« Je vous souhaite d’être follement aimée » : Dunkerque, décor d’un film émouvant

Synopsis : Elisa, kinésithérapeute, part s’installer avec son jeune fils, Noé, à Dunkerque, ville où elle est née sous X. Quelques mois plus tôt, elle y a entrepris des recherches sur sa mère biologique, mais cette femme a refusé de dévoiler son identité. À la recherche d’une mère inconnue, de son passé et de leur histoire, Élisa ne renonce pas et veut comprendre… Le hasard va bouleverser ses attentes…

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Je vous souhaite d'être follement aimée, un film universel, qui touche au cœur.


Critique :
Pour le spectateur, le point de départ d’un film c’est souvent son titre. Celui du second long-métrage de la réalisatrice Ounie Lecomte, Je vous souhaite d’être follement aimée, est magnifique. Elle le bon goût de l’emprunter au récit de l’écrivain André Breton : L’Amour Fou.

Je vous souhaite d’être follement aimée, l’amour fou : deux belles promesses qui résument sans trop en dire le film que la cinéaste a écrit - en compagnie de Agnès de Sacy - et réalisé.

Ainsi, ce film parle d’amour. On y découvre une jeune femme, Elisa, née sous X, qui souhaite retrouver une mère qui l’a abandonnée. D’une idée simple, qui pointe un drame que vivent de nombreuses familles, Ounie Lecomte signe l’un des beaux films à voir en salle en ce début d’année 2016.

Cette rencontre entre la fille et la mère va avoir lieu dans le cabinet de kinésithérapie d’Elisa. Une profession qui inverse joliment les rôles puisque c’est la fille qui prodigue, sans le savoir, les caresses, la douceur, les gestes d’amour que cette mère lui a « refusés ». A aucun moment la rencontre ne semble caricaturale, téléphonée. On sait tous que la vie peut inventer des histoires qu’on n’oserait pas écrire au cinéma, au théâtre ou pour un roman. - elle fut librement inspirée à la réalisatrice par une histoire vraie s'étant déroulée dans un hôpital new-yorkais -.

Et on accepte d’autant plus le postulat que le film est bien écrit. Autant du point de vue scénaristique, que cinématographique. On sent que Je vous souhaite d’être follement aimée est proche du trajet de vie de Ounie Lecomte. On en est d’autant plus persuadé lorsque l’on découvre son premier long-métrage tourné en Corée, Une vie toute Neuve, qui évoque la séparation d’une petite fille d’avec sa famille.

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La splendide Céline Sallette trouve peut-être son plus beau rôle dans le film de Lecomte.

Cette proximité entre l’histoire personnelle de la cinéaste et ses deux premiers longs-métrages font que les films sont justes, émouvants, sans jamais - heureusement - céder au moindre pathos. Ounie Lecomte n’est pas là pour faire pleurer Margot, comme on dit. Sa force, c’est d’élargir le champ de son vécu personnel pour offrir un cinéma qui vise à l’universel.

Dans Je vous souhaite d’être follement aimée, Ounie Lecomte traite de sujets essentiels : les racines sont évoquées, la question de la famille que l’on se crée, se choisit, est abordée. Mais aussi la peur de devenir mère ou père. Les erreurs et schémas qu’on craint de reproduire parcourent le film en filigrane. On pense également à l'importance de l’inné et de l’acquis dans un parcours de vie, en le regardant.

D’autres thèmes sont également abordés : l’impact que peut avoir l’entourage proche et familial sur notre libre-arbitre, la place du déterminisme social dans une vie, le racisme, la laïcité, la double-culture par le biais du personnage incarné par le talentueux petit Elyes Aguis (déjà vu dans le splendide Le Passé de Asghar Farhadi). Avec beaucoup de sensibilité, en ayant l’air de ne pas y toucher, Ounie Lecomte signe un film foncièrement politique, qui questionne notre place dans la cité. (1)

Le choix de Dunkerque (2) comme décor n’est d’ailleurs pas un hasard. Voici une ville qui fut détruite durant la seconde guerre mondiale, puis reconstruite. Voici une ville qui s’est relevée, a vécu des moments douloureux, connu un passé industriel florissant.

En écrivant ces lignes, on se rend compte qu’on évoque Dunkerque un peu comme on le ferait d’un personnage. Et c’est bien un personnage à part entière que filme Ounie Lecomte. Il y a longtemps qu’une ville du Nord n’avait était filmée avec autant de soin, de poésie et de beauté - bravo à la chef-opératrice Caroline Champetier pour sa lumière -. Le tout est magnifié par la musique composée par Ibrahim Maalouf (belle idée).

De plus, comme le précise Ounie Lecomte, Elisa habite le quartier du Grand Large, construit sur les friches industrielles et portuaires, suivant une politique de réhabilitation et symbole d’un élan vers l’avenir. La ville devient ainsi une métaphore du personnage principal incarné par une Céline Sallette habitée.

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Céline Sallette et Anne Benoît, deux grandes actrices qui interprètent une véritable partition.

On s’en voudrait de ne pas citer Anne Benoît, qui incarne Annette la mère d’Elisa. Elle montre de multiples visages tout le long du film, peut sembler dure, puis fragile. Au point de devenir la fille de sa propre fille. Quel talent ! Elle était déjà très bien dans Je suis un soldat. Ici, elle impressionne sans jamais faire de « démonstration ». La marque des grandes actrices.

On rencontre une mère - femme de condition modeste, qui porte en elle un lourd secret - stigmatisée par son entourage (nous n’en dirons pas davantage), rongée par la culpabilité. On découvre les inquiétudes d’Elisa, son incompréhension face à cette femme qui l’a rejetée. Sa colère, sa rage, son désespoir, ses doutes. Bonheur de voir Sallette et Benoît jouer "ensemble" quand certains acteurs jouent "contre". Elles interprètent une véritable partition musicale.

Nous parions à Lille La Nuit, que Je vous souhaite d’être follement aimée saura autant vous bouleverser que vous faire réfléchir. Il est des films qui touchent au cœur tout en ayant l’élégance de ne jamais mettre de côté la capacité de réflexion des spectateurs. Oui, un cinéma à la fois émouvant, intelligent, adulte, accessible, est possible. Nous ne le répéterons jamais assez à Lille La Nuit.

(1) - On se saurait que trop vous conseiller de voir aussi cette semaine La Fille du Patron : beau premier long-métrage de et avec Olivier Loustau (et la divine Christa Théret). Voilà du cinéma bien ancré dans notre époque - même s'il est un hommage revendiqué à certains films avec Jean Gabin tels La Belle Equipe de Julien Duvivier -. Comme quoi, un cinéma politique et citoyen - qui ne soit pas chiantissime - existe encore en France. Contrairement à ce qu’affirmait récemment une célèbre revue de cinéma.

(2) - Dunkerque a décidément le vent en poupe : Christopher Nolan, le réalisateur de la trilogie The Dark Knights y tournera son prochain long-métrage Dunkirk (titre provisoire), sans doute interprété par Tom « Mad Max » Hardy.

Je vous souhaite d’être follement aimée
Réalisation Ounie Lecomte
Production Gloria Films Laurent Lavolé Pictanovo
Scénario Ounie Lecomte Agnès de Sacy
Musique originale Ibrahim Maalouf
Image et direction artistique Caroline Champetier
Avec Céline Sallette, Anne Benoit, Elyes Aguis, Françoise Lebrun, Louis-Do de Lencquesaing, Pascal Elso, Micha Lescot, Catherine Mouchet.
Durée : 1h40
Sortie le 6 janvier 2016.

Affiche, photos et film-annonce © Diaphana Distribution

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