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Venus’Erotica lors des Journées du Matrimoine – Interview de Solène Petit

Venus’Erotica lors des Journées du Matrimoine – Interview de Solène Petit

Solène Petit Venus'Erotica

Lors des Journées du Matrimoine, mises en place par David Bobée – nouveau directeur du Théâtre du Nord – nous avons eu le plaisir de découvrir le spectacle Venus’Erotica de Solène Petit. La pièce est une profération féministe, racontant l’histoire de l’écrivaine Sylvia Plath, qui s’est suicidée à trente ans en mettant la tête dans un four à gaz. La musique est martelante et le texte est dit avec rage. Cette jeune artiste vient de terminer son cursus dans la promo 6 de l’École du Nord anciennement dirigée par Christophe Rauck. Elle nous raconte.

VENUS'EROTICA, UN SPECTACLE FÉMINISTE

Quelle est l’origine du projet Venus’Erotica que vous mettez en scène et dans laquelle vous jouez ?

C’est la première fois que j’entendais parler des Journées du Matrimoine présentées par le collectif HF (Hommes Femmes). Il s’agit d’un collectif que l’on retrouve dans plusieurs régions et qui promeut l’égalité entre les hommes et les femmes. Le nouveau directeur du Théâtre du Nord, David Bobée, en fait partie. J’ai répondu à l’appel à projets pour ces journées. Il fallait proposer une forme qui leur semblait intéressante et qui pouvait faire écho à ce qu’ils voulaient défendre. Je souhaitais travailler sur Anaïs Nin et Sylvia Plath parce que c’était deux autrices qui m’avaient beaucoup marquée à leur lecture. Lorsque j’ai répondu à cet appel à projets, elles sont apparues comme des évidences. Il y avait une intuition d’échos entre elles alors qu’elles sont très différentes et qu’elles ne se connaissaient pas personnellement, même si Anaïs Nin a parlé de Sylvia Plath dans ces cycles de conférences. Il y avait quelque chose à creuser entre ces deux figures. Anaïs Nin et Sylvia Plath travaillaient sur leurs modèles et sur la manière dont on se construit, dont on façonne son propre mythe, sa propre identité dans un monde où parfois on a pas toujours les clefs pour le faire. Ce qu’on attend du monde n’est pas forcément ce qu’il advient. Comment fait-on pour se construire devant ce fossé ? Comment parvient-on à être qui l’on veut devenir sans correspondre au rôle auquel on veut nous assigner ? Comment les modèles nous aident à vivre et à se construire ? Ces questionnements rejoignaient, de manière évidente, les thématiques qu’on voulait aborder avec Lucas Rahon pour notre compagnie.

Pourquoi avoir choisi de collaborer avec le comédien Lucas Rahon à la mise en scène et à la dramaturgie et la performeuse Ojō - ex Oxytocine à l’installation sonore ?

J’ai rencontré Lucas, il y a quatre ans dans le projet Bimbo Estate de Garance Bonotto, un spectacle sur les archétypes féminins monstrueux, sur les premières bimbos telles que Lolo Ferrari ou Pamela Anderson. Avec Lucas, ça a tout de suite matché. Désormais on veut créer notre compagnie qu’on basera dans les Hauts-de-France et plus spécifiquement à Laon. La ligne artistique qu’on aimerait défendre tourne autour de la question des mythologies personnelles. Comment tu te construis par rapport à des modèles ou bien justement comment tu t’en émancipes ? Même si j’étais à l’initiative du projet, Venus’Erotica est une co-création avec Lucas. Je serai sa collaboratrice artistique sur le solo qu’il est en train de créer, Le Père : combats choisis, dont le sujet se concentre sur les icônes pop masculines, les pères imaginaires qui ont traversé sa vie. Pour ce projet, nous serons en résidence fin janvier au Théâtre Massenet de Lille.

J’ai rencontré Ojō - ex Oxytocine grâce à une exposition à laquelle je devais participer, Carcasse, organisée par ACTION HYBRIDE, un collectif de femmes artistes. Ojō - ex Oxytocine était la performeuse qui devait jouer après moi. Même si l’installation a été annulée à cause de la Covid, je me suis intéressée à son travail, j’ai senti qu’on avait plein de choses à se dire et je l’ai contactée sur ce projet.

Ce seul en scène reprend des textes de Sylvia Plath (1932-1963) et d’Anaïs Nin (1903-1977), qu’est-ce qui vous a le plus marqué à la lecture de ces deux écrivaines américaines ? Pourquoi elles en particulier ?

Le symbole en Grèce antique était deux morceaux d’un même objet que l’on s’offrait pour se reconnaître. J’aime bien appliquer cette idée à l’art. Je me dis qu’il y a des œuvres marquées de symboles qui ne te laissent pas indifférent. Une reconnaissance s’opère sans que tu saches immédiatement pourquoi elle advient. C’est ce qui m’est arrivée à la lecture d’Anaïs Nin et Sylvia Plath. J’ai découvert les écrits d’Anaïs avant ceux de Sylvia lorsque j’avais dix-huit ans. C’était pour moi une véritable rencontre. J’ai lu la version non expurgée du journal d’Anaïs. J’ai été touchée de plein fouet. Je ne pourrais pas expliquer pourquoi Anaïs Nin m’a autant frappée.

Sylvia Plath a un rapport à la vie très particulier, elle était cliniquement déprimée. Elle a fait une première tentative de suicide à vingt ans et s'est tuée à trente. Elle me convoque sur des problématiques de femmes qu’elle a traversées, notamment sur l’inconciliabilité d’être une femme et une artiste. C’était une personnalité très intense. George Steiner dira d’ailleurs « il est déjà de poètes qui écrivent comme Sylvia Plath. […] Sans doute la mode s’en emparera-t-elle. Mais les poètes d’une grande intensité – ce qu’elle a été –, sont généralement de mauvais modèles. On peut imiter les inflexions de la voix de Sylvia Plath. Non pas son intégrité désespérée. » (Œuvres, Quarto, Gallimard.)

 

© Lucas Rahon

© Lucas Rahon

 

Pourquoi avoir décidé de n’incarner que Sylvia au plateau et pas Anaïs ?

Dans la construction, n’interpréter que Sylvia Plath a été un vrai questionnement avec Lucas, parce qu’au début, on a fait un énorme travail dramaturgique en voyant les thématiques communes de Sylvia et d'Anaïs. À la genèse du projet, on voulait que je puisse incarner les deux mais il y avait aussi le fait que je sois seule en scène. Qu’est-ce que ça allait vraiment raconter dramaturgiquement de jouer ces deux figures ? Il aurait fallu avoir deux actrices et travailler autrement pour donner à voir et raconter ces deux destins. Anaïs Nin me paraissait être une figure plus ambiguë sur quelques points, plus particulièrement sur l’inceste qu’elle dit « consentie » avec son père lorsqu’elle avait trente ans. Certains de ses propos aujourd’hui nous semblaient difficilement envisageables sur un plateau. Notre ligne a été avant tout les mythologies personnelles. Anaïs Nin a écrit des textes plutôt théoriques sur ce sujet et on a découvert ses cycles de conférences qui parlaient de Sylvia Plath. C’était plus intéressant de la faire intervenir comme un contre-point. En relisant l’écriture de Sylvia Plath, c’est cette figure qui s’est imposée de manière plus évidente. On a joué sur différents points de vue. Anaïs en contre-point mais il y a également une frontière poreuse entre les moments où je parle en tant Solène et les moments où c’est Sylvia.

Pourquoi avoir repris le titre d’une des œuvres d’Anaïs Nin pour le spectacle ?

J’ai toujours été intéressée par les femmes avec des forces de vie, des femmes un peu hors normes avec un appétit de vie et qui surtout assument un désir. Ce titre Venus Erotica, au delà des nouvelles érotiques qui composent le recueil d’Anaïs Nin, incarne, selon moi, ce modèle des femmes désirantes. Sylvia Plath est souvent présentée comme une femme déprimée, mais ce qui est frappant quand on lit son œuvre c’est qu’elle était une force de la nature. Ce titre reflète ce que j’ai envie de dire des femmes. À la différence du titre d’Anaïs Nin, on a rajouté l’accent après « Venus », Venus’Erotica, pour désigner, comme en anglais, les deux, le pluriel. Cette apostrophe marque une légère différence avec le titre du recueil d’Anaïs Nin afin de signaler que c’est ces deux figures là qu’on allait représenter.

Le passage à l’École du Nord a été important pour moi. Lille est une ville que je ne connaissais pas et que j’adore. Les gens sont chaleureux, ce sont des bons vivants et moi ça me parle ! J’adore la région car culturellement il y a beaucoup de propositions.

Solène Petit

LES différents PROJETS DE SOLÈNE PETIT

Vous êtes originaire de Paris mais vous vous êtes formée, en tant que comédienne, dans la sixième promotion de l’École du Nord. Est-ce que la ville de Lille et/ou la région vous a-t-elle marquée, inspirée dans votre parcours ?

Le passage à l’École du Nord a été important pour moi. Lille est une ville que je ne connaissais pas et que j’adore. Les gens sont chaleureux, ce sont des bons vivants et moi ça me parle ! J’adore la région car culturellement il y a beaucoup de propositions. On n'est pas loin de la Belgique et il se passe aussi énormément de choses, artistiquement parlant, chez nos voisins. Je suis fan de l’univers des Belges. Ils ont totalement un autre rapport au théâtre et je suis contente d’être à proximité de cette culture là. Lors de mon parcours d’études, j’ai eu la chance d’apprendre dans les locaux de l’école mais aussi dans le Centre Dramatique National (Théâtre du Nord) implanté dans le cœur de la ville. Travailler dans un lieu sur la grand place, symboliquement c’est fort ! Je pense qu’il y a beaucoup à créer ici et tu peux vite rencontrer les partenaires et les infrastructures. Puis, disons le, aucune ville en France n’égale les bières de Lille !

Avez-vous d’autres projets à venir ? Quand est-ce qu’on vous retrouve sur les planches de la métropole Lilloise ?

Le 14 et le 18 septembre dernier, nous avons présenté Henry VI de Shakespeare mis en scène par Christophe Rauck, que je joue bientôt en région parisienne. Je suis également dans un projet avec le metteur en scène Guillaume Vincent qui sera représenté courant 2023 au Théâtre du Nord.

J’ai fait une première mise en scène, seule, à la suite des Croquis de voyage mis en place par l’École du Nord. Venant d’une famille de cuisinier, j’ai décidé d’aller faire le tour culinaire de France en septembre 2020, juste avant le deuxième confinement. J’ai rencontré des éleveurs, des producteurs et des restaurateurs. Cette expérience a été une première étape pour un projet que je suis en train de développer en ce moment, Rêverie gourmande carnée. Ça a été un premier pas vers la mise en scène. Le lien entre féminité et nourriture m’a toujours questionnée. Pendant le voyage, j’étais en pleine séparation amoureuse et j’ai rencontré plein de bons vivants, mais qui souvent étaient à l’opposé de mes convictions politiques. Le voyage a pris une toute autre tournure que celle que j’avais imaginé. En rentrant, j’ai écrit une forme qui était sur le lien entre amour et viande, bonne chair, chair féminine et deuil amoureux. La viande constitue aujourd’hui un véritable enjeu dans la façon dont on la consomme. Je trouve que l’on a un rapport aseptisé avec les aliments. Il faudrait montrer, par exemple, un blanc de poulet lisse, totalement joli, et pas du tout de la viande rouge avec son jus et ses nerfs. Je me suis interrogée sur nous, en tant que femme, qu’est-qu’on peut montrer de notre chair ? Les figures d’ogresses me passionnent. Il y a aussi un rapport évident avec la sexualité, sur le fait d’être remplie et de se remplir mais également sur la façon dont on compare les femmes à des morceaux de viande. J’ai été encouragée par l’École à continuer dans cette direction. Il fallait que j’assume le fait d’être à la fois actrice et metteuse en scène.

Je continue de développer Rêverie gourmande carnée et Venus’Erotica en étant soutenue par le Théâtre Massenet de Lille. Venus’Erotica n’aurait sans doute pas existé ou aurait été tout autre chose sans cette expérience du Croquis de Voyage. Cette étape m’a permis d’affirmer un premier langage, un univers. La nourriture fait partie de mon histoire familiale et j’ai toujours eu envie de rattacher ce sujet au corps féminin. Il fallait que je le transcrive théâtralement. Tant que je ne l’avais pas fait, je n’aurais pas pu aller vers autre chose. Ce solo est très personnel mais je pense qu’il peut parler aussi à beaucoup de femmes. Vous pourrez retrouver une première étape de Rêverie gourmande carnée, le 9 mars au Prato dans le cadre « Elles en rient encore ».

Photo : © Simon Gosselin

Les “Croquis de voyage” des élèves de l’Ecole du Nord

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