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Wax Tailor, Archive & Alice Russell au Zénith

En ce soir du 16 avril 2010, le festival lillois des « Paradis Artificiels » ne peut être accusé d'usurper son nom. En faisant jouer, au Zénith, trois artistes et groupes d'horizons différents mais pourtant complémentaires, la programmation est tout simplement idyllique et riche en promesses dyonisiaques. Le public ne s'y est d'ailleurs pas trompé en remplissant cette grande salle pour cette soirée qui se déroulera en trois actes, aussi jouissifs les uns que les autres.

ACTE I

Alice Russel a les honneurs de débuter cette soirée. Ce petit bout de femme est une erreur de la nature. Elle est blanche, blonde, anglaise mais pourtant elle chante la Soul comme si elle était noire et née dans dans les ghettos américains. Mais attention aux méprises. Ici, on parle de Soul à l'ancienne, la vraie, celle du golden age Motown et Stax, celle, crue et honnête, qui vous parle à l'âme, vous hante l'esprit, vous donne des frissons d'extase, vous met en transe et, surtout, vous donne furieusement envie de vous vautrer dans le stupre... Pas cette nu-soul bling-bling et feutrée qui nous soulent, habillées artificiellement par des sorciers du marketing avides de nous pondre à la pelle des Joss Stone, des Jill Scott ou des VV Brown sans âme.

Avec Alice Russel, la Soul est nue, organique et orgasmique. Alice Russel est une prêtresse qui s'est imposée depuis plus de cinq ans comme l'une des voix les plus puissantes de la scène Soul actuelle, avec ses albums solos, My Favourite Letters, Under The Munka Moon et Pot Of Gold, publiés sur l'excellent label britannique Thru Thoughts, mais aussi en collaborant avec ses copains de The Bamboos ou de The Quantic Soul Orchestra. Et oui, il n'y a pas que la grande seringue tatouée et édentée avec une choucroute sur la tête pour porter haut et fort l'étendard de la musique de l'âme!

Et contrairement à cette dernière, vous avez deviné de qui je parle (allez un petit indice, son nom signifie maison à pinard), Alice assure sur scène. Dès le morceau d'ouverture, quelques notes et vocalises suffisent pour savoir que l'on va assister à une performance de très haute volée. L'anglaise a une présence à couper le souffle. Toute menue, elle réussit à s'imposer dans cette grande salle qu'est le Zénith. Entendre sa voix emplir de manière parfaite (le son, tout au long de la soirée, sera parfait) ce lieu donne la chair de poule. Elle ne laisse aucun répit au public avec des chansons toujours très enlevées, principalement issues de son dernier album ("Two Steps", "Living the Life Of A Dreamer", "Got the Hunger", "Let Us Be Loving", "Turn And Run"), mais aussi plus anciennes ("Human Kind"). Elle arrive même à nous séduire avec une reprise du trop entendu "7 Nations Army" des White Stripes qu'elle fait sonner plus vintage que l'original.

Pleine de bonne humeur et d'envie de communier sa passion pour la Soul, la pétillante anglaise est accompagnée d'un backing band qui n'a rien à envier aux formations américaines des années 60 telles que les JB's de James Brown ou le groupe attitré de la Motown, les formidables Funk Brothers. Tous revêtus d'un costard-cravate (car la Soul, ça se respecte, on ne peut la jouer qu'habillé avec classe), les musiciens d'Alice Russel offrent des exécutions pétaradantes et se lancent avec elle dans des chorégraphies entraînantes. Et si le sac à vin Amy Winehouse (pour ceux qui n'auraient pas compris les allusions) a l'habitude de s'écrouler sur scène, ici, ce sont les musiciens qui s'effondrent littéralement devant l'intenable blonde, estomaqués par tant de puissance vocale. Il n'y a pas de doute, les Paradis Artificiels nous font côtoyer les anges.

Il est à noter que les amateurs de soul pourront de nouveau se régaler le 30 avril avec la venue à l'Aéronef d'Eli Paperboy Reed, petit blanc-bec américain chantant également divinement bien cette musique bénie des dieux.

ACTE II

Il ne faudra que vingt minutes aux roadies pour préparer la scène pour Wax Tailor. De retour d'une pause clope et bière bien méritée, on découvre un décor à l'ambiance urbaine, avec des répliques d'immeubles nord-américains, de buildings, de lampadaires avec au milieu de tout ça un écran géant et d'autres plus petits avec des vidéos qui défileront tout au long du set.

Le show peut démarrer. Le contrebassiste Matthieu Detton et la violoniste Marina Quaisse s'installent à gauche de la scène, la toute mimie flûtiste aux pieds nus Ludivine Issambourg à droite. Wax Tailor, de son vrai nom Jean-Christophe Le Saout (ça le fait moins comme nom de scène!) s'installe, lui, dans le fond, les platines posées sur le toit d'un immeuble. Car Wax, tel un seigneur de la ville, domine la musique urbaine contemporaine.

Féru de musique, celui qui aime se décrire comme un vandale (« Je ne sais rien faire en vrai, je bricole »), Wax Tailor, avec trois albums au compteur (Tales Of The Forgotten Melodies, Hope & Sorrow et In The Mood For Life), construit depuis une bonne décennie un répertoire qui navigue entre instrumentaux Trip-Hop, Rap Up Tempo imprégné de Soul (la transition musicale avec Alice Russel se fait donc naturellement) et vocaux éthérés à la mélancolie prenante. Un phénomène, qui par la force de son talent et le bouche à oreille, a réussi à se faire une place de choix dans le paysage musical hexagonal mais également à l'étranger (Wax Tailor tourne énormément aux USA où il connait un succès grandissant).

La force du tailleur de cire? Ses prestations scéniques. Car là où de nombreux DJ/producteurs, malgré d'excellents albums studio, se révèlent être ennuyeux en live pour les non-clubbers, Wax Tailor est fascinant et touche un public plus large que celui restreint des fans d'Électro. Sa recette: ne pas se baser uniquement sur les machines et les samples et mettre en avant les instruments. Et surtout les voix.

Ce qui sera le cas ce soir-là. Pour l'occasion, Wax Tailor a, en effet, pris dans ses bagages toute la clique des chanteurs ayant participé à ses albums: l'indispensable Charlotte Savary, présente sur tous les opus de l'artiste, avec sa voix douce et hypnotique bien particulière qui en fait, l'air de rien, une des chanteuses françaises actuelles les plus brillantes, la soul lady Dionne Charles, le MC au physique de boxeur et à la voix puissante Mattic et ses petits protégés du groupe de Hip Hop britannique ASM (A State Of Mind), qui viennent d'ailleurs de sortir un chouette album du nom de Platypus Funk. Le public lillois est verni car ces deux trublions sont rarement présents aux concerts du DJ français. La proximité avec l'Angleterre y est sûrement pour quelque chose. Seul manque à l'appel, mais on s'en doutait quelque peu, Charlie Winston, avec qui fut enregistré le dernier tube en date de Wax Tailor, "I Own You". Mais grâce à la magie des écrans, il sera virtuellement là.

Écrans qui viendront, en passant en non-stop des séquences animées (vidéo, clips, dessins...) illustrer le set de folie concocté par l'artiste. Wax Tailor alterne morceaux du dernier album In The Mood For Life ("I Own You", bien évidemment, "Say Yes", "Dragon Chaser", "B-Boy On Wax",...) et d'autres issus des albums précédents (le tube "Que Sera", "The Man With No Soul", …) nous faisant passer du Hip Hop le plus débridé à des moments extrêmement planants. Et cela, des fois, à l'intérieur d'un même morceau tel ce magnifique "Fireflies" ou cohabitent harmonieusement la douce voix de Charlotte Savary et les lyrics saccadés de Mattic.

Wax Tailor est heureux d'être là, au Zénith, lui qui d'habitude, dans la région, remplit les salles plus petites du Splendid ou du Grand Mix et le fait savoir: « Il faut en profiter, pour une fois que ce n'est pas Calogero! ». Ouarf, ouarf, on s'exclaffe! Il invite le public lillois à confirmer sa réputation de chaud-bouillant « en foutant le bordel! ». L'assistance ne se fait pas prier.

Durant 1h20, il en met plein les yeux et les oreilles en réussissant à monter un show sans aucune baisse de régime, alternant différents styles tous parfaitement maîtrisés, qui finira en apothéose avec la venue sur scène de tous ses vocalistes. Grande classe, le mec! En trois mots, à Wax Tailor: We say yes!!!

ACTE III

Pour clôturer en beauté, le groupe britannique Archive. Un groupe innovant et créatif à l'effectif changeant, formé autour de Darius Keeler et Danny Griffith, offrant une musique difficile à définir, le groupe empruntant autant au Rock, au Trip Hop qu'à l'Électro. Le psychédélisme de leurs morceaux et de leurs impeccables concerts en font, pour certains, les héritiers de Pink Floyd.

Leur musique est difficile à décrire car, en fait, elle se vit intimement. Avec eux, on entre dans une ambiance douloureuse, aux sentiments exacerbés, sombre, puissante, un monde en noir et blanc, froid et bouillant à la fois, confortable et malsain. Et pour nous entraîner, nul besoin d'effets superflus. Sur scène, juste deux claviers, trois guitares, une basse et une batterie, un écran géant qui diffuse parcimonieusement des images à l'esthétique léchées. Tout est épuré volontairement pour mettre en avant la musique. Une musique incroyablement cinématographique, qui lorsqu'on l'écoute les yeux fermés, vous met des images plein la tête.

Avec Archive, pas de discours, pas de regards. On pénètre directement avec eux dans leur univers. Et on se laisse bercer aveuglément par les différentes voix du groupe: celle magnifiquement sensuelle de Maria Q, celle habitée de David Penney, le timbre rock de Pollard Berrier (qui depuis, son arrivée tardive dans le groupe en 2005, a développé une aisance scénique remarquable quand on se rappelle de la timidité de ses premiers pas) et le phrasé rap et envoutant de Rosko John qui fait son grand retour après avoir marqué de sa présence le premier album d'Archive, Londinium, en 1996.

Le groupe ne déçoit pas ses nombreux aficionados en livrant, de nouveau, un set prodigieux, principalement tourné autour des derniers albums, le projet Controlling Crowds, avec d'incroyables errances sonores, des envolées rythmées et progressives, lancinantes et hypnotiques, tout cela avec une maîtrise et une technique fascinantes, des finals qui s'achèvent dans le bruit et la fureur avec des guitares saturées et des voix torturées. Archive, en concert, est une expérience, un trip musical qui mène inévitablement à la transe. Avalé par les sons, tiraillé entre calme et violence, le public a l'impression d'être en plein shout, de subir une montée provoquée par une drogue que l'on aurait malencontreusement versée dans son verre. Un choc qui se terminera avec "Pulse" où la voix forte de Maria Q est mise en écho et réverbérée pour mieux achever notre cerveau. Seul regret (minime et là, c'est le fan qui parle), l'absence du morceau "Fuck You", antithèse des chansons d'amour sirupeuses car véritable condensé de haine adressée à l'intention d'une ex. A conseiller à ceux qui viennent de se faire larguer...

C'est donc à une soirée inoubliable qu'a pu assister le public lillois ce 16 avril 2010 au Zénith. Une soirée à la programmation parfaite où chaque artiste a fait le lien avec le suivant, la Soul d'Alice Russel préparant au groove des compositions de Wax Tailor, les envolées planantes des morceaux de ce dernier introduisant le Rock Progressif d'Archive. Une soirée historique bénéficiant d'un son PARFAIT de clarté (bravo aux différents ingénieurs du son!). Le même soir, Luke, Puggy et Absynthe Minded jouaient au Splendid et Montgomery à la Péniche. La barre a été placée très haute pour l'année prochaine.

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