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The Stranglers, Ruby tour au Splendid

Waltzinblack. La valse en noir, comme à chaque concert des Stranglers, prélude à l’arrivée des men in black sur scène. L’atmosphère est extrêmement particulière ce soir sur le pavé lillois du Mont de terre, les Anglais ont fait le déplacement, un bus complet qui était à Amsterdam la veille. On a l’occasion de discuter un peu avec eux, ils font le « Wonky tour », la « tournée bancale », en suivant les Stranglers sur deux dates européennes. Fans à l’anglaise : on choisit un club de foot, un groupe et on n’en change plus jamais. Les cheveux sont plus rares, les cheveux sont plus gris, les tailles à peine épaissies, les Wonky Tonk Women ont largement passé l’âge du lycée mais le plaisir est réel. On a fait faire des tee shirts somptueux aux couleurs du groupe, les dates sont imprimées dans le dos et si on n’a plus tout à fait l’âge de pogoter sauvagement, on voit dans ces yeux là de belles lueurs de défi persistantes. Un reflet lointain de 1977. Noisy and scary, ils sont totalement dévoués aux Stranglers et rappellent l’époque où le gang de motards des Finchley Boys, mené par Dagenham Dave, les suivait partout. Autre belle surprise, le public a globalement rajeuni et c’est toujours un excellent signe. C’est aussi l’expression d’une vérité que l’on constate quand on traîne beaucoup dans les salles de Lille, la nuit. Les bons albums ramènent du public jeune alors que redites et inspirations usées font vieillir l’assistance sans retour. Parents et enfants, certes, mais aussi de nouveaux convertis. C’est que les Stranglers Mark III sont redevenus un excellent groupe, après quatre albums qui avaient fini par décourager les fans les plus motivés : plats, peu écrits, mal produits, usant des tics sonores des Stranglers sans étincelle. Jean Jacques Burnel* n’avait pas encore retrouvé un alter ego à la hauteur de Hugh Cornwell, même si les deux hommes se détestent cordialement aujourd’hui. Paul Roberts, le chanteur des Stranglers Mark II, avait fini par jeter l’éponge sans savoir qu’il partait au moment même où la flamme se ravivait avec l’arrivée de Baz Warne à la guitare. L’amitié entre les deux hommes relança complètement la machine. De 12 ans plus jeune que Burnel, Warnes défend les titres qu’il n’a pas forcément écrits comme si sa vie en dépendait mais surtout, il régénère complètement le feu sacré du groupe et Norfolk Coast reçoit des critiques très élogieuses, un « must have » selon Mojo et le groupe d’enchaîner avec Sweet Sixteen et Giants. Et les jeunes gens de s’intéresser de nouveau au groupe. Le cycle est immuable. Ils sont là, ce soir, tee shirt des Ramones ou d’Iron Maiden en étendards référencés.

C’est le Ruby tour, la tournée du quarantième anniversaire du groupe et on se dit que voilà beaucoup de pièges armés sous les pieds des hommes de Guilford : une auto célébration pénible et des anecdotes à n’en plus finir, un concert stupidement jeune pour être dans le coup, stupidement nostalgique pour les quinquas présents, un concert exclusivement destiné aux fans du Wonky tour, ceux qui connaissent tout par cœur et chantent sur la version particulièrement étonnante de Get a grip on yourself par Nouvelle vague que passe la sono.

Five minutes après le début du concert, nous avions tous la réponse. On n'est là que pour la musique et on joue pour tout le monde, il n’y aura pas de concert dédié à une frange spécifique du public. Les Stranglers ne sont pas devenus leur propre Tribute Band, le pire avenir des groupes sans lendemain. Ils se battent, avancent sur la scène, ne parlent pas, pas encore et sont extrêmement tendus, concentrés. Baz Warne impressionne. Il a fait ses classes, tout jeune chez les Toy Dolls, à la basse et il n’est un Stranglers « que » depuis 14 ans. Pas un mot et une set list au cordeau, la même qu’à L’Olympia, dont la magnifique captation live par Arte est disponible ici. On envoie donc Toiler of the sea à l’assaut, c’est le titre typique, faussement simple, roué, malin et lettré, Toilers of the sea étant une référence aux Travailleurs de la mer de Victor Hugo. C’est que Burnel est français. No more heroes est lâché juste après, de manière à ne pas le caler en hymne obligatoire de rappel : on finira par le All day and all of the night des Kinks et Tank le premier morceau de Black and white. On évite un par un tous les pièges d’une telle soirée et on laisse parler les titres : On envoie le rageur Summat Outtanowt et Dave Greenfield s’amuse beaucoup sur le délirant Peasant in the big Shitty et ses voix de train fantôme. Le seul « Bonsoir », en Français c’est celui du texte original de La Folie, chanté par JJ Burnel en Français. On ne s’arrête pas, pas encore, le train roule à toute allure et on s’émerveille de la danse de Burnel, chaloupée, talon posé, pied à plat, on recommence en se balançant de gauche à droite. Le son est très étonnant, le dialogue entre le clavier et la basse fabuleux. Burnel, guitariste classique de formation, est l’un des membres du trio qui a ramené la basse sur le devant de la scène avec Paul Simonon du Clash et Bruce Foxton des Jam. On ne tient pas seulement le temps, on ne se contente pas d’harmoniser la grosse caisse, on utilise les « busy bass lines » chères au post punk, ça tricote sévèrement. Mediator, jeu aux doigts, au pouce, tout y passe. La maîtrise est totale. On ralentit enfin avec le magnifique Midnight summer dream et ses accents Flamenco, les trois temps de Golden Brown et L’aérien Always the sun. Un titre, un seul, des quatre albums qui séparent « Ten » de « Norfolk Coast », Time to die joué à L'Olympia, issu de In the night. Aux hommes intelligents et conscients de leur œuvre les bonnes décisions. Courageux d’admettre de cette façon qu’on n’a pas écrit de bons titres pendant une aussi longue période alors qu’on assume pleinement un passé parfois franchement lointain. Messe in Black.

C’est sur Thrown away  que le groupe se détend complètement, en revendiquant avant le titre un « disco time » et même l’invention du disco ! Burnel parodie Travolta sur la gauche de la scène et on se retrouve au centre avec Baz bras dessus bras dessous façon farandole. On a gagné la partie en envoyant du très lourd, on va se détendre et même céder au « British Lavatory Humour », l’humour de lavabo, intraduisible : un mélange d’humour gras et de dérision qui montre très clairement qu’on ne croit pas à sa propre lourdeur. Les rituels des concerts anglais des Stranglers seront donc respectés : on leur passe un soutien gorge de taille très respectable et quelques sous-vêtements, non portés, au grand regret de Burnel, hilare, qui comptait s’en faire une soupe. Sic. On exhibe le subtil tatouage du Roadie, un rattus norvegicus parfaitement tatoué sur les fesses…ça prend peu de temps, c’est potache et revendiqué comme tel.

On relance la machine, on enfonce les clous, grandement aidés par un batteur fantastique, Jim McAuley, qui redonne corps et vigueur au jeu des Stranglers. Il frappe fort et marque nettement plus les appuis que Jet Black dont le nom est tout aussi rituellement scandé malgré son absence. Jet s'est un peu trop amusé selon Burnel. La puissance de la setlist, le meilleur de 40 ans de travail, laisse tout le monde sans souffle dans le chaudron noir et bouillant qu’est devenu le Splendid. Irrespirable, pour la bonne cause. Burnel, très attentif à son public, lui parle par touches discrètes, pendant ces morceaux, et fait amener de l’eau aux premiers rangs, cuits à l’étouffée. Le train d’enfer repart, geste rituel de la main ouverte et fermée sur 5 minutes, on ne laisse personne en route et on achève le rappel, manifestement très heureux de ce concert, chemise ouverte. Le dernier titre résume parfaitement la manière dont ils ont roulé sur leur public: Tank. Les Stranglers sont particulièrement vivants. Un dernier morceau passe dans la sono : Meninblack.

* Rappel
Membres :
Jean-Jacques Burnel - Bassiste
Baz Warne - Guitariste
Jet Black - Batteur
Dave Greenfield - Claviériste
Anciens membres :
Hugh Cornwell - Chanteur et guitariste
John Ellis - Guitariste
Paul Roberts - Chanteur (à partir de 1991)

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