Cette semaine, l'actu ciné de LillelaNuit fait son focus sur Rembrandt, à l'affiche depuis le 24 septembre dernier. Porté par les interprétations de Camille Cottin, Romain Duris, Céleste Brunncquell, Rembrandt est un film singulier, original sur les méfaits du nucléaire et des dangers climatiques. LillelaNuit a rencontré le réalisateur Pierre Schoeller (L'Exercice de l'État) et Davide Faranda, directeur de recherche au CNRS en sciences du climat, qui joue aussi dans le film.
Le film est à la fois très incarné dans la science, dans les questions énergétiques, dans les questions du climat, mais il est aussi très enraciné, dans des choses beaucoup plus magiques, plus intuitives.
Pierre Schoeller
Vous avez ressenti un choc devant trois toiles Rembrandt à la National Gallery. Cela donne naissance au point de départ de votre film : Claire, le personnage qu'interprète Camille Cottin vit ce que vous avez vécu. Que vous est-il arrivé ? Le syndrome de Stendhal ?
Pierre Schoeller : Ce n'est pas exactement un syndrome de Stendhal, c'est une rencontre. Le syndrome de Stendhal, c'est vraiment de la déréalisation par l'émotion esthétique ou historique, Les gens ne rentrent plus à leur hôtel après avoir vu un Raphaël, ils n'arrivent plus à recoller avec le quotidien. Et oui elle est quand même très perturbée. Elle reste longtemps, elle est happée, capturée, c'est sûr. Ensuite, elle fait un rêve, puis revient le lendemain pour voir si ce qu'elle a vu peut être partagé avec son mari. Mais moi, je suis partie d'une rencontre avec quelque chose qui vous touche. Comme quand quelqu'un prononce une phrase sans savoir son importance, et que cette phrase prend une valeur folle. Évidemment que Rembrandt n'a pas peint ses trois tableaux en se disant qu'un jour, dans un musée, ses toiles changeront la vie d'une ingénieure nucléaire. Mais moi, j'ai vu quelque chose. Si vous voulez, on est tous interpellés par ce qui se passe, que ce soit à Gaza, que ce soit avec le climat, que ce soit avec l'état social du pays. Après, vous êtes plus ou moins à l'écoute de certaines choses, donc on a des questions sans réponses. On vit avec ça. On vit même avec des positions. On a même des positions où on sait qu'on doit faire des choses, mais on n'a pas les réponses. Et ça nous met dans une certaine tension, psychologique, émotionnelle ou politique. Et là, tout d'un coup, il y a un tout qui se produit avec le tableau. C'est-à-dire qu'elle voit une réponse à une question qu'elle se posait comme ça, peut-être inconsciemment, mais ces tableaux lui parlent. Ça lui donne un sentiment sur l'existence, et sur ce qu'elle fait aussi et elle le décode. Mais après, ça prend une allure fictionnelle. Le film est à la fois très incarné dans la science, dans les questions énergétiques, dans les questions du climat, mais il est aussi très incarné, très enraciné, dans des choses beaucoup plus magiques, plus intuitives. Et je dis souvent qu’il ne faut pas essayer d'expliquer tout ce que fait Claire. On essaye d'écouter le personnage et de la suivre dans ce qu'elle ressent et comment elle l'exprime. Mais le sentiment de base sur cette idée d'humilité, c’est qu’on a envie de gouverner sa vie. On a envie de diriger sa vie à un endroit, de la mener à un endroit. Mais la vie va peut-être nous envoyer à un autre endroit. En plus, j'ai lu un peu sur Rembrandt. Il a eu des phases de vie très différentes avec des décès, la gloire, la fortune. J'ai vu ça dans ce qu'il a peint. Comme, en plus, il est un peintre de l'autoportrait, ça veut dire, pour moi, qu'il est un peintre très humain. Il a ses grandes toiles de style. Mais en fait, si vous regardez, c'est toujours très humain. Et c'est ça que j'ai vu. Je suis parti de ça. Je ne suis pas ingénieur du nucléaire. Non. Je n'ai pas envie de l'être. Après, j'ai croisé avec le nucléaire, mais le nucléaire, c'est un univers, c'est un motif, c'est un lieu d'aujourd'hui.

Pierre Schoeller sur le tournage.
Comment avez vous travaillé tous les deux pour que cet aspect scientifique sur le climat et sur le nucléaire, puisse garder une certaine complexité, mais, qu'en même temps, il soit didactique et compréhensible pour le spectateur ?
Pierre Schoeller : On était obligés de passer par là. C'est vraiment du travail qu'on a fait, mais par plusieurs itérations, on a pris des cafés ensemble, on a écrit les scénarios. Je peux répondre sur une chose, c'est déjà, David est un formidable communicant. ils sont dans les JT, font des réunions avec des gouvernements au quatre coins de la Terre. Ce ne sont pas des gens isolés, qui ne bougent pas, ils n'arrêtent pas d'échanger. Donc ils ont l'habitude de poser les choses. C'est quand même récent dans notre communauté, ça aussi, on comprend l'importance. Parce qu'il y a un grand enjeu politique aussi.
Davide Faranda : Oui, il y a cet enjeu du curseur de où on met la fin du monde. Quand on travaille avec les extrêmes des extrêmes, il y a certaines choses qu'on peut anticiper, et la démarche du personnage de Claire, c'est de dire : "Voilà, il y a ces choses-là, on peut les anticiper, qu'est-ce qu'on fait avec dans une centrale nucléaire ?" Et il y en a d'autres qui sont tellement peu probables et pour lesquelles on ne se prépare pas. L'impact des extraterrestres, des astéroïdes, on peut les imaginer, mais on ne peut pas vraiment s'y préparer. Alors qu'on peut agir sur les changements climatiques.
Pierre Schoeller : En fait, ils ont des modélisations. Disons que sur cette table, on voit un certain nombre de choses. Mais il y a une chose tout d'un coup qui surgit et qui n'était pas là. Par exemple, une poupée Barbie ou un éléphant. Et ils se disent, qu'en fait, elle était là, mais qu'ils ne l'ont pas vue. Et donc, on doit tout revisiter pour cet objet qui était là. Le système n'était pas exactement celui qu'on avait sous les yeux. C'est l'idée du dé à plusieurs faces. On résonne avec un dé à six faces, et quelque part, le dé nous dit qu'il y a une face en plus. Et c'est là où leur activité est vachement intéressante. Elle n'est pas défaitiste. Elle est de pousser la compréhension toujours un petit peu plus loin. Et donc, aussi, l'intervention sur les choses. J'ai aussi essayé de trouver une forme d'illustration par l'image, pour donner à voir ce qu'on essaie de nous dire. Et pour moi, un bon film doit se voir sans comprendre ce qu'il se dit. On doit ressentir l'histoire juste par les images. Par les visages, par les changements de nuit, jour, par le montage.
Davide Faranda : Notre rôle n'est pas d'annoncer la fin du monde. Encore une fois, c'est de chercher des solutions. Sinon, on serait tous déprimés. En fait, c'est exactement comme un médecin. Quand vous allez voir un médecin, vous avez peut-être une nouvelle maladie. Nous commençons à comprendre que le climat est comme une maladie.
Le cinéma, c'est offrir au spectateur deux heures où il se passe quelque chose et qu'après, il vive avec.
Pierre Schoeller
Est-ce que le cinéma peut agir et comment ?
Pierre Schoeller : Moi, je n'ai pas la réponse, parce que c'est très difficile, quand vous faites un film, d'être spectateur du film. Vous l'êtes, mais vous l’êtes comme quelqu'un qui fabrique le film. Je ne suis pas un spectateur. Il faudrait que je sorte du coma et que j'oublie tout pour être spectateur du film et voir comment le film agit. Je vois que le film touche, Il a un côté intuitif. Il y a aussi cette femme. Je voudrais, dans mes rêves les plus flous, que Claire soit une figure référente de courage, de sensibilité, d'ouverture aux choses. C'est un peu comme une Emma Bovary. Après, l'action d'un film, pour moi, c'est d'abord des émotions, des images, du son. C'est offrir au spectateur deux heures où il se passe quelque chose et qu'après, il vive avec. Mais je ne vais pas lui dire comment vivre avec.
On a un couple, constitué de deux scientifiques, mais on a aussi leur fille, Salomé, qui est une grande ado. Elle a des convictions, mais a aussi la dureté de la jeunesse. Le personnage est-il là pour montrer le fossé qu'il peut y avoir entre deux générations ? Montrer le regard que peuvent avoir ces jeunes personnes sur le nucléaire, sur le climat ?
Pierre Schoeller : C'est un personnage de contrepoint, elle n'est pas comme ses parents. Ses parents sont en osmose, en union atomique entre eux, et Salomé a une espèce d'aplomb. Elle est la seule à pouvoir dire à Claire ce qu'il y a dans ses yeux, elle est la seule à le voir, donc pour moi c'est cette lucidité qui m'intéressait. Il y a une espèce d'aplomb de cette jeunesse, il ne faut pas croire que cette jeunesse se cache du monde, c'est leur monde, et puis ils vont se positionner. Peut-être qu'on est sur des questions qui ne sont plus les bonnes questions, et qu'eux sont sur les bonnes. Je crois que c'est une génération qui va être très politisée.
Pour la jeune génération, il est plus facile de voir la dérive climatique que la dérive technologique.
Davide Faranda
Davide Faranda : Dans tout cas, ils vivent complètement dans cette contradiction, parce qu'il y a plein de contradictions dans cette génération, on connaît les enjeux écologiques, les enjeux technologiques, donc ils sont tirés dans tous les sens, et il y a des choses qui pour nous sont claires, parce que nous on a vécu la transition entre numérique et digital. En revanche, eux ne l'ont pas vécu, donc ils ont acquis certaines choses comme les smartphones, les écrans. Nous on voit certains dangers, certaines dérives. Pour cette jeune génération, il est plus facile de voir la dérive climatique que la dérive technologique. Alors qu'il y a les deux en même temps, que les deux sont liés, bien sûr.
Les infos sur Rembrandt
Rembrandt de Pierre Schoeller
Scénario : Pierre Schoeller et Anne-Louise Trividic
Avec : Camille Cottin, Romain Duris, Céleste Brunncquell, Denis Podalydès, Bruno Podalydès, Davide Faranda
Sortie le 24 septembre 2025
Durée : 1h47
Synopsis : Claire et Yves, physiciens de formation, travaillent dans le nucléaire depuis toujours. Lors d’une visite à la National Gallery, Claire va être bouleversée par trois toiles de Rembrandt. Cette rencontre avec ces trois œuvres magistrales va les changer à jamais.
Entretien réalisé par Grégory Marouzé le 15 septembre 2025 à Lille - Retranscription de l'entretien Lina Sergiani.
Remerciements Majestic UGC Lille
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