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« La Clémence de Titus », l’opéra de W. A. Mozart au Théâtre Raymond Devos de Tourcoing

Ce dimanche 3 février 2019 avait lieu au Théâtre Raymond Devos, sous l’égide de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, la première représentation de « La Clémence de Titus », ultime opéra, en deux actes, de Wolfgang Amadeus Mozart.

Quelques repères historiques pour situer l'histoire

Opéra seria en opposition à l’opéra buffa, héritage de la Commedia Dell’Arte, l’intrigue se base sur des faits historiques. Alors, pour vous ancrer dans l’unité de lieu et de temps, revenons sur quelques éléments clés. Nous sommes donc entre 79 et 81 aprés J.C. Le règne de Titus, est ancré dans la Rome de l’Empire qui connut pour premier empereur Tibère, politicien controversé habile et prudent, mais aussi Sénèque, philosophe stoïcien, auteur des « Lettres à Lucilius » et précepteur du jeune Néron (54-68 après J.C.). L’Empire Romain, alors à son apogée, fut sublimé également par Marc-Aurèle (161-180 après J.C.), qui rédigea « Pensées pour moi-même », œuvre majeure de la philosophie antique.

Dans la continuité de l’action de Bérénice de Racine, « Sesto désire Vitellia qui désire Tito qui désire Bérénice et qui propose d’épouser Servilia qui désire Annio qui lui aime Sesto et l’empereur. Le tout sous le regard simplement efficace de Publio ». Vitellia demande alors à Sesto d’assassiner Titus. Toute l’intrigue réside dans le complot de Vittelia et dans la dualité des sentiments de Sesto. Ce dernier, est un rôle important, grâce à deux airs transpirant le courage « Parto, parto » et « Deh per questo istante ».

Les costumes, les personnages... nous plongent dans la Rome antique

D’une facture résolument ancrée dans le classicisme, contrairement à la proposition de Jérémie Rohrer et la mise en scène de Denis Podalydès, en 2014 qui fut de par ses décors et l’interprétation, plus moderne, plongeant le spectateur dans un Feydeau veaudevillesque du début du XXème siècle. La scénographie et les costumes, utilisent les symboles tout autant que l’architecture, nous transportant dans l’univers de l’époque, « casque, boucliers, colonnes, aigle impérial en or sur un drapeau rouge, siège, portique. ». D’ailleurs, ce dernier, en fond de scène rappelle bien entendu, le stoïcisme, autrement appelé philosophie du Portique.

Exquise, dans son drapé pourpre, Clémence Tilquin incarne une Vitellia, jalouse, tantôt manipulatrice pour reprendre un trône qu’elle pense devoir lui revenir en héritage après le décès de son père, l’ex-empereur Vitellius, tantôt hanté de remords à l’idée de l’exécution de Sesto, joué par Amaya Rodriguez.

L’incarnation du personnage est d’une justesse remarquable et des récitatifs apparaissent les tensions. Que ce soit au cours de l’Acte I où lors du final du même acte, grandiose, sur l’image de Rome en flammes, il pleut des cendres sur scène. Publio regarde la ville brûler pendant que les deux amants, Sesto et Vitallia sont en proie aux remords. Le récitatif « Non più di fiori », magistralement interprété et accompagné par l’Ensemble vocal de l’Atelier lyrique de Tourcoing ainsi que La Grande Écurie et La Chambre du Roy met en exergue toute la complexité de ce personnage.

Le rôle de Titus

Le Titus de l’oeuvre de Mozart, campé par le charismatique Jérémy Duffau, annonce déjà Marc-Aurèle et contribue à donner fièrement ses lettres de noblesse au stoïcisme. Comme ce dernier, Titus, dont la solitude morale où sa magnanimité et son rang l’exilaient, éprouve avec une force irrésistible le besoin de s’interroger. Doit-il faire passer les raisons d’état avant ses propres passions?

Nous pourrions citer Marc-Aurèle : « Fouille au-dedans de toi, c’est au-dedans qu’est la source du bien, et elle peut jaillir sans cesse, si tu fouilles toujours ».

Le rôle de Titus, un des plus grands est d’une incroyable complexité. Être de principe en action et mouvement, il fallut chercher l’équilibre, pour ne pas « oublier la problématique initiale du récit : la question de l’intime et de la raison d’état ». La résolution de l’Acte II vient de Titus qui finit par gracier Sesto et préfère en effet, gagner la confiance du royaume par l’amour, qu’on lui retire l’Empire où donne un autre coeur, car il ne veut, en définitif pas du sang d’un autre citoyen, préférant être jugé sur sa pitié que sur sa sévérité.

Les autres personnages

Les autres personnages de cet opéra délivrent aussi une performance incroyable, Amaya Dominguez interprétant Sesto où Ambroisine Bré campant Annio, toutes deux déguisées en homme, font jeu égal. Il est à noter que les deux personnages étant à la base voués à être interprétés par des castras, leur interprétation est à la hauteur de la partition. Juliette Raffin-Gay dans le rôle de Servilia et Marc Boucher dans le rôle de Publio, le capitaine de la garde romaine, délivrent également une prestation impeccable. Moins présent, ils permettent de donner le relief à la psychée des autres personnages et d’accentuer la dramaturgie.

Notons que la mezzo-soprano Ambroisine Bré est nommé cette année pour les Victoires de la musique classique dans la catégorie « révélation artistique de l’année ». Alors tous à vos écrans, les Victoires de la Musique Classique 2019 se tiendront le 13 février sur la Grande Scène de la Seine Musicale à Boulogne-Billancourt (92). La soirée, présentée par Leïla Kaddour et Judith Chaine, sera diffusée en direct à partir de 20h55 sur France 3 et France Musique.

Au final, nous pourrions laisser le mot de la fin à Christian Schiaretti, ce fut « une des dernières productions conçues et programmées par Jean-Claude Malgoire » qui fut présent « tel un fantôme, à chaque instant » selon les mots du metteur en scène. Ce dernier avait un talent indéniable pour trouver des œuvres atypiques et retrouver chaque saison la passion du défi. La journée se termine, pour rendre hommage à ce grand homme, sur un soupir, emprunté au langage musical.

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