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« Camille Claudel 1915 »: Dumont « sculpte » Binoche !

Synopsis : Hiver 1915. Internée par sa famille dans un asile du Sud de la France - là où elle ne sculptera plus - chronique de la vie recluse de Camille Claudel, dans l’attente d’une visite de son frère, Paul Claudel.

© ARP Sélection

D’abord on est sceptique. Qu’est-ce qu’il lui prend à Bruno Dumont ? C’est vrai, quoi ! Pourquoi le cinéaste de « La Vie de Jésus » et de « L’Humanité » (difficile de faire plus radical, comme cinéma) accepte-t-il la proposition de Juliette Binoche de faire un film avec elle ?

On l’adore Binoche, mais quand même. Pour nous, Dumont, c’est avant tout le cinéaste qui tourne avec des acteurs non professionnels. Et même s’il s’en défend lors de la conférence de presse, en disant qu’il a déjà tourné avec des acteurs de métier dans « Twenty Nine Palms », on est tout de même en droit de se demander si, soudainement, il n’a pas comme l’envie de mettre un peu d’eau dans son vin. Et de se tailler un joli petit succès commercial.

C’est mal connaître le bonhomme. Non, Dumont, le cinéaste originaire de Bailleul n’a rien perdu de son exigence. De sa radicalité.
Il faut voir comment il la filme, Binoche. Elle est là, sans fard. Sans maquillage. Avec ses cernes. Son âge. Ses fêlures qu’on devine sur son visage. Dumont ne la ménage pas. D’ailleurs, cela tombe bien, c’est ce qu’attendait sans doute la comédienne. A un moment, dans une carrière, dans une vie artistique, même si on a le souci de l’exigence, on n’échappe peut-être pas tout à fait à un sentier balisé. C’est peut-être ce qu’on peut reprocher ces derniers temps à Juliette Binoche. Nous n’étions plus surpris. C’est peut-être ce qui l’a amenée à Bruno Dumont, cette envie de se surprendre. De nous surprendre.

A cette proposition, Bruno Dumont répond Camille Claudel. Mais pas comme dans le célèbre (et beau film) de Bruno Nuytten avec Isabelle Adjani, réalisé en 1988. Non, « Camille Claudel 1915 » se déroule sur trois jours et presque intégralement dans l’asile où l’artiste vivra ses trente dernières années. Camille à qui on donne l’autorisation de préparer ses propres repas car elle redoute un empoisonnement irrationnel de la part d’Auguste Rodin. Camille qui n’en peut plus de son enfermement, qui n’arrive plus à créer. Camille qui supplie son frère Paul Claudel (magnifique et fiévreux Jean-Luc Vincent) de la faire sortir. Ce qu’il ne fera jamais. Camille qui ne supporte plus les cris des « fous » qui, comme elle, sont trop humains. Bien trop humains.

Dumont ne ménage donc pas Binoche. Il la bouscule, la filme en longs plans séquences. Laisse mourir les plans. Il y a bien longtemps qu’elle n’avait été aussi éblouissante. Aussi belle. Elle passe du rire au larmes en une fraction de seconde. Elle impressionne. Pourtant, jamais elle n’a recours à des « trucs » d’acteurs. Les artifices, elle ne les utilise pas. Nous ne sommes jamais dans la performance. Elle se donne, s’abandonne à son metteur en scène. C’est magnifique.

Juliette Binoche et Bruno Dumont sur le tournage de "Camille Claudel 1915".

© ARP Sélection

Mais Dumont n’oublie pas la place des acteurs non professionnels, qu’il affectionne. Cette fois-ci, les personnes handicapées mentales ont une place déterminante. Quelques-unes des plus belles scènes du film se déroulent entre elles et Camille. C’est beau. C’est simple. Il n’y a jamais de malaise.

© ARP Sélection

Et puis, il y a la mise en scène de Dumont. Qui captive. Car soyons juste, « Camille Claudel 1915 » est un film qui peut paraître difficile. Ardu. Exigeant. C’est vrai, il ne se passe pas grand chose entre les murs de cet asile de Provence (tout juste Bruno Dumont a-t-il recours a davantage de dialogues que dans ses films précédents). Mais on ne s’ennuie jamais. Grâce à la direction d’acteurs très précise du cinéaste, son utilisation hors pair de l’écran large (format 1.85 pour les connaisseurs. Pas du Cinémascope car le film n’avait pas le budget pour).

Et même si on n’est pas croyant, on est bien obligé d’admettre que lorsque Dumont filme Paul faisant une prière, il se passe « quelque chose ». Dumont sait filmer « ça ». Ses thèmes de prédilection sont bien là: la passion et la grâce. Il est sans doute le cinéaste le plus bressonnien en activité. Ce n’est pas un mince compliment.

C’est bon, parfois, de voir un film exigeant qui s’adresse au spectateur en adulte, en personne intelligente.« Camille Claudel 1915 » vous demandera peut-être un léger effort. Mais gageons que vous ne le regretterez pas. A Lille La Nuit.Com, nous ne sommes pas loin de penser qu’il s’agit du plus beau film de Bruno Dumont. Et peut-être même de Juliette Binoche.

Affiche et film-annonce © ARP Sélection.

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