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Peppermint Frappé : Reprise d’un film Pop engagé contre la dictature franquiste !

Synopsis : Julián, radiologue, a installé son cabinet à domicile. Il travaille dans l’isolement, seulement assisté dans ses tâches par Ana, une infirmière taciturne et réservée. Un jour, Julián est invité chez son meilleur ami d’enfance, Pablo, un aventurier épicurien tout juste revenu d’Afrique. Ce dernier lui présente sa nouvelle épouse, Elena, une blonde radieuse et décomplexée. En la voyant, Julián est traversé par le souvenir fugace d’une jeune femme aperçue pendant son adolescence lors d’une cérémonie religieuse. Hanté par cette image idéale, il tombe amoureux d’Elena, laquelle se joue de ses déclarations passionnées. Dès lors, le radiologue, frustré, se tourne vers son assistante Ana et la fétichise en un objet de son désir...

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Peppermint Frappé : film étrange, au rythme relativement lent, dont la tension ne cesse de croître.

 

Pour les plus jeunes d’entre vous, sachez que le cinéma espagnol ne se limite pas à Pedro Almodóvar ou Álex de la Iglesia (que nous aimons beaucoup tous les deux). Le cinéma ibérique est une mine d’or, qui a toujours su flirter avec le fantastique, l'épouvante, l’onirisme pour faire passer l’air de rien des idées politiques, révolutionnaires, subversives, nihilistes. Il fallait des trésors d’imagination pour crier sa colère, sa révolte sous la dictature de Franco quand on était artiste. Dissimuler ses idées dans des films proches du cinéma de genre, permettait de moins subir la censure et d'exposer au public des salles obscures - moins stupide que les censeurs-  ses messages politiques.
Carlos Saura est aujourd’hui reconnu comme l’un des grands « classiques » du cinéma. Il est vénéré en Espagne, a reçu tous les honneurs dans son pays. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n’a pas vécu une vie artistique digne d’un long fleuve tranquille. La faute au franquisme, toujours. Même s’il fut adoubé relativement tôt par les festivals du monde entier -  comme à Cannes dès 1974 avec La Cousine Angélique  -. Mais que voulez-vous, on est rarement prophète en son pays…

Saura réalise son premier long-métrage en 1962 :  Les Voyous. Il est un grand admirateur de Luis Buñuel, héraut du cinéma surréaliste. Et c’est d’ailleurs à ce dernier qu’il dédie Peppermint Frappé : film étrange, au rythme relativement lent, dont la tension ne cesse de croître au fur et à mesure du métrage et qui, sous couvert de raconter la passion amoureuse d’un homme d’âge mûr pour une jeune  femme, jette un pavé rageur dans la gueule de Franco. Peppermint Frappé est très moderne pour l'époque : on y entend de la musique pop-rock, le zoom est utilisé, la libération sexuelle est sous-jacente durant tout le film, des références à la mode, à leurs revues et au cinéma européen des sixties sont présentes (Les Demoiselles de Rochefort)... On peut supposer que Saura a été marqué par un film sorti l'année précédente, en 1966, le révolutionnaire - au sens esthétique du terme - Blow Up de Michelangelo Antonioni (cinéaste auquel La Cinémathèque française consacre une exposition et une rétrospective en ce moment à Paris).

Peppermint Frappé, où l'on voit des hommes matures - et assez laids, il faut bien le dire - qui jouissent d’une vie installée relativement médiocre, est une charge terrible contre les notables, la bourgeoisie qui « s’arrange » bien du Régime franquiste - comme d’autres ont su profiter de dictatures toutes plus abjectes les unes que les autres -.

Oui, les hommes sont assez pathétiques. Pour eux, la vie n’est que plaisir et luxure alors que l’Espagne est en train de crever. Ils se comportent en enfants gâtés, se révèlent en parfaits égoïstes autocentrés, narcissiques, s’inventant des simulacres de problèmes tant leur petit confort matériel les sclérose, et révèle leur vide existentiel.

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Dans Peppermint Frappé, la vie est plaisir, luxure alors que l’Espagne est en train de crever.

 

Encore une fois, comme dans le cinéma de Buñuel, et en France celui de Chabrol, la classe bourgeoise en prend un sacré coup ! Elle est dégommée au marteau pilon par un Saura qui s’amuse à faire passer le maximum d’idées subversives sans avoir l’air d’y toucher.

Les hommes boivent des peppermint frappés en compagnie de leurs maîtresses. On les découvre dans des maisons de campagne, belles mais sinistres et ennuyeuses, qui semblent hantées par les fantômes de l’Histoire. Les personnages y errent comme des morts-vivants. Le film de Carlos Saura flirte souvent avec le cinéma d’angoisse et le cinéma fantastique : la fin de Peppermint Frappé - que nous ne dévoilerons pas - frôle les récifs du cinéma d’horreur. Point de sang, pas de gore, aucune hystérie. Mais des actes moralement condamnables sont perpétrés dans le plus grand calme par le personnage masculin principal. Tout est clinique, froid, méthodique, dénué du moindre sentiment. Morbide !

Saura filme en prenant grand soin de ne pas accélérer le tempo. C’est toute cette relative tranquillité à exécuter des actes immondes qui glace les sangs. L’angoisse n’en est que plus prégnante. Encore une fois, Saura dit que sous l’apparente tranquillité se dissimule bien des horreurs. Une belle manière de fustiger Franco, sans pour autant signer un film qui ressemblerait à un tract politique (ce qu’il n’avait pas la possibilité de faire, de toute manière).

L’autre grande référence de Saura, c’est Vertigo ! Comme dans le classique intemporel de Hitchcock - qui voit James Stewart tenter de transformer Kim Novak en une femme aimée disparue – Peppermint Frappé montre Julián, incarné par José Luis López Vázquez, qui veut transformer sa jeune assistante à l’image de son idéal féminin. Mais Saura, au contraire du grand Hitch’, se garde bien de filmer un mélodrame flamboyant et un poème d’amour fou. Il ne conserve de Vertigo que la frustration, la violence sourde, l’angoisse, la peur...

C’est Geraldine Chaplin, la fille du grand Charlie - qui prête ses traits, sa beauté diaphane et son talent au double personnage Ana/Elena (elle apparaît également dans celui de la femme à Calanda). Chaplin est si parfaite qu’on ne sait en sortant de la salle si on la trouve adorable ou totalement antipathique. D’une certaine façon, elle est à l’image des grandes Femmes Fatales du cinéma hollywoodien : troublante, irrésistible, vénéneuse.

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Geraldine Chaplin : troublante, irrésistible, vénéneuse. Comme les Femmes Fatales le Hollywood.

 

Geraldine Chaplin retrouvera Carlos Saura dans ce qui reste sans doute le plus grand succès de la carrière de l’actrice et du cinéaste : Cria Cuervos. Un autre grand film vomissant le franquisme et popularisé par la chanson interprétée par Jeanette, Porque te vas (Parce que tu pars).

Peppermint Frappé reçoit l’Ours d’Argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin. En revanche, sa projection au Festival de Cannes est empêchée par Jean-Luc Godard, Carlos Saura lui-même et quelques autres jeunes cinéastes révoltés.  Ils s’accrochent au rideau de l'écran afin que le film ne puisse être lancé. Nous sommes le 18 mai 1968. Le lendemain, le Festival est tout définitivement annulé. On imagine mal Saura, cinéaste et homme engagé, à la conscience politique plus qu’affirmée, ne pas suivre et soutenir le mouvement étudiant et ouvrier qui déferle sur la France.

Peppermint Frappé appartient donc également à l’Histoire avec un grand H. Il est des films qui dépassent le cadre strict de leur intérêt cinématographique !  Autant de raisons de le découvrir en salle, dans une copie numérique restaurée de toute beauté.

C’est l’occasion, aussi, de remettre un coup de projecteur sur Carlos Saura, cinéaste un peu passé de mode aujourd’hui, mais toujours en activité. Toujours vivant, lui, contrairement au sinistre Franco !

Peppermint Frappé (1967) Réalisation : Carlos Saura Scénario : Carlos Saura, Rafael Azcona, Angelino Fons Avec : Geraldine Chaplin : Elena / Ana / la femme à Calanda José Luis López Vázquez : Julián Alfredo Mayo : Pablo

Affiche, film-annonce et photos © Tamasa Distribution

 

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