Entre deux avions et une guitare sous le bras, Yass Body a vécu une aventure pas comme les autres : 30 concerts au Japon, des sessions en studio à Tokyo, des collaborations improbables et même un clip tourné sur place. De retour à Lille, il nous raconte cette tournée folle qui a donné naissance à son premier album Ladder of Love, un projet entre funk, folk et amitiés franco-japonaises, où la musique devient un vrai langage universel.

Une tournée pas comme les autres : le lillois Yass Body au Japon
LillelaNuit : Comment est née l’idée de faire 30 concerts au Japon pour le Ladder of Love Tour ?
Yass Body : L’idée est née du fait que le Japon est le pays d’origine de notre bassiste. Nous avons donc organisé une première tournée pour y jouer. Grâce à quelques rencontres faites à Lille, nous avons trouvé de nouvelles opportunités sur place. L’année dernière, nous avons ainsi réalisé 15 concerts. L’expérience a été super et nous a même permis de découvrir des possibilités d’enregistrement, ce qui m’a donné envie d’y retourner pour finaliser mon premier album.
Le mixage de l'album s'est fait au studio Happyness, avec Hikaru Aoki. Qu'est-ce qui rend ce lieu et cette collaboration si spéciaux pour toi ? Pourquoi as-tu eu envie d'enregistrer au Japon à la fin de ton premier album ?
L’idée était de travailler avec une ingénieure du son dont j’appréciais à la fois la personnalité et les conditions de travail. Cela s’inscrivait dans la continuité du voyage : après les concerts, il me semblait intéressant de passer directement en studio. Sur place, nous avons enregistré les guitares manquantes pour le premier album, la plupart des autres instrumentations ayant été réalisées ici, dans le Nord.
Y a-t-il eu des rencontres inattendues lors de ce voyage ?
Au-delà du travail en studio, ce séjour a été marqué par des rencontres fortes. La plus marquante reste celle de Daisuke Chiba. Je l’avais découvert dans un manga quand j’avais 13 ans, et j’ai ensuite appris que ce personnage était inspiré d’une personne réelle, membre d’un groupe de rock. J’ai donc voulu le rencontrer, et nous sommes rapidement devenus très amis. On s’est rendu compte que nous faisions beaucoup de musique dans le même style, et je l’ai invité à chanter sur un morceau de l’album.
Ton projet devient vraiment unique et exceptionnel avec le côté France - Japon et puis toutes ces rencontres !
C’est un projet nourri de rencontres. Pour moi, la musique, c’est aussi aller chercher des oreilles venues d’ailleurs, voir comment elles perçoivent ce qu’on fait ici. L’idée est de provoquer quelque chose de différent, sans tout maîtriser, en bénéficiant de regards et de cultures variés. Ici, on écoute globalement les mêmes choses, mais dans le monde, il existe de vraies différences, et c’est ça qui rend l’expérience passionnante.
Tu peux nous raconter un peu ce qui t'a marqué dans les clubs, les bars, les cafés rock du Japon ?
Ce qui m’a vraiment marqué dans les bars, salles et cafés rock, c’est qu’ils sont tous très bien équipés pour jouer du très bon rock. Les instruments sont de qualité, les amplis aussi, et il y a un ingénieur du son dédié, ce qui change complètement le rendu et rend les concerts moins aléatoires. Autre particularité : les concerts sont très courts. J’ai fait beaucoup de sets de 20 minutes, et j’ai adoré ça. À l’origine, je n’avais prévu qu’une quinzaine de dates, mais la formule des concerts courts m’a permis d’en faire 30. On pouvait facilement jouer un peu partout, et dès que je sortais, je savais que quelqu’un pourrait me demander de jouer. C'était un peu la rareté là-bas. Ils ont plus de spontanéité dans la programmation. Bien sûr, nous avons aussi retrouvé certaines organisations avec lesquelles nous avions déjà joué l’an dernier, et qui nous ont proposé de nouvelles dates, parfois trois fois dans l’année. C’était très intéressant, car cela a créé de belles dynamiques de collaboration avec les artistes locaux.
On a parlé des lieux, et le public est comment là-bas ?
C’est vraiment intéressant. Le public japonais est très mélomane et connaît très bien les cultures pop, souvent avec un œil de fin connaisseur. Les Beatles, par exemple, sont un peu incontournables là-bas. Dans les petits lieux, on trouve beaucoup de personnes qui viennent autant pour jouer que pour écouter, créant un public très vivant. Dans les salles de concert, l’expérience change d’un endroit à l’autre : certaines attirent surtout des Japonais, d’autres des expatriés. Selon l’organisation, on ressent clairement différentes influences culturelles.
Comment se sont passées les collaborations avec des musicien·nes japonais·es ?
J’ai beaucoup plus joué avec des Japonais qu’avec des expatriés. J’ai rejoint un groupe là-bas grâce à Daisuke Chiba, la personne du manga, qui m’a invité à jouer avec eux. J’ai eu la chance de faire plusieurs concerts, et leur expérience était incroyable, d’autant plus que nous n’avions pas la même langue commune. Il y avait aussi un groupe de funk avec deux batteries, Rusty Knackle Heads, qui m’a proposé spontanément de jouer avec eux. On a donc partagé la scène devant un public japonais, un très bon souvenir. Ce sont surtout ces expériences de travail et de collaboration avec une culture différente qui ont vraiment éveillé ma curiosité.
Comment fais-tu pour communiquer là-bas ?
Je ne parle pas très bien japonais, juste un peu maintenant, mais je ressens plus les choses que je ne les comprends vraiment. J’ai donc souvent passé des moments à ne pas saisir ce qu’ils disaient, mais ils m’expliquaient, ou je finissais par deviner. La communication était très non-verbale, et c’est ça qui change tout. La musique, en revanche, m’a permis de communiquer pleinement : mes chansons étaient un langage universel. J’aimais les tester sur des personnes un peu éloignées, et elles me donnaient des retours très précis. Certains titres étaient même redemandés lors des concerts suivants. C’était une première pour moi d’avoir un public qui “exigeait” des morceaux. C’était génial, mais cela m’a aussi poussé à creuser, à créer de nouvelles choses et à apprendre constamment.
La musique, en revanche, m’a permis de communiquer pleinement : mes chansons étaient un langage universel.
Yass Body à propos de son voyage au Japon
Tu as partagé sur tes réseaux sociaux que c'était parfois dur d'être en tournée tout seul. Tu peux raconter un peu ce sentiment-là, qui est peut-être différent de ce que tu as vécu les autres fois, avec des groupes.
C’est une expérience très particulière, parce qu’il n’y a personne pour te motiver le matin à faire le premier pas. Être aussi loin de chez soi, en plein été, en quelque sorte en vacances, et devoir se pousser à avancer, c’est ça le plus dur. J’ai utilisé les réseaux sociaux comme appui, en créant une interface musicale pour échanger avec les gens, et je me suis vite rendu compte que c’était devenu indispensable pour mon équilibre. Ces interactions me permettaient aussi de trouver de nouvelles opportunités et des invitations à jouer. La solitude dans une tournée en solo, c’est vraiment quelque chose de difficile à gérer.
Le fait d'être solo, ça t'a poussé aussi peut-être à aller un peu plus vers des gens pour découvrir, pour échanger ?
Être en solo m’a sans doute poussé à aller vers les autres et à créer des liens. À mon départ, j’ai eu droit à une petite fête d’adieu, et j’ai réussi à nouer des relations assez spontanément, sans trop les chercher, de manière authentique. Mes morceaux ont beaucoup aidé, ils sont devenus ma carte de visite. J’ai commencé à jouer certains titres avec Gary Lucas, qu'on ne joue pas par faute de se rencontrer, et je les ai adaptés pour l’occasion. Cela a aussi permis de montrer ce que je faisais. Ensuite, Daisuke Chiba s’en est mêlé, en faisant un peu de pub pour moi, sur sa ligne de vêtements, il y avait le logo de mon groupe. Ce sont des petites choses qui ouvrent des portes : d’autres Japonais voient qu’on joue ensemble et s’intéressent au projet. Beaucoup d’expatriés m’ont même dit qu’en 7 jours, j’avais réussi ce qu’ils mettraient 4 ans à accomplir. Tout s’est passé naturellement, et ces rencontres m’ont vraiment aidé à surmonter la solitude de la tournée.
Le Lillois Yass Body, et l’Américain Gary Lucas sortent leur EP commun
Qu'est-ce que cette tournée t'aura appris ?
Cette tournée m’a beaucoup appris : la musique, la culture locale, et plus particulièrement le rock des années seventies. J’ai vécu un vrai test grandeur nature, même si ce n’était pas intentionnellement un test, plutôt une forme de “développement entrepreneurial”. Au final, c’est surtout une aventure humaine, faite de nombreux concerts et rencontres, qui m’a ouvert de nouvelles opportunités de travail. Ce que je voulais, c’était justement ça : rencontrer des gens, voir si ça fonctionnait bien avec eux, et partager un vrai désir de collaboration.
Au final, c’est surtout une aventure humaine, faite de nombreux concerts et rencontres, qui m’a ouvert de nouvelles opportunités de travail.
Ladder of Love : l’album à découvrir très bientôt...
Là-bas, tu as aussi eu la possibilité de tourner un clip ! Tu peux nous raconter cette expérience incroyable pas du tout prévue ?
Oui, j’ai eu la chance de tourner un vidéo clip là-bas. J’avais joué dans un lieu appelé 7th Floor, où des réalisateurs venaient regarder les concerts. C’est là qu’on m’a proposé de tourner un clip à Tokyo, avec deux acteurs et un réalisateur. Je me suis laissé porter par cette expérience, sans maîtriser la production, et j’ai profité de chaque proposition pour en tirer le meilleur. Tout s’est super bien passé. C’était un vrai hasard : la veille, le réalisateur et moi avions discuté de plan large sur le cinéma italien, et il a eu envie de reproduire cette ambiance dans le clip. Je me suis dit : “Allons-y, on fonce !”
Tu peux nous parler un peu de l'album qui arrive, des chansons, de quoi ça parle, ce que t'as voulu faire avec ce projet qu'on pourra découvrir.
Le projet s’appelle Ladder of Love, “l’échelle de l’amour”. C’est à la fois le titre de l’album et du single, écrit à Tokyo. L’album compte 12 chansons, mélangeant funk-rock et musique folk. C’est probablement la production la plus calme que j’aie jamais réalisée. La formation qui joue sur l’album s’est construite avec le temps autour de cette musique, et elle a beaucoup évolué depuis le début. On est une sorte d'ensemble de funk avec des compositions originales, mêlant clavier, synthétiseurs et cuivre. Certaines chansons parlent de personnalité et de lieux marquants à Lille, comme un hommage à Gabriel Garcia et au faubourg des musiques. D’autres abordent l’amour ou l’immigration. Chaque morceau raconte une histoire précise et imagée, dans une vibe un peu à la Bob Dylan, mais avec des morceaux plus dansants et funky que de simples pop-songs.
Tu as tout écrit et composé ?
Oui, j’ai tout écrit et composé, et j’ai un peu dirigé le projet du début à la fin. Depuis le départ, la direction était claire, mais le plus long a été de trouver les bons musiciens pour le réaliser. Il faut faire la distinction entre être instrumentiste et aller jusqu’au bout d’un morceau pour le finaliser. J'ai accompagné un tas de personnes dans la musique pour arriver à ce résultat : beaucoup sont partis, d’autres sont restés, et le résultat actuel me satisfait pleinement. J’ai conservé le même mode d’écriture que celui que j’avais expérimenté avec Gary Lucas, car je me suis rendu compte qu’au Japon, cela fonctionnait très bien même auprès d’un public non anglophone.
Quand pourra-t-on découvrir l’album et quelles sont les prochaines étapes avant sa sortie ?
L’album est presque entièrement mixé, et l’idée est de sortir au moins un titre avant la fin de l’année, avec la sortie complète prévue à la mi-février 2026. D’ici là, les prochaines étapes incluent le mixage et le mastering, la sortie du premier single Ladder of Love accompagné de son clip, puis trois autres clips déjà tournés qui sortiront dans la foulée. J’aimerais également organiser des release parties en Belgique et en France en février.
Pour la fin de l’année, il n’y a pas beaucoup de projets visibles, mais 2026 sera chargée. Les prochaines années seront consacrées à la tournée et à la production, avec l’objectif de constituer une équipe de production efficace, de travailler vite et de réduire le délai entre création et sortie des albums, ce qui est un vrai défi pour un musicien indépendant. Parallèlement, je continue mon travail dans le cinéma, mon métier de cœur, et je profiterai de la fin d’année pour préparer ma première conférence au printemps, avec des démonstrations de séquences de films.
