comme Rosemary’s baby par exemple. Nous, nous voulions faire un film ancré dans le réel. Après, toute l’horreur du propos a découlé de ça. Ce n’était pas : « tiens, prenons un sujet tabou et transgressons-le » car je pense que même un homme qui ne connaît pas la maternité peut éprouver de la compassion et comprendre cette peur. On ne voulait pas tomber dans le triller américain très sage genre La main sur le berceau. L’ultra-violence graphique que nous avons arboré vient du fait que nous voulions faire un vrai film d’horreur et aller jusqu’au bout, parce que nous sommes de grands fans du genre.

Justement, quelles sont vos références en la matière ?

Julien Maury : Notre référence majeure c’est Halloween de Carpenter. A la fois pour le pavillon de banlieue tranquille où va se déchainer la violence la plus inimaginable, mais aussi pour la méchante, Béatrice Dalle, son côté Mickael Myers, ce côté mythique du personnage. L’autre référence est française : Mort un dimanche de pluie de Joël Santoni, qu’on a projeté à toute l’équipe. Il y avait plein d’élément qu’on adorait, notamment cette grande maison qui ressemble davantage à un tombeau qu’à un lieu de vie. Et surtout cette manière de faire du ciné qu’on n’a plus trop l’habitude de voir. Il aborde des sujets tabous de manière frontale et sans concession et nous voulions marcher dans ses traces.

Avez-vous pensez à un moment qu’il vous serait impossible de faire un tel film en France ?

B. : Bizarrement non. On a eu beaucoup de chance, on a trouvé des producteurs dés la première version. Des producteurs courageux qui ne nous ont pas bridés. Ça ne semble pas un exemple à suivre en France car les films sont majoritairement produits par des chaînes télé, qui achètent des films pour le prime time. Ils ne sont donc pas friands des films d’horreur interdits au moins de 16. Le notre a été monté en moins d’un an, ce qui est assez exceptionnel. On ne s’est donc pas dit à un moment qu’on ne pourrait pas le faire parce qu’un mois après le premier scénario on avait déjà des producteurs.

Le film est très lyrique mais il est plutôt brut de décoffrage, épuré même : le huit-clos, les personnages,… Etait-ce aussi une volonté de départ ?

B. : La première version était encore plus courte, plus ramassée, on ne savait même pas qui était le personnage de Dalle : c’était juste une personne mal attentionnée, qui arrivait de nulle part et voulait un bébé. Nous avons amplifié l’histoire sinon ça aurait pu être un court-métrage. Nous voulions aller à l’essentiel, ne pas s’embourber dans de longues scènes d’exposition mais entrer dans le vif du sujet. On a même pensé l’épuré davantage, faire un film muet quasiment. De plus, les dialogues ne sont pas le point fort du film. Le combat de ces deux femmes pour l’enfant suffisait.

Les acteurs n’ont-ils pas eu de problèmes pour se glisser dans la peau de leur personnage ?

J.M. : Non, au contraire. Nos acteurs étaient heureux de sortir du rôle accordé à l’acteur type français. Ça fait un peu cliché de dire ça mais ce que je veux dire c’est que Béatrice Dalle s’est sentie super à l’aise avec le côté physique de son rôle. Alysson aussi d’ailleurs. Elles ont eu un entraînement en amont pour gérer les scènes d’actions : apprendre à se battre sans porter les coups ou même gérer une chute. Pour les autres rôles, il y a un côté très ludique dans les films d’horreur. François-Régis Marchasson et Nathalie Roussel, qui ont des CV longs comme le bras, sont venus nous dire qu’ils avaient retrouvé des sensations de jeu en faisant ce film. Choses pour lesquelles ils avaient choisi de faire ce métier : ce jeu enfantin de jouer à mourir, porter des masques, se maquiller, porter des prothèses, ou être recouvert de sang.

Avez-vous eu du mal à trouver les deux rôles principaux ?

B. : On a essuyé beaucoup de refus. Pour le rôle de Sarah, on avait les noms de quelques jeunes actrices françaises en tête, mais ça n’a pas marché. Puis, La Fabrique nous a proposé Alysson qu’on ne connaissait pas. En ce qui concerne Dalle, c’est un cas un peu à part. Vraiment. Nous on rêvait de Dalle mais pour nous elle était intouchable, dans le sens où c’est une vraie star. Avec des choix de carrière très ciblée, très précis et sans concession. Nous on voulait faire un film d’horreur, sans message particulier, on sortait de nulle part, mais qui ne tente rien n’a rien. Alors coup de bol, ça a marché ! Mais on avait 25 noms au cas où elle refuserait ! En attendant la réponse de Dalle, on continuait de chercher sans jamais trouver. On essuyait refus sur refus.

Ça rejoint donc ce que nous disions tout à l’heure par rapport à la difficulté de réaliser un film d’horreur en France…

B. : Oui pour le casting. Mais généralement, le problème c’est de réunir l’argent. A ce niveau là, ça a été, on a été béni. Mais c’est vrai qu’à un moment on s’est dit qu’on ne trouverait jamais quelqu’un au cas où Béatrice refuserait.
J.M. : Personne ne voulait persécuter une femme enceinte ! Marrant…

A qui avez-vous pensé si ce n’est Béatrice Dalle pour interpréter la Femme ?

B. : Au début de l’écriture, le personnage de la Femme était beaucoup plus âgé. Il n’y avait pas de justification précise quant à ses intentions. C’était juste une femme que l’on devinait brisée par la vie qui ne pouvait plus avoir d’enfant. A ce moment, on pensait à Sylvia Kristel, Emmanuelle donc, qui est aussi une icône. Mais Dans ce cas, on prenait une autre direction. Donc, on a rajeunit le personnage et on lui a apporté un background. Ce qui correspondait davantage à Béatrice. Il faut dire que le rôle était moins physique aussi au début. On se rapprochait davantage du triller. Cela aurait été un autre film mais aussi très intéressant.

Vous disiez tout à l’heure qu’il n’y a pas véritablement de message dans votre film, pourtant vous choisissez de situer l’histoire dans le contexte des émeutes des banlieues ?

B. : C’est le seul message… sans pour autant être un véritable message ! C’est juste que l’image des banlieues qu’on a montré dans le film, avec de vraies images d’archives, c’est pour montré que c’est ça la véritable violence. On savait que certaines personnes nous attaqueraient sur la violence du film. Pourtant c’est de la violence fictive et nous n’avons aucun problème avec ça. On n’a aucunement l’impression de transgresser quelque chose. C’est du cinéma, tout va bien. La seule image de violence du film pour nous, c’est la seule image réelle extraite des actualités de 2005. Après, d’un point de vue scénaristique, cela permettait de créer un vrai climat anxiogène autour de la maison, comme quoi la violence est partout. Dalle disait souvent, quand on tournait les scènes les plus abominables, « de toutes façons, on sera jamais aussi trash que le 20h ! ». Ça reste du cinéma, donc tout va bien.

Le parti-pris de montrer la violence par le biais du gore demande une photographie adaptée. Quelles sont vos influences et quels conseils avez-vous prodigué à votre propre directeur de la photographie ?

B. : On voulait travailler avec Benoît Debie, le directeur de Calvaire, Irréversible… Il adorait le scénar’ mais il était pris contractuellement. Ensuite on s’est reporté sur un autre chef op’, Guillaume Schiffman, qui a fait de bons boulots récemment, notamment sur OSS 117, mais lui aussi était pris sur un autre film. Finalement on est tombé un peu par hasard sur le travail de Laurent Bares, puisque c’est par l’intermédiaire d’un clip de Noir Désir, qui s’appelle Lost. On adorait ce clip. C’est vraiment ce qu’on recherchait : partir d’une lumière « réelle » pour dévier peu à peu vers une lumière « rongée », plus chaude, plus proche du conte, finalement. On était très heureux de rencontrer ce mec, il a fait un super boulot. Après il y en a qui aime et d’autres qui n’aiment pas la lumière du film mais nous voulions vraiment prendre un parti-pris. C’était l’un des postes, avec le montage, qui faisait partie de nos priorités. Au niveau des références, on en avait mille à lui soumettre, et lui-même apportait sa touche. Dans presque chaque plan, il y a une référence. Pour les plans dans la cuisine, nous cherchions du côté de Spielberg par exemple. Il y a aussi beaucoup d’Argento, de giallo, de film italien. Il y a aussi Le Cercle Infernal, un film de fantôme avec Mia Farrow, qui nous a inspiré pour les scènes de parc. On cherchait une ambiance un peu terne, des couleurs proches du Locataire également. On voulait vraiment que la dépression de Sarah contamine l’image, son quotidien, et au fur et à mesure des meurtres, du sang versé, que l’image se réchauffe pour créer cette sensation in utero. Une couleur très chaude, proche du ventre maternelle, jusqu’au plan fantasmagorique sur Dalle à la fin, où on n’est plus du tout dans le réel mais plutôt dans la mythologie. On est revenu à quelque chose de calme et de confiné. On est presque bien avec Béa à ce moment (rire).
J.M. : Dans la note d’intention en ce qui concerne la lumière, mais aussi tous les chefs de postes (décors, costumes, etc.) on avait spécifié qu’on ne voulait pas de rouge. Le seul rouge devait être le vermillon du sang. Laurent a déjà travaillé sa lumière par rapport à cette contrainte avec des filtres mais aussi main dans la main avec le chef déco (les murs de la maison sont verts ou blancs).

Au niveau des costumes, Béatrice Dalle porte une robe aux influences gothiques…

B. : Notre influence pour Béa dans le film, c’était Deborah Kerr dans les Innocents, un de nos films préférés, un film de fantômes des années 60, qui est peut être le film le plus flippant de l’histoire du cinéma. On cherchait à faire transparaître une forme d’intemporalité à ce personnage, qu’on se dise : « mais qu’est-ce que c’est que cette femme en corset ? ». On voulait vraiment que ce soit un mix entre Deborah Kerr et Pinehead, le méchant à tête de clous d’Hellraiser. Elle devait avoir un côté « sortie des ténèbres », mais également un côté des serial killer des giallos d’Argento, de Bava, où les tueur sont toujours habillés de noir et tuent à l’arme blanche. C’est un personnage, où le corset apparaît comme une camisole de force : une fois retiré, il lui permet de libérer sa folie meurtrière. Ensuite elle est en robe, très classique. En plus c’est le Réveillon, donc on croirait presque qu’elle est habillée pour l’occasion !

Depuis quelques années maintenant, on retrouve des films d’horreur sans concession sur les écrans. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une période ? Qu’on y trouve tout et n’importe quoi ? Que c’est salutaire pour vous ?

B. : Plus une époque est violente, plus l’art qu’y s’y rattache sera violent. Dans les années soixante-dix, le cinéma américain a donné ses plus beaux fleurons au genre, ses films les plus énervés, correspondant avec l’époque de la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, ils se font un Vietnam numéro 2 en Irak, donc le cinéma de genre n’a jamais été aussi gore, avec des films comme Hostel par exemple. Quand vous regardez ce film, vous avez l’impression de voir Abougrahib ou Guatanamo. C’est ouvertement inspiré de notre époque. L’art étant le miroir de notre société, si nous vivons dans un monde ultra-violent, l’art peut être ultra-violent. Nous n’arrivons pas à la cheville de la réalité. Pendant la préparation du film, beaucoup nous disaient : « qu’est-ce que c’est violent votre truc ! », mais au même moment, deux faits divers nous montraient que la réalité dépassait la fiction, puisqu’au Japon, une femme éventrait une femme enceinte et remplaçait son bébé par une poupée de Mickey, et aux Etats-Unis une femme volait le bébé de son amie en l’étripant.
J.M. : Il est vrai que certains films aujourd’hui abordent des sujets tabous de manière très frontale. Il y a nous mais aussi Fabrice du Welz (Calvaire) qui prépare son Vinyan, (l’histoire d'un couple cherchant à faire le deuil de leur enfant disparu lors du tsunami) ; ou Frontières de Xavier Gens qui parle de néo-nazis,… tout ça c’est le reflet d’une époque ultra-violente.

Quels sont vos projets ? Ensemble ? Chacun de votre côté ?

B. : Toujours ensemble et toujours dans le même registre ! (rires) Par même registre j’entends le cinéma de genre. Et toujours en France si possible. On a pas la prétention de faire bouger quoi que soit, c’est le public qui décidera. Si le film de genre doit renaître de ses cendres en France, ce sera exclusivement par un succès public. Mais nous, on espère encore convaincre des producteurs d’investir dans un film de genre. On a tout ce qui faut en France pour ça : les gens sont motivés parce qu’ils en font tellement rarement que ça les sort un peu de leur train-train.

Alexandre Aja est parti…

J.M. : Ils sont tous partis !
B. : Mais ils risquent de tous revenir…
J.M. : Quand on n’arrive pas à monter son projet en France, comme Eric Valette (Maléfique) et qu’on sait que l’Amérique nous met la pression parce qu’ils cherchent du sang neuf un peu partout, c’est dur. Et on n’a pas échappé à la règle. On a reçu 40 scénarios des Etats-Unis en 10 jours ! Hollywood, c’est un fantasme bien sûr, mais on n’a pas envie d’y aller pour y aller et faire un énième film d’horreur américain. Sauf si un scénario nous emballe vraiment. Ce qui n’était pas le cas dans les 40 ! (rire). Ils essaient d’attirer les jeunes réal’ par la quantité plus que par la qualité.

Vous vous voyez comme des pionniers ?

B. : Nan, il y a déjà beaucoup d’antécédents, on est pionniers de rien du tout ! On veut juste apporter notre petite pierre au modeste édifice du cinéma de genre français, et essayer de le faire monter plus haut au fil du temps. C’est vrai que d’un côté, aux Etats-Unis, on a mille projets, c’est comme d’arriver dans un grand magasin de bonbons, mais de l’autre, ce n’est pas très valorisant parce qu’ils veulent tout le monde ! Nous pas plus qu’un autre. Donc on préfère « en chier » ici pour le moment. C’est plus valorisant de monter un projet fou en France qu’un projet assez commun aux Etats-Unis. Et bizarrement, il y a peut être moins de liberté à faire un film hollywoodien. Si nos producteurs passaient nous voir tous les jours, jamais ils ne s’installaient derrière le combo pour nous dire ce qu’on avait à faire.

Pour ce film, vous souhaitiez travailler avec Béatrice Dalle, pour le prochain, avec quelle star voudriez-vous travailler ?

B. et J.M. (en chœur) : Béatrice Dalle !
B. : On va faire que des films avec elle maintenant. Et c’est ce qu’elle dit aussi sur plusieurs plateaux télé. On est super contents et on l’espère ! Même pour le rôle d’un cadavre! Nan mais plus sérieusement, il y a beaucoup d’acteurs et d’actrices ici avec qui travailler. C’était aussi le cas de Duvauchelle. On se disait : « mais attends, ce mec est boxeur, physique, et tout… pourquoi il ne joue pas dans des films d’action ? ». On voulait projeter un acteur de films d’auteur dans un univers super vénère et y en a plein d’autres ! On adore Gilles Lelouche par exemple. Il y a en France pleins de jeunes acteurs qui ont un potentiel d’action star, pouvant rivaliser avec les américains, rois dans ce domaine. Dans les années 80, on avait Giraudeau, Lanvin et j’en passe. Et après, on n’a plus rien. Si ! on a Cornillac, mais on le retrouve dans tous les films de genre ! Donc on a envie de lui dire : « attends, laisses-en un peu aux autres ! Tu ne vas pas pouvoir monopoliser le marché à toi tout seul ! ». Mais à part lui ?... On l’adore, on ne lui fait pas de reproche mais on a envie de voir d’autres acteurs dans des registres plus physiques. Ce qu’a fait Canet sur Ne le dis à personne, je trouve ça mortel ! Avoir projeter Cluzet dans un univers physique, où il court partout, traverse le périph’ etc. C’est génial ! On adore cette démarche de prendre des acteurs qu’on n’imaginerait jamais dans un film d’action et de leur attribuer un rôle physique. Donc notre prochain film sera un film avec 12 ou 13 rôles principaux ultra-physiques, avec des acteurs qui n’appartiennent pas forcément à ce registre.
J.M. : Il faut juste passer outre les étiquettes.
B. : Quand on voit Alysson, c’est un petit bout de femme qu’on ne voit pas dans un rôle physique. Et pourtant elle tient la route ! Béatrice aussi ! C’est une vraie marmotte, elle dort tout le temps, elle n’est pas physique et pourtant elle prouve le contraire.

Et si vous n’arrivez pas à faire votre film en France ?

B. : Et bien dans ce cas-là, on fera comme les autres ! On dira oui à l’Oncle Sam ! Maintenant qu’on a goûté au plateau de tournage on a plus qu’une envie c’est d’y retourner !

Ce n’est pas sûr qu’un film comme le vôtre trouve sa place aux Etats-Unis…

B. : Apparemment si ! Puisqu’il a été acheté par les frères Weinstein, qui adorent le film. Ils n’ont pourtant pas leur langue dans leur poche ! Donc il y aura une sortie salle, sans doute discrète, mais au moins le film voyage.

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