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Ebo Taylor + Anthony Joseph au Grand Mix

La joie pure. Sentiment qui rayonne littéralement d’Ebo Taylor quand il investit la scène du Grand Mix, le son est immédiatement organique, sensuel, chaud, rond, excentrique, extatique et l’orchestre tourné vers le don absolu et collectif. Pas l’ombre d’un égo dévastateur, une simple envie de partager le moment avec le public, déjà estourbi, ravi, béat, au bord du KO en cinq minutes chrono. Le son est plein, parfaitement équilibré : le bassiste enrobe le tout et c’est doux comme un édredon qu’on repousse sensuellement pour courir au son du Rumble in the jungle.

 

Des ombres passent, invités en filigrane du creuset fou du musicien ghanéen à la voix plus rocailleuse qu’avant son retour. L’Afrobeat et sa déclinaison particulière, le High Life, ne cessent de convoquer les étoiles : les riffs de cuivre très soul d’Aysesama par exemple laissent penser que Sharon Jones et ses Dap Kings vont débouler, quand Ebo Taylor prend un solo en tenant le corps de sa guitare très à droite, on se demande si on n’est pas à un concert de jazz tant ce jeu sobre, délié, sans sustain évoque Jim Hall ou Wes Montgomery. Le groupe est physiquement puissant, avec une cohésion et un impact collectif inouïs. On ne peut réellement pas rester en place : le groove est incroyable. Dieu sait (?) à quel point on peut jouer de ce cliché du groove imparable mais là, on échange les riffs et les deux bateleurs en chef emmènent tout le monde : le batteur, une des multiples incarnations du Tony Allen de Fela est complètement libéré de ses obligations rythmiques par un percussionniste déchaîné et souvent mis en valeur par Ebo Taylor. Quand on n’a pas à marquer le temps façon pop rock, on s’amuse comme un fou avec les toms et les cymbales, c’est somptueux, la charleston tinte de plaisir comme jamais, une polyrythmie naturelle et concertée, fabuleuse. Le fils d’Ebo assure la cohérence de l’ensemble et soutient vocalement son père quand il ne prend pas carrément sa place pour faire le show à la fin de cette heure inouïe qui nous laisse pantelants, très au-delà de toute considération sur l’Afrobeat, la musique africaine, etc. C’est fabuleux, le genre importe peu. On se souvient avec émotion des premières percées de l’Afrique en musique et des premiers Fela trouvables et autres King Sunny Adé, ces guitares étranges qu’on ne connaissait pas. A 78 ans, l’un des ses fondateurs est réellement venu rappeler qui était le patron. Une claque. Filmés par des caméras invisibles au spectateur et impeccablement distribuées, on attend de revoir les trois premiers morceaux pour se pincer de nouveau et s’assurer qu’on n’a pas rêvé.

L’intermède assuré par le très bon DJ Joe Tex & Brother Jam calme à  peine le jeu dans la furie de titres tels que Shhh for a little while du Godfather of soul lui-même, James Brown, Gimme some more des JB’s ou It’s my thing de Marva Whitey. Hot !  Impossible de se calmer… On est « black », on est « proud », on est panafricains, on danse au WattStax comme dans les faubourgs d’Accra, la capitale ghanéenne au son du Sound System.

C’est étrangement, l’arrivée de la bande d’Anthony Joseph qui va faire temporairement baisser la température. Plus cérébral, il vient défendre un album très audacieux, en digne héritier de Gil-Scott Heron, réalisé en France en cinq jours par de doux dingues qui ont tapé les souscripteurs sur le mode de la levée de fonds. On finance par avance un album qui n’existe pas et on le produit. On est assez proche du Gil-Scott Heron des débuts, celui de Small Talk At 125th & Lenox, accompagné de simples percussions. Après la déferlante d’Ebo Taylor, devenu spectateur au pied de la scène, il faut quelques titres pour changer de tempo. Extrêmement élégant, ceint du drapeau de Trinidad et Tobago, le fin lettré prend ses marques, scande, insiste, défend essentiellement cet album clé, sans  le Spasm Band, la machine à emballer le groove qui accueillera bientôt rien moins qu’Archie Shepp pour une soirée d’anthologie. Il faut poser le climat, emmener le public ailleurs, le laisser quitter doucement le Ghana. L’incroyable groupe qui l’accompagne va décoller lentement mais sûrement et nous emmener très loin. Le fabuleux Andrew John à la basse, du Spasm Band, Eddie Hick à la batterie, impeccable de cool délié, à la frappe sèche et classe, Jonathan Idiagbonya aux claviers et le légendaire Roger Raspail aux Percussions. On écoute les impeccables vignettes sociales et politiques d’Anthony Joseph, échos caribéens aux chroniques sixties de Ray Davies et ses Dead End Street. Les personnages prennent vie à travers des textes inspirés, les émigrés qui rêvent d’une vie meilleure après un passage sur l’île, vendant des cartes téléphoniques dans la rue dans l’espoir d’un retour au pays, aisé et easy. En attendant, ils se battent pour vivre, Hustle to live. Ce titre plus groovy permet au groupe de se lâcher complètement et Andrew John déchaîne tout le monde, il est sobre, impeccable, musical, tout le monde suit : Anthony Joseph arpente la scène comme un jeune Cassius Clay et cherche le son. Il évoque la jeune pakistanaise Malala, que les Talibans ont tenté d’abattre d’une balle dans la tête, son courage devant la mort possible. Concerné, politique. Enfin, il évoque Me’Shell Ndegeocello, bassiste fantastique qui a écrit et composé toutes les musiques de l’album. Celle-ci lui a demandé au téléphone d’écrire un texte sur la joie, Joy (is the opposite of pain). Il discute avec le public de la difficulté terrifiante qu’il y a à écrire sur la joie et il s’en sort magnifiquement. Un dernier rappel de feu et de soul pour nous laisser au sentiment de la soirée. La joie pure.

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