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Pigeon John + Qwel & Maker à La Condition Publique

Les albums tant attendus des Beasties Boys (Hot Sauce Committee Part 2) et de Saul Williams (Volcanic Sunlight) ont beau débarquer dans les bacs ces jours-ci, il faut bien le reconnaître, le Hip Hop, qu'il soit Underground ou Mainstream, est actuellement en crise. Peu de sorties importantes. Des artistes (Kanye West en tête de liste) qui déçoivent. Des labels, Anticon par exemple, qui perdent de leur superbe. Des productions de moins en moins originales, optant pour la facilité, samplant ce qui a déjà été maintes fois samplé ou privilégiant des mélodies synthétiques rudimentaires qui singent les derniers tubes du moment. Seules lueurs d'espoir: le collectif de Los Angeles Odd Future, mené par des adolescents surdoués qui dynamitent tout sur leur passage à grand renfort de clips Hardcore (jetez un oeil sur le clip « Earl » de Earl Sweatshirt) et de sonorités psychopathes ou le britannique Dels avec son excitant premier album GOB.

Face à ce triste constat, la soirée du 21 avril à La Condition Publique, avec la venue du duo Qwel & Maker et du MC Pigeon John, ne pouvait que ravir les amateurs de Rap, affamés de ne pas pouvoir se mettre grand chose sous la dent ces derniers temps. Surtout que le prix d'entrée n'était que de deux misérables euros!

Qwel & Maker sont ce qu'on appelle dans le milieu Hip Hop des Underdogs. Des artistes talentueux mais ne rencontrant pas de large couverture médiatique car préférant garder toute indépendance artistique en signant avec de petites maisons de disques. Le label Galapagos 4 en ce qui les concerne. Bénéficiant d'une excellente réputation dans le cercle des initiés aux Ėtats-Unis, le duo commence seulement à faire parler de lui dans l'hexagone. Mais ce n'est qu'une question de temps avant que le groupe ne se constitue une solide base de fans en France.

En deux ou trois beats, les Chicagoans, en effet, imposent leur style et mettent le feu à la petite salle roubaisienne. L'ambiance est très vite électrique. A l'image des scènes de Battles dans le film 8 Mile, où des Rappeurs s'affrontent à coup de rimes, le public surchauffé lève la main pour marquer le rythme, siffle et hurle afin de montrer son approbation et saluer le flow et les punchlines assénés par Qwel. Le MC, littéralement possédé par ses lyrics, débite à la vitesse d'une Kalachnikov des textes introspectifs et labyrinthiques qui impressionnent par leur longueur et leur qualité d'écriture. Il se dégage de sa voix un sentiment d'urgence qui happe l'assistance tel un ouragan vocal et lui fait perdre ses repères. Derrière ses machines, le beatmaker Maker relaye parfaitement cette tension et, tout en finesse, tel un compositeur de musiques de films, crée un univers sonore qui illustre parfaitement les récits de son compagnon de route. Attentif aux contrastes et aux nuances, il pose des séquences décalées qui installent instantanément l'ambiance adéquate. Les instrumentations diverses, tantôt chaleureuses avec des samples de musique brésilienne ou tirés du tube sixties « Daydream » du Wallace Connection, tantôt oppressantes avec la présence de basses lourdes, rendent justice à l'aspect narratif des écrits de Qwel et renforcent au mieux leur intensité.

Changement de registre avec le californien Pigeon John. L'ambiance se montre, avec lui, plus désinvolte, plus aérienne. Principalement connu par les fans du collectif Quannum (Lifesavas, Lyrics Born, Gift Of Gab, Blackalicious, …) dont il est très proche, celui qui a commencé sa carrière en 2002 et a déjà à son actif 6 albums ne commence réellement à déployer ses ailes qu'aujourd'hui. Principalement grâce à Hervé Salters (aka General Elektriks) qui a produit son dernier opus, le très rafraichissant Dragon Slayer. Il s'agit d'ailleurs de sa toute première tournée française.

L'Angelino se démarque de ses prédécesseurs par une personnalité plus enjouée, une attitude moins frontale et surtout une approche beaucoup moins puriste du Hip Hop. Accompagné d'un batteur et d'un bassiste, il picore autant dans le Rock, la Pop que la Funk. Le MC délaisse souvent la scansion particulière du Rap pour privilégier un véritable chant, renforçant de cette manière la sensibilité de ses textes, pour la plupart autobiographiques, et la richesse mélodique de ses compositions.

Sur scène, Pigeon vole. Il ne dupe pas son public et se donne à fond. Il virevolte. Ne tient pas en place. Sautille partout. Ne cesse de plaisanter. Se révèle un excellent comédien, habile de son corps et maniant le second degré comme personne. Il toise le public avec le regard du boxeur prêt à en découdre sur le ring. Avant d'éclater de rire. Histoire de prouver que le Rap n'est pas qu'une musique de Bad Boys. Son énergie est communicative et fait souffler dans la salle un vent de bonne humeur qui s'accorde à merveille à l'aspect positif de sa musique. La quasi intégralité de Dragon Slayer est interprétée. Révélant à quel point les différents titres de cet album sont tous des tubes en puissance. Particulièrement les très Rock « The Bomb » ou « Hey You ». Morceau sur lequel on observera avec amusement l'agent de sécurité en place s'inquiéter de voir les spectateurs monter en masse sur la scène pour être au plus près du maître de cérémonie. Plus qu'un concert, une fête. Dans la grande tradition du Hip Hop Californien, plus léger que son homologue de la Côte Est.

Paradoxalement, malgré la joie d'avoir assisté à cette très belle soirée, de nouveau un triste constat à la fin du concert. Celui qu'il est réellement dommage que les médias, en France, ne s'intéressent pas plus au Rap et continuent d'en véhiculer une image, la plupart du temps, désastreuse. En ne se concentrant que sur ses moutons noirs ou ses représentants les plus commerciaux, ils ignorent des artistes de talent comme Pigeon John. Et les enferment donc dans la cage trop étroite de l'Underground. Les empêchant ainsi de s'envoler pleinement. Alors que c'est tout le mal qu'ils méritent... Mais ouvrez, ouvrez donc la cage aux oiseaux, bon dieu !

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