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Les Forteresses de Gurshad Shaheman

Les Forteresses, pièce présentée au Théâtre du Nord en partenariat avec la Rose des Vents le 30, 31 mai et le 1 juin se fonde sur l’expérience, le vécu et l’histoire personnelle de la mère et des deux tantes de Gurshad Shaheman, metteur en scène du spectacle. Elles sont nées dans l’Iran des années 60, ont vécu la révolution de 1979, huit années de guerre contre l’Irak et le déracinement pour certaines d’entre elles.  Comment le parcours de trois femmes d’une même famille et d’une même génération peut-il être si différent ?

UN SPECTACLE À LA LISIÈRE ENTRE RÉEL ET THÉâTRALITÉ

Les sœurs sont à la fois protagonistes et témoins puisque c’est de leur histoire personnelle dont il s’agit. Elles se placent à la frontière entre identification et distanciation par rapport à leur propre récit car leurs confessions seront rapportées par trois conteuses franco-iraniennes. Elles vont rejouer des scènes de leur vie, parfois avec un geste, une posture physique, la répétition d’un mouvement, un accessoire mais la plupart du temps elles sont là, sur le plateau, sans rien interpréter. Leur parcours de vie parait extraordinaire pourtant le réel, dans cette pièce, prévaut sur le spectaculaire grâce à leur simple présence. Elles laissent transparaitre le trouble et la gêne d’être parmi tant de spectateurs. Elles suggèrent leur passé évoqué, le présent de la représentation et le futur dans lequel elles projettent leur récit. Chaque témoignage élargit le champ de vision et l’expérience des spectateurs.

Le travail de Gurshad Shaheman se situe dans la dramaturgie, autrement dit dans la construction et l’agencement des témoignages de sorte que ceux-ci aient une mission plus grande, celle de faire réfléchir et d’interroger ce que traverse l’Iran actuellement. L’histoire de chacune entraîne des questionnements universels. Leur passé est ravivé, sur scène, dans l’espoir d’un avenir meilleur. Ce maillage de récits si personnels fait naitre une force nouvelle sur le plateau dont le public est témoin. Gurshad Shaheman prend la posture de celui qui écoute et de celui à qui on adresse les récits. En interludes, il interprète des chansons azéries, langue maternelle de sa famille. Au revers de la souffrance et des épreuves, la mise en écriture des témoignages et la dramaturgie permettent la quête d’une trame poétique et de propos universels.

LE RôLE DU RÉCIT-TÉMOIGNAGE PAR LES CONTEUSES

Avec ce spectacle, les trois sœurs font sienne la destinée qui les ont frappées. Seul le chaos rend possible le récit puisque c’est du conflit incessant que naît le langage. Raconter pour changer le monde et peut-être pour que le monde ne les change pas. Les figures féminines se révèlent puissantes telles des forteresses que rien ne peut faire écrouler ; elles se tiennent debout face à nous, rejointes et dévoilées par les narratrices. Ces dernières s’exposent tout en retenue. Elles sont les passeuses de deux rives entre le monde actuel et l’ancien monde et implantent le théâtre au cœur de chacun comme un funambule sur le fil du récit. La beauté de la pièce oscille entre l‘immensité d’une parole si puissante et la fragilité des corps ramassés des conteuses presque immobiles.

Artiste implanté dans la région, Gurshad Shaheman met en lumière le parcours des femmes de sa famille telles des forteresses que rien n’a pu faire flancher. Grâce à la puissance captivante des trois conteuses, le spectacle revêt une certaine pudeur et confirme que le langage a des vertus salvatrices.

Photo : © Agnès Mellon

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