Dans son actu ciné de cette semaine, LillelaNuit vous propose une plongée dans l’univers paranoïaque de Dalloway, le nouveau thriller de Yann Gozlan (Un Homme idéal, le très bon La Boîte noire), sorti le 17 septembre dernier. Aux côtés de Cécile de France, le réalisateur nous entraîne dans un huis clos futuriste où l’intelligence artificielle et la perte de repères brouillent les frontières entre réel et illusion. Si le film manque de trouble, de tension, se montre parfois répétitif, malgré la voix de Mylène Farmer (qui incarne l'intelligence artificielle), et l'implication forte de Cécile de France, la rencontre entre la comédienne Belge et Yann Gozlan fut, elle, à la hauteur.
Connaissiez-vous Les Fleurs de l'ombre, le roman de Tatiana de Rosnay dont Dalloway est inspiré ?
Cécile de France : Non.
Alors, qu’est-ce qui vous a poussée à vous lancer dans cette aventure ?
Cécile de France : Il y a eu plein de raisons. La première, c’est que j’ai trouvé que c’était un rôle exceptionnel, très intense, avec une palette d’émotions très large : l’angoisse, la paranoïa, la folie même, l’épuisement… Et puis, en tant que grande spectatrice de thrillers, j’avais aussi très envie de travailler avec Yann Gozlan, qui est vraiment un spécialiste du genre. Je trouve toujours passionnant de voir comment on fabrique un film à suspense. Ce n’est pas un tournage comme les autres, déjà dans l’écriture, il y a quelque chose de très spécifique qui m’a beaucoup interpellée. Le scénario était vraiment exceptionnel. Je l’ai lu plusieurs fois, et à chaque lecture, je redécouvrais des éléments que je n’avais pas bien saisis au départ. Je l’ai trouvé très intelligent, parce qu’il nous interroge profondément sur notre époque, et sur ce monstre qu’on a créé, qui nous fascine autant qu’il nous effraie, comme dans le mythe de Frankenstein. Ce monstre, c’est aussi ce qui réveille notre angoisse existentielle.
D’un point de vue symbolique et allégorique, à travers cette histoire en huis clos, on parle en réalité du monde entier, de ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. L’histoire se déroule en 2028, et pour Yann, c’était un vrai défi de la réactualiser constamment avec des technologies qui évoluent à toute vitesse. Je trouvais ça très intéressant de pouvoir réveiller les consciences tout en étant dans un thriller efficace, car Yann excelle dans ce domaine. Et puis, le personnage était véritablement passionnant pour moi.
Donc voilà, pour toutes ces raisons, j’ai dit oui très rapidement. J’ai lu le scénario le jour même où je l’ai reçu. J’avais très envie de le lire, simplement parce que c’était un scénario de Yann. Et tout de suite après l’avoir terminé, j’ai accepté.
J'ai lu plusieurs fois le scénario, et à chaque lecture, je redécouvrais des éléments que je n’avais pas bien saisis au départ.
Cécile de France
Il a un thème très présent dans votre cinéma : la paranoïa.
Yann Gozlan : C’est peut-être parce que je suis moi-même un grand paranoïaque… Est-ce qu’on est vraiment ici, au Carlton de Lille ?
Justement, pourquoi cette insistance sur la paranoïa. La paranoïa est très présente dans le thriller politique américain des années 70. Pourquoi tenez-vous tant à explorer ce thème ?
Yann Gozlan : Je ne sais pas très bien pourquoi ce thème revient si souvent, mais il m’attire énormément.
Vous faites référence au cinéma politique américain des années 70, de réalisateurs comme Alan J. Pakula, par exemple. C’est un cinéma qui résonne beaucoup aujourd’hui, notamment à cause des avancées technologiques. C’est l’une des grandes questions de notre époque : l’intelligence artificielle, le numérique… Avec tous ces outils, on ne sait plus ce qui est vrai ou faux. L’IA permet, par exemple, de créer des deepfakes, de coller le visage de quelqu’un sur un autre corps, et on ne voit même plus la différence.
Dans le film, on le voit très bien : le personnage principal demande à Dalloway de lui parler avec la voix de son fils, qui est pourtant décédé. L’IA et les technologies créent un monde où la frontière entre le réel et le simulacre s’estompe totalement. Et c’est ça qui m’intéresse. C’est le monde dans lequel on vit, et qui nous pousse petit à petit vers la folie. Les fake news, les réseaux sociaux... tout cela contribue à nourrir une paranoïa collective. Le complotisme, aujourd’hui, est partout. Pourquoi est-ce aussi populaire ? Parce qu’on vit dans une époque où l’on ne fait plus confiance à ce qu’on voit, ni à ce qu’on entend. C’est le nouveau paradigme créé par la technologie.
Alain Damasio en parle très bien, c’est un philosophe qui réfléchit à ces questions depuis des décennies. Lui aussi rêvait, comme Marx, que la technologie allait nous libérer, nous rendre heureux. Et oui, elle nous aide dans bien des cas… On a plus de connexions et pourtant, paradoxalement, on est plus seuls, plus névrosés. La paranoïa est donc liée à cette crise de la vérité. Le réel n’existe plus, et d’ailleurs, le film commence avec une scène sur une plage… qui est fausse. C’est déjà une manière d’annoncer au spectateur qu’on est dans le simulacre.

Yann Gozlan sur le tournage.
L’IA et les technologies créent un monde où la frontière entre le réel et le simulacre s’estompe totalement. Et c’est ça qui m’intéresse.
Yann Gozlan
Cécile, avez-vous déjà incarné un personnage qui glisse aussi loin vers une forme de folie ? En tant que comédienne, comment s’approprie-t-on ça ? Cela peut-il être dangereux ?
Cécile de France : Je n’ai aucun rapport personnel à ça. Je ramène tout à mon métier. Pour moi, jouer reste un travail. J’ai un rapport très ludique à mon métier. Quand le tournage s’arrête, je n’ai aucun trauma. Avec Yann et toute l’équipe, on travaillait dans un esprit joyeux, une création collective pleine d’enthousiasme. On était vraiment galvanisés par ce qu’on faisait. Instinctivement, je me dirige toujours vers des projets où, même si les thèmes et les émotions sont très intenses, et parfois très sombres, je sais que le cadre de travail sera joyeux. Et puis, ce ne sont pas des émotions que j’ai spontanément dans la vie. Je n’ai pas lu le livre, justement parce que je me suis plongée directement dans la progression de cette paranoïa. Il fallait que je rentre dans le cerveau de Clarissa, que je comprenne le mécanisme. C’était tout un univers, et il m’a fallu du temps pour l’habiter, pour devenir Clarissa.
Utilisez-vous l’IA ?
Cécile de France : Pas du tout. C’est complètement contre-intuitif pour moi. Je n’ai pas le réflexe. Je n’ai jamais dit : « Dis-moi, Siri ».
Les infos sur Dalloway
Dalloway de Yann Gozlan
avec Cécile de France, Lars Mikkelsen, Frédéric Pierrot, Freya Mavor, Mylène Farmer...
Sortie le 17 septembre 2025
Durée : 1h50
Synopsis : Clarissa, romancière en mal d'inspiration, rejoint une résidence d'artistes prestigieuse à la pointe de la technologie. Elle trouve en Dalloway, son assistante virtuelle, un soutien et même une confidente qui l'aide à écrire. Mais peu à peu, Clarissa éprouve un malaise face au comportement de plus en plus intrusif de son IA, renforcé par les avertissements complotistes d'un autre résident. Se sentant alors surveillée, Clarissa se lance secrètement dans une enquête pour découvrir les réelles intentions de ses hôtes. Menace réelle ou délire paranoïaque ?
Entretien réalisé par Grégory Marouzé à Lille le 4 septembre 2025.
Retranscription de l'entretien par Camille Baton.
Affiche, photos et film-annonce : Gaumont
Remerciements : UGC Ciné Cité Lille