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Je suis un Soldat : Grand premier film avec Anglade et Bourgoin

Synopsis : Sandrine, trente ans, est obligée de retourner vivre chez sa mère à Roubaix. Sans emploi, elle accepte de travailler pour son oncle dans un chenil qui s’avère être la plaque tournante d’un trafic de chiens venus des pays de l’Est. Elle acquiert rapidement autorité et respect dans ce milieu d’hommes et gagne l’argent qui manque à sa liberté. Mais parfois les bons soldats cessent d’obéir.

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Louise Bourgoin et J-H. Anglade, dont la transformation physique est impressionnante © Le Pacte

 

Critique : On déplore parfois dans ces lignes le manque de courage, de prise de risques, un certain confort pépère du cinéma français. Voire un embourgeoisement qui rappelle le pire académisme de certaines productions hexagonales des années 50. Autant de griefs qu’il est impossible de reprocher au premier long-métrage de Laurent Larivière, Je suis un Soldat.

Le réalisateur a fait ses armes sur une poignée de courts-métrages avant de se battre corps et âme pour faire exister son premier long. Il en faut de la pugnacité pour faire exister une oeuvre qui sort quelque peu des sentiers battus. Il faut également des acteurs « bankable » (vilain mot) comme on dit, qui s’engagent et vous soutiennent jusqu’au bout. Ce fut le cas de Jean-Hugues Anglade et Louise Bourgoin.

Quelques heures avant que ne débute l’avant-première lilloise, nous avons rencontré l’actrice et le réalisateur. Nous y tenions ! Il faut dire que Je suis un Soldat nous a beaucoup intéressé. On y découvre un univers rarement traité au cinéma (le trafic illégal de chiens), une mise en scène particulièrement tenu pour un premier long, une écriture qui évite tout dialogue superflu, qui ne puisse être traduit par des images. Et, surtout on retrouve deux acteurs époustouflants. Si l’on sait depuis longtemps que Jean-Hugues Anglade est un Stradivarius, nous étions moins au courant de l’énergie de Louise Bourgoin - elle n’a pas toujours fait des choix heureux et, surtout, est encore une jeune actrice qui façonne sa vie artistique -.

Nous voulions savoir ce qui a déterminé le choix des acteurs et ce que Laurent Larivière a tenté de faire - et réussi - en faisant appel à eux.

Laurent Larivière : « Le film a été écrit pour Louise. C’était aussi une volonté de se dire que l’âpreté du sujet, la dureté, la noirceur allait être contrebalancées par la présence de ces deux acteurs-là. Parce qu’ils ont une histoire dans le cinéma français. Parce qu’on identifie Louise à certains rôles. Que tout d’un coup, c’est extrêmement intéressant de lui demander de faire un grand pas de côté et de plus du tout être dans l’aspect glamour qui a été souvent mis en scène. A la lecture du scénario Louise m’a dit que pour ce rôle-là, elle allait se couper les cheveux. Il fallait « casser » ce glamour là. Et pour Jean-Hugues, il y a tous les rôles dont il est porteur. Et avec la volonté d’inventer, de réinventer quelque chose avec Jean-Hugues, qu’on n’avait pas vu depuis longtemps au cinéma dans un grand rôle dramatique. Et donc, avec la volonté de le transformer physiquement avec cette barbe, cette lourdeur, ce corps qu’on n’a pas vus. S’il rentrait là dans la pièce, il fait quinze ans de moins que son personnage, Henri ».

Mais Lille La Nuit - qui a de la suite dans les idées - voulait en savoir davantage sur la façon dont Louise Bourgoin travaille un personnage. Et plus particulièrement, évidemment, son rôle dans Je suis un Soldat.

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Louise Bourgoin dans son plus grand rôle à ce jour © Le Pacte

 

Louise Bourgoin : « Être dans le concret, pour moi, c’est ça qui fait l’acteur. Être dans la manipulation des chiots, être sans cesse dans l’action, en voiture ou dans le chenil, pour moi ça me permet de « débrancher » un peu mon cerveau, de ne surtout pas être dans la psychologie. Et du coup, ça tend votre corps, c’est lui qui donne la note et puis, ça part comme ça. Les situations sont tellement fortes en elles-mêmes qu’il n’y a pas grand chose à jouer à part être et y croire. Et je me souviens que c’est Nicole Garcia qui avait attiré mon attention là-dessus (ndr: Bourgoin a tourné sous sa direction dans Un Beau Dimanche ) sur le fait de surtout pas psychologiser, ce qui est ma grande spécialité. Moi j’aime bien me raconter l’histoire du personnage. Je suis très bonne élève donc, sans cesse, je pense à ce que je peux amener de l’extérieur. Et j’essaie de plus en plus de lâcher prise et d’essayer, au fil des tournages, de vraiment plutôt écouter mon corps, de dire plutôt avec la posture et le geste qu’avec l’intonation. »

Le sujet de Je suis un Soldat n’est pas le trafic de chien. On peut (doit ?) le voir davantage comme le portrait d’une femme brisée, qui se construit, reconstruit, passe par différentes phases de mutations, avant de tendre, peut-être - nous n’en dirons pas plus - vers une certaine plénitude. Le film évoque aussi ses rapports avec les hommes. Cristallisés par les relations qu'elle entretient avec Henri, son oncle. Mais pour raconter une telle histoire, il faut bien évidemment un cadre, donner des décors aux personnages (le film a été tourné dans le Nord de la France et en Belgique), une toile de fond qui permette aux protagonistes de passer par plusieurs stades, avancer, reculer, se briser, se révolter, souffrir, …

Si comme on l’a dit le trafic illégal de chiens n’est pas le sujet de Je suis Soldat, il n’en est pas moins essentiel dans le film. D’abord, on apprend la réalité de ces trafics scandaleux qui alimentent de nombreuses animaleries. Mais on peut voir également ces trafics comme l’illustration, le symbole de la violence qui submerge notre monde. Les ignominies que des hommes sont capables de faire subir à d’autres hommes. A ce titre, une séquence du film est particulièrement explicite. On y découvre Louise Bourgoin, de nuit, qui vient acheter des chiens à des trafiquants. Les animaux sont parqués dans des camions, compressés, écrasés.

Comment ne pas passer à des évènements passés ou tristement actuels en voyant cette séquence de Je suis un Soldat ? Comment ne pas penser à l’inhumanité de certains systèmes politiques, aux salopards qui font de l'argent avec des femmes, des hommes, des enfants...  Ce moment de Je suis soldat fait froid dans le dos. Ce film qu’on peut voir comme un drame ou un polar, prend soudainement des allures de film engagé. D’un coup, ce qui nous tenait en haleine, nous bouleverse. Nous révolte. C’est ça aussi le rôle du cinéma : faire un focus sur notre monde et notre temps. Mission accomplie !

Laurent Larivière : « C’est l’idée de pas être frontal, de parler de la violence faite aux être humains. Il y a beaucoup de films qui le font. Là, le fait de trouver un dérivatif. C’était un équilibre qu’il fallait trouver pour que cette histoire de trafic de chiens, comme vous le dîtes, ne soit pas le sujet du film mais soit une allégorie de la cruauté contemporaine. C’est des chiens mais ça pourrait être autre chose. Il y a des gens qui me parlent de l’actualité, des migrants. C’est vrai qu’il y a une espèce de… de… résonance. L’argent fait que l’on ne se pose absolument pas la question dont la manière dont les gens sont embarqués. Oui, donc voilà, ça peut faire écho. L’idée était donc d’être frontal. De passer par l’animal. Cela renvoie à notre animalité. Et d’un seul coup, nous sommes plus animal que l’animal. »

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Je suis un soldat : une allégorie de la cruauté contemporaine © Le Pacte

 

Par ailleurs, toutes les séquences d’organisation de trafic que présente Je suis un Soldat sont impressionnantes. Il y a là un vérisme quasi documentaire qui nous fait comprendre que rien n’a été laissé au hasard. Laurent Larivière et son coscénariste François Decodts ont fait beaucoup de recherches.  La réussite et la crédibilité du film étaient sans doute à ce prix.

Je suis un Soldat est un coup de cœur pour Lille La Nuit. Ce n’est pas le cas chaque semaine mais lorsque cela arrive, nous aimons le faire partager à nos lecteurs. Un premier film aussi maîtrisé, intelligent, remarquablement interprété, il n’y en a sans doute pas chaque semaine à l’affiche (mais bientôt débarque l'excellent Les Cowboys). Vous savez désormais ce qu’il vous reste à faire…

Je suis un Soldat
Un film de Laurent Larivière avec Louise Bourgoin, Jean-Hugues Anglade, Laurent CapellutoAnne BenoîtVincent Collin...
Directeur de la photographie : David Chizallet
Musique :  Martin Wheeler
Durée : 1h37
Sortie le 18 novembre 2015
Affiche et film-annonce  © Le Pacte
Photos  © Christophe Brachet/Le Pacte

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