« Faux-Semblants »: chef-d’oeuvre vénéneux de Cronenberg !

SYNOPSIS : Deux vrais jumeaux, Beverly et Elliot Mantle, gynécologues de renom, partagent le même appartement, la même clinique, les mêmes idées et les mêmes femmes. Un jour, une actrice célèbre vient les consulter pour stérilité. Les deux frères en tombent amoureux mais si pour Elliot elle reste une femme parmi tant d’autres, pour Beverly elle devient la femme. Pour la première fois les frères Mantle vont penser, sentir et agir différemment.

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Attention : film-choc ! Film-hors normes !
Lorsque « Faux-Semblants » (« Dead Ringers ») débarque sur nos écrans le 8 février 1989, certains voient d’un mauvais œil l’arrivée du nouveau film de David Cronenberg. Ils lui reprochent notamment d’avoir gagné le grand prix du fameux festival du film fantastique d’Avoriaz. On lui aurait préféré sans doute « Incidents de Parcours » de George A. Romero, « Invasion Los Angeles » de John Carpenter, « Paperhouse » de Bernard Rose (très beaux films, il est vrai). Ou même le sympathique mais plus anecdotique remake du « Blob », réalisé par Chuck Russell.
En fait, « Faux-Semblants » dérange car il est inclassable. Est-ce un film d’horreur ? Un film fantastique ? Un drame psychologique ? Une histoire de jalousie ? Un poème d’amour fou entre deux frères ? Tout cela à la fois, sans doute.

Cronenberg, qui a raté de peu en 1987 le grand prix d’Avoriaz avec le génial remake de « La Mouche », semble avoir  tourné le dos au cinéma de genre qui a fait les beaux jours de la première partie de sa carrière. C’est du moins ce que pensent quelques aficionados du cinéma d’horreur et du Cronenberg de la première période.

Si « Faux-Semblants » demeure un film à l’ambiance très clinique dans la grande tradition du cinéaste de Toronto, on ne peut pas dire qu’il multiplie les scènes chocs et sanguinolentes. Alors, Cronenberg s’est-il renié ? Que nenni !
Car à y regarder de plus près, c’est bien un sentiment d’effroi, de malaise, de peur, de terreur qui assaille le spectateur du film. On en sort choqué, vidé, lessivé. Qui a vu « Faux-Semblants » ne peut sans doute plus croiser des frères jumeaux sans penser au film de Cronenberg.

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Déjà, il faut savoir que « Faux-Semblants » est l’adaptation d’un roman de Bari Wood et Jack Gasland inspiré d’une histoire vraie, glauque et terrifiante. Celle de deux frères jumeaux, gynécologues, qui se suicidèrent ensemble dans le New-York des années 70. On ne détaillera pas tellement on atteint ici des sommets dans le sordide.
A n'en point douter, il y a ici pour Cronenberg un véritable sujet en or (il a longtemps voulu devenir chirurgien). Le cinéaste s’en est emparé avec ce talent exceptionnel et singulier qui le caractérise. Et qu’il semble avoir quelque peu perdu ces dernières années, hélas.

En fait, Cronenberg passe avec « Faux-Semblants » un nouveau cap de sa vie artistique. Il est en perpétuelle recherche. Cronenberg a déjà signé quelques grands classiques du fantastique et de l’épouvante comme « Frissons », « Rage », « Chromosome 3 », le génial car visionnaire « Vidéodrome » et « La Mouche », évidemment. Mais on regardait Cronenberg encore un peu de haut. Comme beaucoup de cinéastes de genre. Ce qui est d’une bêtise confondante.

En 1988, il est peut-être temps pour Cronenberg d’aborder l’horreur de façon moins graphique (ce fut déjà le cas, cela dit avec un film comme « Dead Zone », adaptation somptueuse d’un best-seller de Stephen King), de frayer avec d’autres formes de terreurs. Peut-être aussi pour trouver une certaine légitimité comme « auteur ».
En fait, quant on se projette le film aujourd’hui, on est frappé de voir à quel point Cronenberg ne renie absolument pas le cinéma de ses premières années. On y retrouve les mêmes obsessions pour la nouvelle chair, les corps, les bizarreries physiques (Claire Niveau est dotée de trois utérus) et mentales, …

En abordant le thème de la gémellité, il pousse même un peu plus loin l’épouvante. Car son film s’inscrit davantage dans une réalité du quotidien. Plus banale, dirons-nous. Sans pour autant oublier de nous offrir quelques belles séquences baroques. En quelque sorte, avec « Faux-Semblants », Cronenberg signe, à sa façon, un opéra de la terreur qui n’a rien à envier aux plus grands films de Dario Argento.

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La séquence de l’opération, où l’on découvre les frères Mantle portant des blouses rouge-sang est un modèle d’élégance plastique. Elle glace les sangs. Mais on ne peut détourner le regard tant le spectacle proposé est fascinant. Parions que ceux qui n’ont pu encore découvrir le film, garderont cette séquence à jamais gravée dans leur mémoire. Cronenberg filme l’intervention comme une cérémonie funèbre. Ce n’en est que plus troublant.

Et puis il y a les interprètes de « Faux-Semblants » qui achèvent de faire de ce film une réussite absolue. Geneviève Bujold, immense actrice canadienne (vu dans le très beau « Obsession » de De Palma et « L’Incorrigible » de Philippe de Broca, avec Belmondo) prend à bras-le-corps un rôle extrêmement complexe. Elle est remarquable.
Aidé par des effets spéciaux exemplaires (on ne perçoit jamais les trucages), Jeremy Irons apporte une incroyable puissance à son incarnation des jumeaux Mantle. Il est tour à tour pathétique, grotesque, drôle, bouleversant, pitoyable et effrayant. Son interprétation est une véritable performance (mot hélas galvaudé mais qui prend ici toute sa réelle signification).

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Il faut voir ou revoir « Faux-Semblants » car il s’agit sans doute du plus grand film de son auteur. Depuis quelques années hélas, Cronenberg semble avoir perdu ce qui faisait la force de son cinéma. Certes « Crash », « EXistenZ » et « A History of Violence » sont de grandes réussites cinématographiques. Mais que dire de films plus récents comme « A Dangerous Method " ? Cronenberg semble l'avoir réalisé en pilotage automatique et s'y caricaturer. Plus grave, le cinéaste qui fut souvent un vrai visionnaire tient un discours dépassé dans son "Cosmopolis". C’est d’autant plus embarrassant que, comme souvent, c’est au moment où Cronenberg livre ses œuvres les plus faibles et redondantes qu’une certaine intelligentsia le porte aux nues. Classique.

Cronenberg connait peut-être juste un petit passage à vide. A Lille La Nuit, on croit à son prochain film, "Maps to the stars". Espérons que le metteur en scène de "Scanners" y retrouve toute la verve et la force de son cinéma. Car, qui à part lui peut sonder au mieux nos terreurs, fantasmes les moins avouables et dérives folles de notre époque ?

D’ici là, « Faux-Semblants » est à revoir au Majestic de Lille pour deux semaines, avec Plan Séquence. Vous pouvez vous précipitez. Le film est un chef-d'oeuvre absolu !

Film interdit aux - de 12 ans. "Faux-Semblants" est projeté en copie 35 mm.

Film-annonce et affiche © MK2.

Horaires "Faux-Semblants".

Les reprises de Plan Séquence.

Rétrospective Yasujiro Ozu.

Les autres sorties de la semaine.

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