Du 08 au 29 novembre 2025, le NEXT festival est revenu pour sa dix-huitième édition. Dans un contexte géopolitique où chacun.e se replie sur soi, le NEXT choisit la connexion et la diversité puisque cette année le festival a accueilli vingt-huit artistes de dix-huit pays différents dans l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et Valenciennes. Le NEXT ne cesse de faire des efforts d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap en proposant des spectacles adaptés et la mise à disposition d’une trentaine de navettes gratuites pour se rendre dans les salles. LillelaNuit est allé voir quelques unes des pièces présentées.
Des pièces sur le DÉSIR D’ABSOLU ET D’INFINI au next festival 2025
Le duo égyptien Nasa4nasa proposait Sham3dan, au nouveau musée Abby de Courtrai. Issu d'une danse traditionnelle orientale, le shamadan consiste pour des danseuses à porter des chandeliers sur la tête. Dans un éternel recommencement de tours et de circonvolutions en extrême lenteur, la danse s’érige vers le ciel et la verticalité est menacée par le moindre déséquilibre. Constituée de jeux d’ensemble et de positionnements dans l’espace, la performance symbolise l’enchaînement des femmes à leur propre histoire et à toutes celles qui les ont précédées. Parmi les neuf danseureus.e.s, certain.e.s étaient ankylosé.e.s par le poids du candélabre et par leur concentration. A peine étions nous entrés dans une forme de méditation que la chorégraphie était déjà terminée. La performance qui n’a duré qu’une trentaine de minutes était trop courte ce qui la rendait assez anecdotique.
Performeuse suédoise formée à la danse contemporaine et au flamenco, Alma Söderberg envisage la voix comme un langage corporel. Dans Infinétude, performé par six interprètes au Budascoop de Courtrai, la voix développe son propre langage, devient un mode d’expression du corps tout aussi signifiant que les mots ou la parole. Les artistes, sans manquer d’humour, incarnent leur voix et livrent des inflexions, des impulsions, une eurythmie, des canons, une harmonie ou une joyeuse cacophonie. De manière très primitive, individuellement ou collectivement iels expriment des émotions et des sensations. Dans cette performance chorale, L’écoute entre les interprètes, leur acuité, leur précision et leur liberté est si grande que les propositions sonores finissent par des improvisations. Rien est figé, un rythme découle d’un autre et en fait naître de nouveaux montrant toute l’étendue et la force expressives des êtres humains. Infinétude est une quête impossible d’éternité, d’absolu, d’immensité que l’on aurait pu contempler et écouter pendant des heures. Un grand coup de cœur pour LillelaNuit.
LA FÊTE COMME ACTE DE RÉBELLION
La chorégraphe danoise Mette Ingvarsten était accueillie au Next Festival pour la sixième fois. Son travail s’axe autour des danses contagieuses du Moyen-Âge lors de grandes épidémies. Delirious Night présenté au Leietheater à Deinze, invite les neuf interprètes tous.te.s torses nus, masqué.e.s et maquillé.e.s à aller au-delà d’une forme d’exaltation, à chercher la frénésie des corps et des états d’être, à extérioriser leur chaos intérieur. Quatre tréteaux recouverts de bâches et surplombés d’échafauds sont placés à chaque coin du plateau. Même si une guirlande lumineuse empiète dans la salle pour faire la jonction entre le public et la scène, le spectacle est un délire qui nous a été hermétique. La proposition chorégraphique est très pauvre dramaturgiquement et paraît datée. Dans cette énergie de la fuite en avant, le mouvement devient un exutoire avec des lourdeurs de style attendus. Delirious Night n’a rien de subversif. Une performance ennuyeuse qui fait beaucoup de bruit pour rien.
L’artiste lituanienne Kamilė Gudmonaitė met en scène six interprètes en situation de handicap. Dans une forme fragmentée et joyeuse, la pièce FEAST (la fête) dénonce un monde au désir despotique de normativité. Chacun.e avec ses failles et ses forces, raconte des anecdotes à la fois drôles et insensées sur ce qu’iels peuvent vivre au quotidien. Présenté au Théâtre de l’Idéal de Tourcoing, FEAST, entre danse, chant, musique et théâtre affirme que la liberté d’une société dépend de l’acceptation de sa diversité. En leur donnant la parole, Kamilė Gudmonaitė permet aux interprètes de reprendre le dessus sur leurs expériences vécues dans un monde, en refus d’empathie, où la norme fait loi.
Dans le décor industriel de la grande salle de la Condition Publique de Roubaix, le public est installé en quadrifrontal autour d’une scène montée spécialement pour la nouvelle création de Marco da Silva Fereira, F*cking Future. Le chorégraphe portugais avec sept autres interprètes, explose les stéréotypes de genre. La pièce débute dans une lumière tamisée ou un danseur, puis deux, puis trois, puis sept s’engagent sur le plateau par des gestes très maitrisés et contenus. La chorégraphie est quadrillée, chacun.e connait parfaitement la partition. Iels font tous.tes le même mouvement au service d’une parade exigeante. Le plateau éclairé en clair-obscur donne l’illusion d’infini puisque sans que l’on s’en aperçoive, de plus en plus de danseur.euse.s s’insèrent dans le cortège. Bien que l’attitude soit martiale, les corps fuselés ondulent dans un même mouvement. Une énergie sensuelle réprimée mais qui tend vers le débordement. Les corps sont domestiqués et les gestes répétés sont parfaitement appris — teintés de vigueur et de force mais empreint d’une énergie sexuelle irrépressible. L’esthétique est « glossy » et métallique avec les pantalons irisés et les hauts façon cottes de mailles échancrées. Le costume est une armure détournée. Le tapis de scène miroir créer l’impression que les interprètes, elles.eux-mêmes suant.e.s dansent sur l’eau. La pièce dérive. L’énergie est exaltée et fiévreuse. F*cking Future devient un acte de résistance ou Marco da Silva Fereira s’inspire des danses révoltées des communautés afro-américaines notamment des danses issues du clubbing. Le spectacle devient une échappée cathartique où les danseur.euse.s clament les paroles de Dream Baby Dream de Bruce Springsteen ou celles écrites par le chorégraphe lui-même « Suivez le mouvement, sans un regard en arrière […] On est le pédé, la femme et le tordu, la drag et la butch la moche, la reine, on est le feu que tu veux effacer. […] On ne marche pas droit, on slalome, on scintille. […] Je suis une mitraillette en état de grâce.» LillelaNuit est ressorti galvanisé de ce spectacle militant. Un grand coup de cœur.
Centroamerica, le THÉÂTRE DOCUMENTAIRE COUP DE POING
L’artiste Luisa Pardo et Lázaro Gabino Rodríguez, membres du collectif mexicain Lagartijas Tirada al sol présentaient Centroamerica à la Condition Publique . Leur travail se situe au croisement de l’intime et le politique, de la fiction et le réel. Leur écriture est fragmentée puisque s’entrelacent des récit autofictionnels, autobiographiques, de documents authentiques et de témoignages. Maîtres dans l’art du théâtre documentaire, le collectif a la volonté d’enquêter sur la politique des différents pays d’Amérique Centrale où la liberté et les droits fondamentaux sont sans cesse mis en péril. Tout en ayant conscience de l’endroit d’où il parle, (puisque le Mexique a une place à part en Amérique Centrale) le duo se questionne sur la manière de faire un théâtre militant. Les histoires intimes découlent d’un contexte politique particulier et interrogent, sur un plan plus large, les dysfonctionnements sociétaux en Amérique Centrale. Sur le plateau, une petite piscine, des transats, une toile peinte d’un paysage tiré d’un imaginaire colonial servent à dénoncer la colonisation moderne : le tourisme. Les serviettes et les nappes que vont déployer Luisa Pardo et Lázaro Gabino Rodríguez tout le long de la pièce forment un patchwork et font ainsi état de la situation complexe et du morcellement politique de chaque pays en Amérique Centrale. Dans la deuxième partie du spectacle, on suit le témoignage de María, une femme nicaraguayenne exilée au Costa Rica. Elle demande à l’artiste Luisa Pardo de se faire passer pour elle, de traverser la frontière afin de faire déplacer le corps de son frère décédé dans la tombe de sa mère. Projeté en vidéo, leur périple montre les risques que le collectif est prêt à prendre pour María et dévoile les dérives autoritaires au Nicaragua.
Crédit photo : © José Caldeira pour la pièce F*cking Future de Marco da Silva Fereira.
