Clear Soul Forces à la Péniche

Quand on évoque le Hip Hop américain, une fâcheuse tendance persiste. Celle de vouloir le scinder en deux camps bien distincts: le Rap East Coast et le Rap West Coast. Comme si, entre ces deux points cardinaux, n'existait qu'un no man's land.

C'est oublier l'importance considérable de villes comme Chicago, Atlanta ou encore Detroit. Berceau de la Motown dans les années 60 et de la House dans les années 80, la ville de Détroit a en effet vu naitre un style de Rap avec ses caractéristiques propres: un sens du beat particulier et un flow original. Parmi les grandes figures du genre: Slum Village, le regretté et surdoué J Dilla, Black Milk et, bien évidemment, Eminem. « Il faut placer Détroit sur la carte » déclarait d'ailleurs ce dernier dans le film quasi-autobiographique 8 Mile.

Nouveaux venus sur cette scène florissante, les Clear Soul Forces ont su très vite se faire un nom et créer le buzz autour d'eux. Un peu à la manière du collectif de Los Angeles, Odd Future: à grand renfort de vidéos postées sur le Net et de mixtapes ou d'albums téléchargeables gratuitement. Mais cette utilisation judicieuse et maline du Web 2.0 n'est pas la principale raison de cet engouement.

A l'heure d'un Hip Hop de plus en plus consumériste, s'éloignant de ses racines sociales et revendicatives, préférant la provocation à la remise en cause du système avec des stars légèrement subversives mais bien intégrées dans le modèle économique actuel, à un moment où le Rap est victime d'une torpeur créative voyant l'art du Sampling céder la place à des architectures sonores synthétiques, rudimentaires et triviales, reléguant la construction d'univers originaux ou personnels au second plan, les Clear Soul forces apportent une bouffée d'air frais dans ce milieu quelque peu sclérosé. Un pied dans le passé, tout en apportant une touche moderne, leurs morceaux fourmillent d'animations, de bruitages divers, de bribes de dialogues, de scratches et d'interludes ludiques inspirés de l'univers du jeu vidéo. Du New Old School en quelque sorte. Portant un regard lucide sur la triste situation économique de la ville de Détroit, ses quartiers sinistrés et ses usines à l'abandon, tout en étant positif  et porteur d'espoir. Underground mais pas Hardcore.
 

Autant dire que la première tournée hexagonale des 4 Mcs de la Motor City, si l'on ne compte pas les quelques dates de l'automne dernier, était attendue de pied ferme par les Hip Hop Listeners français. En cette date du 18 février, la Péniche affiche Sold-Out. Venus défendre leur second LP, Gold PP7's (premier disque du groupe à connaître les honneurs d'une commercialisation), E-Fav, L.A.Z., Noveliss et Ilajide devaient désormais convaincre sur scène. Pari réussi.

 

La réussite d'un concert de Hip Hop résulte de la combinaison de deux principaux facteurs: l'énergie du groupe, son envie d'en découdre. Et l'osmose qui se forge avec le public. Ces deux conditions sine qua non sont, ce soir, réunies. Ayant écumé les planches de festivals U.S. majeurs (SXSW, A3C,...), le quartet, devenu quintet avec l'adjonction du DJ Davey Boy Wonder, venu suppléer Ilajide aux platines, fait preuve d'une virulente niaque. Les 4 MCs aux tempéraments distincts, E-Fav, l'intello baraqué, L.A.Z., la boule de nerfs, Ilajibe, le déjanté et Noveliss, le coolos de la bande, se complètent à merveille et entrelacent leurs lyrics avec une dextérité et une fluidité vraiment déconcertante. Flow, rythme, sens aigu de l'assonance et de l'allitération, chacun excelle dans son domaine, avec un timbre de voix et un style qui leur sont personnels.  Leur emceeing est dynamique et rebondit avec vélocité sur le beat, qu'il soit lent ou rapide, funky ou oppressant. Les New Kids In Town s'amusent, sautent dans tous les sens et donnent l'impression de voir une tornade verbale se déployer. Le groupe développe un style qui ramène à l'âge d'or du Rap, aux sonorités Natives Tongues, mais n'oublie pas de se construire sa propre identité. Tout sauf des escrocs.

Devant la scène, où on a peu de place pour respirer, on hoche la tête en signe d'approbation, on lève la main en l'air, on sautille, on danse... Les initiales du groupe, C.S.F., sont scandées unanimement. Aucun signe de déception. Détroit est dans la place. Et a su créer une saine synergie avec son public. La dimension festive du Hip Hop saute ici aux yeux.

Toujours difficile de prévoir l'avenir. Mais il n'est pas absurde de prédire que les Clear Soul Forces puissent devenir dans les mois qui viennent un groupe important. Car en s'inspirant de formations telles que A Tribe Called Quest ou De La Soul, en reprenant la formule des 90's tout en  la modernisant, en séduisant par leur authenticité, leur talent et leur attitude, nul doute que les lettres C.S.F. continuent encore de résonner longtemps.

En tout cas, une belle réponse à l'état de santé du Hip Hop actuel.   

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