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Steven Wilson au Théâtre Sébastopol

Dès le début, on comprend que le hasard n'aura que peu de place dans ce concert de Steven Wilson, que maîtrise et contrôle régneront dans cet univers musical à la géométrie parfaite, d'une complexité faite d'arabesques savantes et de puissance mélodique. Nous sommes en effet guidés par une musique qui exacerbe gentiment nos sens et rend l'attente de plus en plus difficile. Plus les notes s'égrènent, plus la tension est palpable et l'impatience croissante. C'est très atmosphérique et déjà progressif, orchestré, concerté, précis, millimétrique. Il est aussi incroyable de constater que la musique qu'il fallait absolument détester dans un autrefois récent est redevenue hautement fréquentable et que des cohortes de jeunes gens sont là, impatients, menés à Wilson solo par les albums de Porcupine Tree que Steven reprendra ce soir à cinq reprises, compositions dont il estime lui même qu'elles sont encore jouables (setlist ci dessous) et dignes alors que d'autres sont, de son propre aveu, des "shits". On a beaucoup pleuré Chris Squire, défunt bassiste de Yes récemment, en qui on a vu un instrumentiste révolutionnaire à la basse. Le lundi de la même semaine, King Crimson remplissait l'Olympia. Tout est apaisé, on peut réécouter les œuvres loin des passions d'époque.

Lumières et sons, accordés ou en tensions contraires, on pose le ton. Ce long instrumental est un excellent moyen de se faire attendre. On constate une nouvelle fois que les lieux génèrent des réactions particulières : la claque se déclenche. On est au théâtre.

Barre d'immeuble claustrophobe des faubourgs en fond d'écran immense, vision barrée par ces horreurs architecturales. Les notes, hypnotiques, font poindre une oppression très urbaine. C'est qu'on vient défendre un album extrêmement conceptuel et dont le sujet ne lasse pas d'intriguer. Une jeune femme a été découverte à Londres, dans son appartement, deux ans après sa mort. Étrangement jolie et socialement intégrée, elle n'a très bizarrement manqué à personne suffisamment fort pour qu'on vienne défoncer la porte en urgence. C'est cette solitude urbaine totale que l'écran ne cesse de décliner, on retrouvera ce personnage sans cesse, toujours au bord d'une communication qui n'arrivera jamais malgré des lettres commencées et des dizaines d'heures de déambulation dans la foule. Glaçant.

Technologie et concept sont à l'oeuvre dès le début du concert proprement dit : on attaque carré, on est immédiatement diaboliquement précis. On joue extrêmement fort et le Sébasto tremble autant qu'il peut, aux limites de sa carcasse tandis que ces inlassables solitudes féminines des suburbs défilent sur l'écran. Steven Wilson plaisante longuement sur la beauté du théâtre et l'éloignement du public à des fuckin miles away. On va jouer l'intégrale de Hand. Cannot. Erased. et old stuff of the nineties. Le dosage est en effet extrêmement savant entre nouvel album et chansons directement tirées du best of imaginaire de tous les fans de Porcupine Tree, évitant temps morts et lassitude. Quelques longueurs, quelques décibels peu utiles mais rien de très grave, beaucoup de backtracks.

Musicalement, on passe des accords bloqués et autres power chords à la finesse la plus absolue. Il faut dire que les petits camarades de jeux du soir ont un pedigree long comme un triple album de Yes. On reconnaît Adam Holzman, autrefois aperçu à Liévin, en 1986, avec... Miles Davis. Tout est dit, on ne jouait pas avec le monsieur sans avoir un peu de vocabulaire. Quant au martien qui joue de la basse comme personne ne la conçoit, à part peut être le Tony Levin de... King Crimson, c'est Nick Beggs, l'homme qui manie aussi le Chapman Stick, instrument difficile à décrire, cousin fou du clavier, de la guitare et de la basse, qui offre des possibilités hallucinantes mélodiquement. Aux drums, Craig Blundell, le drumaholic qui ne s'arrête jamais. On le trouvait récemment avec d'anciens membres de... King Crimson et Van der Graaf Generator... C'est dire qu'il est au point et sur le temps sur les questions progressives... Ne manque qu'une fine lame pour couronner de guitares folles cet ensemble. Si Steven Wilson est lui même un guitariste intéressant et précis, il a embarqué  Dave Kilminster, qui vient de finir de tourner avec... Roger Waters.

On se surprend à penser à certains instrumentaux des Who mais Wilson attribuant la paternité de ces albums centrés sur la solitude urbaine à Pete Townshend, ce n'est pas si étonnant. C'est aussi un très bon entertainer, il sait qu'il joue pour des gens et vient de temps en temps briser volontairement l'impact émotionnel extrêmement puissant de ses chansons, plaisantant sur l'aspect dépressif et mélancolique de sa musique, sur la poésie et l'incapacité des américains à la comprendre. Peut être sait-il, peut être sent-il qu'il faut absolument laisser respirer l'auditeur. Il propose lui même une pause publicitaire en présentant la Steven Wilson Signature, une guitare à son nom, comme le cadeau de Noël idéal qui fera la joie de celui qui la recevra. Il joue ensuite un nouveau titre présenté comme long et désespérément compliqué dont les mouvements sont en effet extrêmement composés, d'une noirceur et d'une précision très oppressantes.

Sur l'écran se poursuit la déclinaison obstinée d'une solitude que rien ne vient vaincre, la même actrice reste totalement muette. La scénographie et le light show dignes du Floyd enfoncent le clou, un rideau kabuki vient enluminer le théâtre, on projette sur ce fin drapé des motifs lumineux saisissants. Comme si le public tenait encore debout, on l'achève au rappel avec The sound of Muzak.

Totalement époustouflant dans le genre. Tout est là.

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