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Noir sur Noir au Théâtre Massenet

Ce noir qui fait plier les hommes

Noir sur Noir, une création de la compagnie Noutique, d’après une idée originale de Clément Bailleul et Nicolas Fabas.

Cette année, cent ans après le début de la première guerre mondiale, se pose la question de la commémoration et du devoir de mémoire.  Nicolas Fabas a vingt-sept ans : il appartient à cette nouvelle génération, porteuse d’un traumatisme qu’elle n’a pas vécu, prise entre une mémoire forcée et un retour en force de la guerre, sous de toutes nouvelles formes. “Il semblerait que se souvenir par la peur et les culpabilisations ne permettent pas de comprendre” écrit-il : avec Noir sur noir, Nicolas Fabas cherche plutôt à retrouver la fleur au milieu du champ de bataille, d’après l’expression de Guillaume Apollinaire.

D’après les Poèmes à Lou d’Apollinaire, écrits pendant la mobilisation du poète durant la première guerre mondiale, le metteur en scène cherche à dessiner un espoir, ici à travers la figure de la femme. S’esquissent alors deux formes d’amour, d’abord un amour altruiste et absolu dans lequel l’acteur et chanteur Nicolas Bailleul se noie, puis un désir brutal et animal, immédiat incarné par Joël Serra, également guitariste du spectacle. C’est l’humain qui est au coeur du spectacle, parfois dans toute sa faiblesse et sa bassesse, parfois dans sa beauté et son lyrisme. En questionnant le rapport entre les sexes à l’heure de la séparation, la compagnie Noutique donne à voir une immersion au coeur des fantasmes, dans un refus de toute représentation vraisemblable ou historique.

La femme, à la fois sujet et destinataire du spectacle, est au cœur de la représentation. Ce spectacle, qu’il est difficile de définir, est à la croisée de différent arts, dans une forme hybride et composite. Entre poésie et concert, cinéma et théâtre, Noir sur Noir tire sa force de sa multiplicité, donnant à voir des moments sublimes et intenses, lorsque se conjuguent les différents moyens de représentation. Ces trois formes montrent trois rapports à la muse, à travers l’épistolaire, la poésie amoureuse de guerre et le cinéma des années 10 et 20. La polyvalence des acteurs-musiciens rejoint cette volonté de diversifier le spectacle, issu de recherches et d’expérimentations. C. Bailleul donne à entendre le texte d’Apollinaire très joliment, le corps et le visage sculptés par une lumière travaillée de manière subtile.

Caractérisé par une scénographie très épurée, le spectacle amène très naturellement le spectateur vers une nouvelle compréhension de l’intemporalité de certains sentiments. Les pans de murs en fond de scène se transforment, donnant parfois à voir les musiciens, fantasmes derrière un voile, mais devenant aussi la surface de projection de l’intériorité du personnage interprété par C. Bailleul. Le montage de films des années 10-20, travail vidéo assuré par Charles Thomas, subjugue le spectateur, qui se sent entrer dans une nouvelle intimité, et qui donne au personnage ses propres rêves à contempler par ailleurs. Apollinaire écrit : “Mais près de toi je vois sans cesse ton image/Ta bouche est la blessure ardente du courage” : c’est cet amour inconditionnel que la compagnie Noutique cherche à dessiner avec Noir sur Noir et grâce à la diversité des moyens de représentation, cette fleur au milieu du champ de bataille, ultime moyen de se raccrocher à une humanité  ébranlée et titubante.

Se souvenir cette lueur pour ne pas sombrer dans la folie et la cruauté : c’est ce dont témoigne Noir sur Noir, spectacle hybride et riche, d’une luminosité paradoxale et surprenante.

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