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Michel Gondry – Conversation animée avec Noam Chomsky

Michel Gondry – Conversation animée avec Noam Chomsky

Michel Gondry Style : Réalisateur Date de l’événement : 03/04/2014

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Michel Gondry était de passage à Lille le 3 avril dernier pour présenter son long-métrage, Conversation animée avec Noam Chomsky. Gondry vous le connaissez tous : il est le réalisateur de Eternal Sunshine of the Spotless Mind, La Science des Rêves, Be Kind Rewind, The Green Hornet, L’Ecume des Jours, … Amateur de musique et ancien batteur du groupe Oui-Oui, il a souvent illustré par ses clips les univers d’artistes comme Björk, The White Stripes, Kylie Minogue, IAM ou en encore The Rolling Stones.

Avec Conversation animée avec Noam Chomsky, Michel Gondry nous propose un documentaire très singulier sur le célèbre linguiste et philosophe américain. Dans son film, les propos de Chomsky sont illustrés par des séquences d’animation, dessinées et animées par Gondry lui-même dans un style enfantin.

A noter que toutes les parties d’interviews du film sont réalisées avec une caméra Bolex dénichée par Gondry lui-même, il y a vingt-huit ans, à … la braderie de Lille ! Il était donc logique que le cinéaste se confie à Lille La Nuit.Com !

© Shellac Distribution


Pourquoi avoir consacré un film à Noam Chomsky et pourquoi lui avoir donné cette forme si particulière qu’est le cinéma d’animation ? 

J’avais l’ambition de faire un film d’animation sur un des sujets scientifiques, qui me passionne. Je pense que Chomsky est un des plus grands penseurs actuels, et un des seuls scientifiques de cette importance faisant preuve d’un tel activisme. Il y a beaucoup de scientifiques qui se contentent d’énoncer des généralités, concernant la politique et l’humanitaire, et je pense que Chomsky est le seul à avoir développé les deux notions à niveau égal.

On apprend certaines choses sur Noam Chomsky, mais le film n’est pas un documentaire au sens où on pourrait l’entendre, avec des repères biographiques… Est-ce que vous n’aviez pas peur, en optant pour cette forme très originale, de perdre les spectateurs qui connaissent mal Noam Chomsky ? 

Je ne me suis pas vraiment posé la question de cette façon. Je me suis dit que par rapport à ma relation avec lui durant cette interview, j’allais moi même aller dans une direction. Je ne pouvais pas me mettre à lui parler de sa femme au bout de cinq minutes. Je donnais donc une direction plus personnelle au fur et à mesure, je me suis dit que j’oserai plus à la fin qu’au début de la rencontre. Je me suis dit qu’en suivant cet arc, il y aurait une logique qui fonctionnerait au niveau du film. Cependant, avec la première question qui est celle de son premier souvenir, j’ai trouvé une ruse pour l’amener à parler de choses très personnelles tout en engageant la discussion sur le problème d’acquisition du langage. J’ai trouvé là une première bifurcation du film, qui allait continuer en parallèle tout au long de celui-ci.

Ce qui est très marquant dans le film, c’est que vous avez conservé ces moments où vous avez du mal à vous faire comprendre au niveau de vos idées et de la façon dont vous vous exprimez en anglais...

Je lui ai quand même appris un mot : téléportation ! J’étais assez fier ! En fait, j’ai gardé ces moments parce que c’était drôle. Quand je les ai montrés à mes amis, ils ont rigolé de ma frustration parfois à ne pas pouvoir lui poser une question, ou du fait qu’il me réponde d’une manière qui me fait passer pour un idiot. C’est une sorte d’honnêteté, et aussi un moyen de justifier une naïveté que j’ai parfois dans mes questions, un manque de connaissances techniques peut-être. Et puis, ça permettait au spectateur de se distraire, réaliser que c’était un contact totalement banal et normal.
On a l’impression que faire ce film a quelque chose de vital, qu’il y a comme un contrat moral avec Chomsky, vous ne voulez pas décevoir...

Totalement oui. Il y a cette chose un peu adolescente ou infantile, qui consiste à chercher l’approbation de son aîné. Je voulais qu’il voit le film terminé, savoir s'il l’appréciait ou pas. Et puis ce film, je n’étais pas sûr de le terminer. Quand on dépense des millions d’euros pour faire un film, on est obligé de le finir, de le promouvoir, de le distribuer… Mais quand c’est un film pour lequel on a investi que ses sous à soi, personne de vient vous dire « il faut que tu finisses ton film ». J’allais devoir trouver en moi les ressources et la motivation pour le terminer, alors que j’étais assez tiraillé avec d’autres projets.

Vous n’aviez pas de cadreur… 

Non. Il y en avait un durant la deuxième session à certains moments, mais c’est moi qui tient la caméra toute la première session.

Le fait que ce soit si léger, est-ce pour une question de budget, d’économie ? 

Peut-être oui… Enfin j’aurais pu le tourner en vidéo et tout avoir. Mais je ne voulais pas me poser de questions par rapport à son image. Je voulais que son image soit projetée de temps en temps, intégrée dans l’animation. Je ne voulais vraiment pas être tentée d’utiliser les gros plans sur son image pour m’éviter l’animation, je voulais animer tout le film. Je pense d’ailleurs que c’est une des raisons pour lesquelles il a aimé le film, parce qu’il n’a pas tellement envie de se voir. Contrairement à beaucoup de gens qui font de la politique qui ont un charisme « de surface », le charisme de Chomsky est dû à son argumentation, la précision de ses recherches, l’exactitude de ses sources et l’immensité de son savoir. On n’a pas besoin de le voir en énorme pour être émerveillé, il suffit de l’entendre. J’ai posé la caméra, et c’était suffisant.


Quand on voit le film et qu’on s’imagine le travail que cela représente, on se dit qu’il doit y avoir beaucoup de moments de solitude. Est-ce que vous ressentez plus de solitude sur un film de ce type, ou sur une grosse production comme Green Hornet ? Ou alors des films comme l’Ecume des jours

Je ressens beaucoup plus de solitude sur les gros films. Beaucoup plus d’incertitude aussi. Ce qui est marrant quand on fait un film avec beaucoup de techniciens, entre 80 et 100 pour Green Hornet par exemple, c’est lorsque vous avez envie de faire pipi pendant une prise et que là, vous vous retournez, et il y a 80, 100 personnes qui ne font rien. Evidemment, ils ne peuvent pas travailler pendant que vous tournez, parce que ça ferait du bruit… Mais quand même ! On se sent assez seul dans ces moments-là. Alors que quand on est tout seul sur sa table d’animation, il peut y avoir de l’activité autour de moi et là je me sens motivé par le travail, je ne me sens seul.

 

Il est très surprenant d’apprendre que vous n’aviez que trois heures de rushes… 

Vous avez raison, c’est très peu. C’est le ratio le plus faible que j’ai jamais réalisé, sachant que pour certains films on dépasse les cent heures de rushes. En même temps, son discours est très dense, il a des choses à dire, il aurait pu parler pendant vingt heures. Mais vous savez, quand on filme quelqu’un de cette envergure, on n’a pas forcément besoin de recourir au montage. Tout ce qu’il dit est intéressant. On a parfois monté des passages pour des questions de fluidité, simplement parce qu’il réfléchit beaucoup pour choisir ses mots

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Quels étaient les écueils que vous vouliez à tout prix éviter sur un tel projet ? 

J’avais très peur de ne pas le finir. Je voulais également éviter que ça soit un long métrage ennuyeux.

Est-ce difficile de mettre sur pied un projet comme celui-ci ? 

Non, au contraire. J’avais la Bolex, une bobine de film, ça coûte 20€ environ, le papier ça ne coûte rien et j’avais la table lumineuse. Il n’y a aucune production, c'est-à-dire que les trois quarts du film, c’est moi qui les ai produits. Tout était quasiment gratuit.

Ne craigniez-vous pas que votre admiration pour Noam Chomsky ne fasse que le film soit trop élogieux ?

C’est sûr qu’il y a une admiration. De toute manière si j’ai eu envie de faire un film sur lui, c’est que j’accepte ses idées. C’est vrai que j’aurai pu être un peu plus critique, et que c’est un peu tricher que d’appeler ça une « conversation animée », parce que c’est un peu l’élève qui parle au professeur. Affirmer sa pensée par rapport à quelqu’un d’aussi pointu et puissant, ce n’est pas facile.

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