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Le Next festival, édition 2023

Du 09 novembre au 2 décembre 2023, avait lieu le Next, festival transfrontalier dans 16 villes de  l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et Valenciennes. Pour sa seizième édition, le Next proposait 40 spectacles internationaux de danse, de performance et de théâtre. LillelaNuit est allé voir quelques unes des pièces programmées.

Alors que l’avenir est de moins en mois réjouissant pour les générations à venir, les artistes transcendent cette souffrance en la dénonçant chacun à leur manière. Dans un monde où le futur semble condamné et l’altruisme manquant, ils font entrevoir d’autres possibles en s’adressant à notre imagination et en changeant les récits auxquels tout le monde croit.

DES pièces post-apocalyptiques

Avec sa compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur en collaboration avec la Volksbühne de Berlin,  Julien Gosselin, s’inspire des pièces et nouvelles d’Arthur Schnitzler et du dernier roman de Thomas Bernhard Extinction, titre qu’il donne à son dernier spectacle.

La première partie est un concert électro sur la scène du Phénix de Valenciennes. La musique assourdissante et martelante met en exergue la fougue d’une jeunesse prête à tout pour échapper, l’espace de quelques instants, à la faillite du monde actuel. Chercher l’énergie, à son paroxysme, jusqu’à en être étourdi, avant de nous signifier l’effondrement. Impossible de ne pas songer à certains épisodes apocalyptiques lors de moments de concerts ou de rave-parties…

Dans la deuxième partie de deux heures trente, Julien Gosselin nous transporte en 1913, dans la haute société viennoise d’avant-guerre, creuset des arts et du raffinement à cette période. En effet, la musique y règne en maître, les prémices de l’expressionnisme allemand et des découvertes sur l’inconscient voient le jour. Julien Gosselin dresse un portrait nonchalant, insouciant quelque fois dépravé de ce microcosme qui sent peu à peu qu’il va bientôt voler en éclat. Dans un décor fastueux, la pulsion de mort prend le pas et annonce la destruction de la civilisation occidentale. Les comédiens sont filmés en temps réel et l’image est retranscrite en noir et blanc sur écran géant. Le son, le cadrage, le jeu, tout est ultra léché et magnifique. LillelaNuit aurait aimé que le décor soit plus ouvert pour que l’on puisse voir les comédiens à la fois à l’écran et davantage sur le plateau.

La dernière partie représente une conférence à Rome animée par une universitaire qui évoque sa vie de sa naissance en 1983 à aujourd’hui. Elle décrit son environnement familial à laquelle on n’échappe jamais vraiment, la laideur et la bêtise de ses sœurs, l’accointance de sa famille avec le nazisme. Elle dénonce la « pire invention » du XX ème siècle : la photographie. La petite histoire vient confirmer la grande : l’humanité court à sa perte et la chute de notre civilisation est inévitable. Elle défend la destruction du monde pour laisser place à un renouveau qui ne pourra qu’être meilleur.

La pièce est hautement référencée et s’adresse à un public averti. En proposant à la fois un concert, du cinéma et une conférence, le spectacle interroge dans sa forme, sur ce qui fait théâtre aujourd’hui.

Metteur en scène et auteur argentin établi d’abord en Espagne puis en France, Rodrigo García présentait dans la petite salle du Phénix de Valenciennes Jésus est sur Tinder. Jugés blasphématoires, les spectacles de l’artiste ont souvent suscité la polémique. Rodrigo García explose les codes et propose des performances avec une narration discontinue. Jésus est sur Tinder juxtapose récits autobiographiques, images kitsch, danse et vidéo mais il est difficile de savoir où veut en venir le metteur en scène. Subversif et iconoclaste pendant un temps, les pièces de Rodrigo García ne choquent plus. Chercher la controverse n’est plus suffisant aujourd’hui pour interroger le monde. Ce spectacle est ennuyeux, une déception pour LillelaNuit.

Le Jardin des délices de Philippe Quesne, créé cet été au Festival d’Avignon pour célébrer les vingt ans de la compagnie Vivarium Studio, était présenté dans la grande salle du Théâtre du Nord. Dans cette pièce, le metteur en scène s’inspire du triptyque monumental et éblouissant de Jérôme Bosch, Le Jardin des délices réalisé au tout début du XVI ème siècle. Le spectacle, tout comme le tableau recèle bien des mystères et possède une infinité d’interprétations qui ne peuvent qu’être subjectives. Tiraillé entre utopie et dystopie,  il relève de la science-fiction et de l’onirisme dans un espace-temps imaginaire. Sous certains aspects, il nous a d’ailleurs évoqué le talent kubrickien dans 2001, l’Odysséee de l’espace. Dans la pièce, des cow-boys, des hippies et des personnages médiévaux se côtoient, Philippe Quesne prolonge le tableau de Jérôme Bosch avec ses propres fantasmes. Les personnages arrivent en bus, sur une planète, un lieu non défini et vont se réunir autour d’un œuf à la puissance énigmatique — iconographie récurrente dans le tableau — près duquel se jouera des invocations. La manifestation du sacré et du profane au milieu de nulle part fait naitre l’étrangeté et la drôlerie. Le rapport à la parole est absurde et les quelques dialogues sont délibérément insipides et participent au comique de situation. Cette communauté isolée, qui évolue dans ce lieu empreint à la fois de désespoir et de poésie, est confrontée à sa solitude ce qui détermine les rapports entre les personnages et à leur subconscient. Le spectacle est le coup de cœur de LillelaNuit.

CÉLÉBRER L’ALTÉRITÉ

Dans Hartaqāt (Hérésies), Lina Majdalanie et Rabih Mroué mettent en lumière leur pays natal, le Liban, à la Condition Publique de Roubaix. Le spectacle est divisé en trois monologues poétiques. Les deux metteurs en scène signent un spectacle avec pour chaque monologue, un narrateur différent, ce qui change le rapport au récit. Le premier est celui de l’universitaire et activiste Rana Issa qui relate l’histoire de sa grand-mère analphabète réfugiée palestinienne au Liban se battant contre la domination des hommes. Il est raconté et mis en musique par Raed Yassin. Le deuxième nous est transmis par le protagoniste lui-même, le romancier Souhaib Ayoub qui nous sensibilise à son arrachement de Tripoli pour vivre pleinement son identité queer et son homosexualité à Paris. Le dernier est un texte sur la souffrance de l’exil du poète et journaliste Bilal Khbeiz lu par Lina Majdalanie et mis en image par Rabih Mroué. Luttant contre l’ordre établi asphyxiant de leur pays, les trois protagonistes, déracinés,  partagent leur histoire personnelle et dénonce l’oppression des femmes et des minorités LGBTQIA+. Les artistes font de la scène un moyen poétique de résister face à l’oppression d’un pays.

La fin du Next festival s’est clôturé par le spectacle EXÓTICA de la chorégraphe Amanda Piña au Centre Culturel de Schackel à Waregem en Belgique. Dans un décor de jungle, la pièce rend hommage à de grands danseurs venus en Europe au début du XXème tels que La Sarabia, Nyota Inyoka, François Féral Benga et Leila Bederkhan. Évoluant en plein essor des expositions coloniales dans lesquelles les spectateurs peuvent voir des danses « venues d’ailleurs », ces grands artistes sont invisibilisés car leur carrière est reléguée à la spectacularité de leurs mouvements et au au développement d’un imaginaire exotique fantasmé. Pourtant ils ont fortement contribué à l’évolution de la danse en inventant de nouvelles représentations. Dans le spectacle, les danses sont très documentées et sont interprétées de la même façon qu’elles devaient l’être à l’époque. Amanda Piña nous replace ainsi dans la posture du spectateur blanc, dominant, enchanté par ces danses magnifiques mais qui vont ancrer de nombreux clichés dans l'inconscient collectif occidental. Alternant entre danses, récits et invocations, Amanda Piña et ces quatre interprètes rappellent avec beaucoup de nuances que les danses de ces artistes sont souvent édulcorées et répondent à la soif d’exotisme des spectateurs de cette époque, mais ils remémorent aussi le talent de ces artistes qui ont fait découvrir de nouvelles façons de bouger et qui ont convaincu que des peuples souvent considérés comme inférieurs aux européens possèdent une culture millénaire d’un grand raffinement. Un spectacle audacieux qui a superbement clôturé le festival en nous questionnant sur notre posture de spectateur.

Photo : Le jardin des délices de Philippe Quesne © Christophe Raynaud de Lage

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