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Seun Kuti + Bukatribe à l’Aéronef

Pas évident d'être « un enfant de ». Surtout quand le paternel est une figure légendaire, un des musiciens les plus importants et les plus influents du siècle dernier. Plus jeune fils du mythique Fela Anikulapo Kuti, surnommé le Black Président, inventeur dans les années 60 de l'Afrobeat, style musical revendicatif faisant se confronter et fusionner les rythmes traditionnels Africains, le Jazz et le Funk, Seun Kuti porte sur ses épaules un écrasant passé. A la fois artistique et politique.

En reprenant le flambeau, il aurait pu facilement se brûler les mains. Mais, désormais à la tête de l'orchestre créé par son père, Egypt 80, Seun, à l'image de son frère ainé Femi, a su vaillamment démontré, en trois albums, qu'il avait les reins assez solides pour porter à bout de bras l'héritage musical de son géniteur. Ainsi que son engagement en faveur du continent Africain.

Les Lillois avaient d'ailleurs déjà eu l'occasion d'apprécier cet état de fait en 2008 lors de son passage au Théâtre Sébastopol et en 2011 lors de sa participation au festival Tous Au Sud avec des prestations mémorables. Mais peu de monde ce soir à l'Aéronef. Malgré un agencement réduit de la salle, celle-ci met du temps à se remplir. L'entrée gratuite réservée aux étudiants des universités de la métropole permettra néanmoins d'obtenir une jauge correcte. Et de faire connaître à la génération Y une musique qui ne lui est peut-être pas familière. 

Petite mise en bouche avec Bukatribe. Quatuor vocal, originaire de Rennes, composé de Human Beat Boxers. Et qui met donc la bouche en avant. Les qualités techniques et rythmiques sont indéniables. L'énergie est là. De quoi attirer la sympathie. Voire même de provoquer certainement les faveurs du public plusieurs semaines à la suite lors d'une éventuelle participation à une émission telle que La France A Un Incroyable Talent. Mais nous ne sommes malheureusement pas à un télé-crochet. Musicalement, la construction des morceaux pêche par un déficit de sens mélodique. On reste dans l'exercice de style un peu vain. La performance stérile. Pas facile de venir piétiner les plates-bandes de Rahzel ou Bauchklang...

L'Afrobeat a en commun avec ses lointaines cousines américaines (le Jazz, la Soul et le Funk) un profond respect pour les musiciens qui les font vivre. Qu'elles mettent toujours en avant. Ainsi, si Seun est l'incontestable star de la soirée, ce sont les membres de l'orchestre Egypt 80 qui montent d'abord sur scène. Un par un. Présentés par Okon Lyamba, le joueur de shekeré de la bande et compagnon de longue date du papa faisant ici office de Monsieur Loyal.

Le spectacle commence par deux longues jam instrumentales. Histoire de mettre le feu aux poudres. Et de faire se relever le soleil depuis peu endormi. Cuivres rutilants, tam-tams pulvérisés, wah-wah frénétiques, rythmes obsédants, danseuses en tenues traditionnelles avec coiffes et bijoux ethniques, le visage peint de motifs tribaux, les fesses frénétiquement rebondies et vibrantes; une lourde musique qui roule, qui gronde, qui tempête prend d'assaut l'Aéronef. De quoi secouer comme un cocotier le plus blasé des Hipsters.

Sentant que la température vient de monter d'un cran, Seun Kuti fait son apparition. Incroyablement sapé dans son costume fringant et personnalisé. Beau comme les blancs ne le seront jamais. Comme à chaque fois, on est frappé par la ressemblance avec son père. Mêmes pommettes  saillantes, même douceur dans les yeux, même regard séducteur, même sensualité dans le déhanché. Il sourit béatement, lève son saxophone et se joint à la danse des instruments.

L'exceptionnelle musicalité de l'Afrobeat originel, paternel est magnifiquement reconstituée. Avec des morceaux à la fois torrides et guerriers. La section de cuivres est à l'avant-garde tout au long du concert. Les différents trompettistes et saxophonistes déroulent leurs partitions individuelles ou collectives avec une hargne conquérante qui ne relâchera jamais la pression. Les guitaristes et bassiste, au jeu fusionnel et complémentaire, leur offrent un solide renfort. A l'arrière-garde, les batteurs et percussionnistes s'occupent de porter le coup de grâce. Passionnant à regarder et à écouter.

Au milieu, Seun. Impérial. Dansant de manière saccadée. Avec un érotisme animal, magnétique. Le timbre de voix rocailleux et profond. Virtuose au saxophone. Poussant la foule à relâcher prise. Mais n'oubliant pas l'engagement politique. Avec des diatribes ironiques sur les méfaits du FMI ( avec le cinglant 'IMF', pour International Mother Fucker), l'exploitation du continent africain ou la paralysie sociale d'un peuple asservi. Héritier de son père jusqu'au bout du micro. Jusqu'au plus profond de sa chair. Torse nu, son dos révèle un tatouage qui inscrit dans ses pores la formule « Fela Lives ».

Et c'est peut-être là que le bât blesse quelque peu. Oh, impossible de bouder un tel spectacle. Surtout quand on découvre l'artiste pour la première fois sur scène. Une telle rage et une telle maîtrise musicale ne peuvent que mettre à genoux. Mais à force de vouloir respecter l'héritage familial lors de ses concerts, de ne pas s'écarter des codes, Seun en oublie quelque peu de développer ce qui fait l'originalité et la modernité de ses trois albums : les influences Jazz contemporaines, les emprunts au Hip Hop américain, la sophistication de la Soul actuelle... Des petits détails que l'on aimerait bien retrouver en live.

Pas évident d'être un « fils de »... Et de s'émanciper. 

 

 

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