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« Au Poste !  » : La dernière dinguerie de Quentin Dupieux avec Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig

Cette semaine l’Actu Ciné de Lille La Nuit vous propose la dernière dinguerie de Quentin Dupieux : Au Poste ! Connu comme musicien électro sous le nom de Mr Oizo, Dupieux signe aussi des films qui ne ressemblent qu’à lui-même : décalés, drôles, oniriques, poétiques, absurdes, parfois inquiétants. Avec Au Poste ! le réalisateur se frotte au genre policier. Mais à la Dupieux ! On retrouve dans le casting Benoît Poelvoorde, Grégoire Ludig - du PalmaShow -, Anaïs Demoustier et l’étonnant Marc Fraize. Critique puis rencontre avec Quentin Dupieux et le comédien Marc Fraize.

Critique de Au Poste !

Lille La Nuit aime le cinéma de Quentin Dupieux ! On avait chroniqué Wrong Cops et interviewé le réalisateur pour ce film.

A sa sortie, Réalité procurait la sensation d’être le film le plus travaillé de Quentin Dupieux. Une forme d'aboutissement. Un drôle d’objet de cinéma (comme tous les Dupieux) qui mêlait cinéma gore, Quatrième Dimension, références au cinéma de David Cronenberg et humour cartoonesque.

Comment le cinéaste allait-il pouvoir offrir un film qui succéderait à Réalité ? Pouvait-il allait plus loin dans la folie, et une certaine forme d’abstraction ?

Vers d'autres références cinématographiques

La réponse trouvée par Dupieux est de partir vers d’autres références cinématographiques. Nous ne sommes plus dans les détournements de films de bandes (Steak), de film de terreur avec pneu tueur (Rubber), de cinéma policier (Wrong Cops)… Avec Au Poste ! nous ne nageons plus dans les eaux du cinéma US mais bien dans celles du cinéma français. Plus particulièrement celui des années 70.

L’affiche annonce déjà la couleur : elle est l’exacte reproduction des polars de Belmondo tournés à la chaîne dans les années 70-80 et distribués par René Château en VHS. Poelvoorde adopte la même posture que Bébel dans des films comme Le Professionnel, Le Marginal, Le Solitaire… Le cadrage est le même. La typographie de l’affiche également.

A la base du script, un classique du cinéma français

Le script, quant à lui, reprend exactement celui d’un classique du cinéma français : Garde à Vue de Claude Miller : huis clos entre un policier et un suspect interprété par Lino Ventura, Michel Serrault et Romy Schneider.

La construction narrative de Au Poste ! est identique ! On y retrouve les mêmes flash-back. Sauf que Quentin Dupieux revisite Garde à Vue en mettant Poelvoorde, à la place de Ventura, et Grégoire Ludig dans la peau du personnage interprété par Serrault !

Dans ce film très court (1h06 sans compter le générique !) tout est affaire d’invention. Comme Dupieux sort peu du bureau de son commissariat, il doit se renouveler constamment (d’où aussi, la durée très brève de son film). Il joue sur tous les tableaux : invention des cadrages, mise en abîme (terme que Dupieux considère comme ringard mais, désolé, on n'en trouve pas d’autre), trouvailles dans les dialogues (bien écrits : on se souviendra longtemps de la phrase récurrente et contagieuse que prononce Anais Demoustier dans le film  : « C’est pour ça ! »),

Dupieux pousse son film vers les limites de l’absurde. Au Poste ! est un Garde à Vue qui serait revisité par Dupieux, sous influence du cinéma absurde de Bertrand Blier (Buffet Froid, Les Acteurs, principalement).

On trouve aussi des allusions aux polars français des années 70 et 80 (Deray, Lautner, Verneuil…) à Bunuel. Le mélange des genres pourrait être abominable, bâtard. Pourtant, on ne sait par quel miracle : ça fonctionne ! Dupieux arrive à faire quelque chose de cohérent et personnel de tous ces matériaux hétérogènes.

Si Poelvoorde et Ludvig sont épatants, la surprise vient également des seconds rôles. Orelsan, notamment, est excellent dans le rôle du fils de Benoît Poelvoorde (il fallait oser !).

Un comédien détonnant : Marc Fraize

Mais la Palme revient à un comédien encore peu connu du public : Marc Fraize, inventeur du personnage de Monsieur Fraize ! Dans le rôle de Philippe, flic borgne, il met tout le monde à "l’amende". Dupieux lui offre une scène d’anthologie, qu'on est pas prête d'oublier, dans laquelle une équerre tient un rôle capital !

Comme à son habitude, Dupieux propose une œuvre d'artisan. Si le cinéaste délaisse pour une fois la musique au profit de David Sztanke - du groupe Tahiti Boy & The Palmtree Family -, il est toujours à l’écriture du scénario, à la réalisation, au cadre et au montage.

Mais une chose a changé : si les précédents films du réalisateur s’adressaient encore à une poignée de spectateurs, Au Poste ! est un film plus ouvert, une comédie qui peut plaire à un large public. Et sans jamais que son auteur ne se compromette, ne perde son identité ou son intégrité. C’est suffisamment rare pour être signalé.

Synopsis : Un poste de police. Un tête-à-tête, en garde à vue, entre un commissaire et son suspect.

Entretien avec Quentin Dupieux et Marc Fraize

Lille La Nuit : Votre film semble être une déclaration d’amour au cinéma des années 70. C’est quelque chose qui vous tenait à cœur ?

Quentin Dupieux : C’est comme un retour en France, un peu marqué, un peu forcé. C’est pour appuyer le plaisir de la France. En passant par ce film à dialogues et effectivement tout un tas de références de mon enfance. Ça, c’est sûr ! Quelques références de ma période de cinéphile, qui est plus récente, on va dire ! Mais au-delà des films dont je parle souvent, au-delà de ces films-là, il y a tout un tas de films qui sont liés à l’enfance comme Le Magnifique (1973) de Philippe De Broca. Je l’ai compris après avoir fait le film ! Comme cette machine à écrire qui déclenche des images dans la tête de quelqu’un. C’est un journaliste qui m’a mis le doigt dessus. Effectivement, Le Magnifique, je l’ai regardé des milliers de fois. C’est un film vraiment important pour moi et je me rends compte que c’est un truc qui ressort de façon vraiment inconsciente et très naturelle. Avec évidemment cette envie de France ! Il y a aussi Peur sur La Ville (1975 - Henri Verneuil). A part quelques références de costumes de Belmondo qui ont permis de façonner un peu le look de certains personnages, c’est un film que j’avais oublié. J’avais quelques images en tête. Après coup, je me rends compte que Minos (ndr : personnage du tueur borgne de Peur sur la Ville) est là (ndr : avec le personnage de Philippe interprété par Marc Fraize). Peur sur la Ville est un film qui a dû me choquer, petit. En tout, j’ai ces images traumatisantes qui sont restées. Et ça ressort aujourd’hui dans un truc marrant ! Il y a une vraie envie consciente de faire un film français à dialogues, une pièce de théâtre un peu à la Père-Noël est une Ordure aussi. Mais il y a aussi tout un un tas de truc qui sont aussi dans mon film, sans que je sois au courant.

LLN : Pourquoi cette envie de revenir au cinéma français, aujourd’hui ?

Q.D . : J’ai un gros problème avec la question du pourquoi. Parce que c’est trop compliqué. Par exemple « Pourquoi tu as fait un film avec un pneu ? ». je me force à chercher une réponse mais la réponse ne sera pas intéressante parce qu’il n’y a pas de pourquoi. Il n’y a pas de réponse. On avance comme on avance. Pourquoi j’ai eu envie d’écrire un film de duo avec des dialogues ? Je n’en sais rien, en fait. On avance comme ça, au grès des inspirations. Je sais qu’à ce moment-là, j’ai eu envie d‘écrire en français ! Ce qui est complètement autre chose que lorsque j’écrivais des scripts pour une traduction anglaise, c’était une autre façon d’écrire et les enjeux étaient différents. Dans ma tête, en tout cas. Et là, j’ai dû avoir envie de retrouver mon « outil » en fait. Parce qu’il faut savoir que je viens de ça. Steak était aussi un film où ça jacassait beaucoup mais avant Steak, tous mes courts-métrages de jeune cinéaste c’était des situations, des dialogues, et je cherchais un truc drôle là-dedans. C’est juste la quête continue. J’ai fait une pause aux US pour fouiller d’autres domaines, en fait. Puis maintenant que j’ai fouillé ce domaine-là, cette façon de faire des films un peu hybrides à Los Angeles, je suis revenu. Mais encore une fois, je vous réponds parce que vous me posez la question. Mais demain, je vais peut-être faire un film avec des Africains, je n'en sais rien (rires) et on ne pourra pas me demander pourquoi.

LLN : Marc Fraize, comment avez-vous construit ce personnage très particulier de Philippe ? Qui est vraiment un personnage très particulier, qui a une dimension assez inquiétante…

Marc Fraize : Première étape : il y a la lecture du scénario ! On se dit « Caviar ! C'est bien écrit ! » Maintenant, qu’est-ce que je vais faire avec un personnage comme ça ? Qu’est-ce que Quentin attend de moi ? On en parle. On déblaye un tout petit peu ensemble l’idée du film. C’est pas toujours très clair parce que tant qu’on est pas sur le plateau, dans le réel de tout ça… On n’est pas dans la tête du réalisateur qui l’a gambergé un moment. J’ai eu de la chance car j’ai eu le déclic évident ! J’ai tout de suite pensé à une personne très proche qui était le personnage de Philippe. Et que je connais par cœur ! Donc, j’ai eu qu’à m’inspirer. J’ai même du me calmer car après, on peut tomber dans une caricature un peu grossière alors que le film ne s’y prête pas. Et on a aussi un garde-fou qui est Quentin. C’est lui qui va doser ça !

Q. D. : Bien sûr ! La magie des comédiens, c’est qu’en fait, moi-même, le fantasme du film tel qu’il est écrit, le jour où on commence à le mettre en boîte en vrai : le fantasme s’échappe ! Et ça devient d’un seul coup une vraie réalité, et c’est plus des idées floues. Plus des espèces d’assemblages. Et c’est mieux ! Je pense qu’il y a des mecs qui ont des rêves plus grands qu’eux et qui n’arrivent pas à les atteindre. Qui ne sont jamais satisfaits. Et d’un seul coup, quand le film se fait, ça devient tout petit, et c’est moins bien que leurs fantasmes. Moi, c’est l'inverse en fait ! Tel que je l’ai écrit, tel que je l’imagine c’est super ! Je suis content ! Mais en fait, ça devient extraordinaire quand j’ai des comédiens en or sous la main. Plutôt que ce soit moi qui donne des directions (ce qui n’est pas le cas, en fait), on compose, on voit le film se fabriquer ensemble. Et en fait, je vois bien qu’on rigole des mêmes choses. C’est très rare qu’un comédien ne soit pas d’accord. Je tiens la barre mais en fait, je trouve le mot « direction » un peu réducteur car, en fait, je ne suis pas en train de diriger. On cherche ensemble. On est un peu des chercheurs d’or.

Au Poste !
Réalisation : Quentin Dupieux
Scénario : Quentin Dupieux
Avec Benoît Poelvoorde, Grégoire Ludig, Marc Fraize, Anaïs Demoustier et Philippe Duquesne
Image : Quentin Dupieux
Décors : Joan Le Boru
Montage : Quentin Dupieux
Musique : David Sztanke

Genre : Comédie
Durée : 1h13

Sortie le 4 juillet 2018

Entretien réalisé à Lille le mardi 26 juin 2018. Remerciements aux cinémas Le Majestic de Lille et  UGC Ciné Cité Lille.

Affiche, films-annonces © Diaphana Distribution

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