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Jacques Higelin au Théâtre Sébastopol

Il n'est jamais trop tard pour faire connaissance. Pour rattraper le temps perdu.

On aura donc attendu que le bonhomme ait dépassé les 70 ans au compteur pour enfin se confronter au phénomène Jacques Higelin. Ce qui est assez inexplicable en soi. Car l'air de rien, pour quelqu'un né au milieu des années 70 (ce qui est le cas de votre serviteur), ce chanteur aura toujours fait partie du paysage. Au même point que Serge Gainsbourg ou Alain Bashung.

Impossible en effet, en grandissant, de ne pas avoir été marqué par certaines de ses chansons. Comme 'Champagne' qui pour un enfant avait à l'époque (cela doit être encore le cas aujourd'hui), un je-ne-sais-quoi d'effrayant et de déroutant. Ou bien sûr 'Tombé du Ciel', titre naïf que l'on ne pouvait s'empêcher néanmoins de fredonner ou de siffloter.

Impossible aussi en étant devenu un adulte quelque peu féru de Rock, de ne pas s'être penché sur certains disques du gaillard. BBH 75 en tête. Le genre de galette que l'on se doit obligatoirement de posséder dans sa discothèque. Car en ayant ouvert, en 1975, des voies musicales et artistiques encore inexplorées en France, cet album peut être considéré comme l'une des bornes fondatrices du Rock Français. Une de ses pierres angulaires.

Mais voilà, le fossé générationnel, ou la simple bêtise, auront voulu que l'on s'intéresse davantage à ses enfants. Qu'ils soient naturels : Arthur H et Izia. Ou spirituels : François Hadji-Lazaro ou Cali. Alors même si, avouons le, l'oreille prêtée au dernier album en date, Beau Repaire , fut plus que discrète, il était enfin temps de vérifier où ses artistes tiraient leur ADN.

C'est donc avec un état d'esprit un peu particulier que l'on pénètre au sein du Théâtre Sébastopol en ce soir du 13 juin 2013. On connaît l'artiste. On a grandi de loin avec lui, côtoyé ses gamins. Les plus anciens nous ont vanté la folie grandiloquente de ses concerts. Et pourtant, on est en mode découverte. A 73 ans, Jacques Higelin réussit le pari d'être encore pour certains spectateurs un jeune premier.

Un jeune premier bien évidemment marqué par les années passées. Aux traits légèrement tirés. Aux cheveux grisonnants. Confessant un dos et des genoux fatigués. Traînant une crève qui lui éraille la voix et emplit sa gorge de ce qu'il appelle poétiquement « une richesse intérieure ». Et pourtant, quelle leçon de vie il donnera.

Le thème de la mort a beau irriguer ses chansons les plus récentes ('Balade Au Bord De L'Eau'), l'image que renvoie l'homme est celle d'un éternel gamin. Épris de liberté. Jouissif et jouisseur. Avec Jacques Higelin, le verbe 'jouer' n'a jamais autant été polysémique. Il joue son répertoire. Et joue avec. Emmenant ainsi le public dans de multiples horizons musicaux. Des mélodies World et chaloupées ('Délire D'Alarme'), du Rock décadent et légèrement Funky (sublime version de 'Mona Lisa Klaxon'), des instants de pure tendresse ('Rendez-Vous En Gare D'Angoulême')... Le concert prend des allures de joyeux tourbillon. Réservant son lot de surprises comme l'apparition de l'actrice Sandrine Bonnaire pour un 'Duo D'Anges Heureux'. Et des moments touchés par ce que l'on ne peut appeler que la grâce : 'Je Suis Mort, Qui Dit Mieux' et 'L'Accordéon'.
Des chansons qui filent la chair de poule. Et où le temps est comme suspendu...

Le temps. Une notion que Jacques Higelin semble ignorer. Ou vouloir éradiquer. Par ses enfantillages. Et ses multiples discours entre les morceaux. Des apartés plein d'humour, où le chanteur se livre, nous parle de sa vie, de ses amours passés... Se moque de Carla Bruni, croisée récemment lors d'un Taratata, et de son mari... S'inquiète du retour de l'ordre moral... Et crie son amour pour le public avec une telle sincérité dans la voix et une telle absence de démagogie qu'il en devient bouleversant. Des délires verbaux tellement digressifs que le chanteur en arrive à perdre le fil de sa pensée (tout en retombant toujours sur ses pattes). Ou à dérouter ses propres musiciens. Qui, de nombreuses fois, entament l'introduction d'une chanson avant de lâcher l'affaire. Voyant que le Monsieur n'est pas prêt de se taire. Tordant. Et touchant.

Ce qui impressionne, c'est ce naturel. Cette absence de calcul. De cynisme. Cette manière de vivre pleinement la scène. Comme un homme libre. Refusant de livrer un show millimétré. Au risque de se casser la figure. Ne privilégiant que le plaisir, l'hédonisme et la chaleur humaine. Et faisant qu'en sortant de la salle, après de furieuses et dantesques versions de 'Champagne' et d' 'Irradié', on se rende compte, sans que l'ennui n'ait jamais pointé le bout de son nez, que trois heures de spectacle viennent de passer. Chapeau bas ! Que certains jeunes artistes actuels reproduisant froidement soir après soir le même concert en prennent de la graine.

Arthur H a chanté de son père qu'il était un cosmonaute, un bel astronaute. Confirmation faite. Car c'est avec des étoiles plein les yeux et le cœur que l'on ressort d'un de ses concerts. Et pour les pauvres couillons dépités d'être venus si tard à sa rencontre, une seule solution : se replonger de plus belle dans son univers.

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