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Tryptich de la compagnie belge Peeping Tom à l’Opéra de Lille

Les 14, 15 et 16 octobre 2021, en coréalisation avec La rose des vents, l’Opéra de Lille accueillait, pour une première française, le spectacle Tryptich de la compagnie belge Peeping Tom. Celle-ci, dirigée par Franck Chartier et Gabriela Carrizo, offrait trois extraits de The Missing Door (2013), The Lost Room (2015) et The Hidden Floor (2017) originellement créées pour le célèbre ballet du Nederlands Dans Theater de La Haye. Les deux chorégraphes et leurs nouveaux interprètes reviennent avec ces trois pièces dans un seul et même spectacle. The Lost Room a remporté en 2016 et The Hidden Floor en 2018 le Zwaan du spectacle de danse le plus impressionnant, soit le prix de danse le plus prestigieux des Pays- Bas.

Tryptich, une pièce qui nous emmène au cœur de l'inconscient

The Missing Door se déroule dans une pièce bétonnée et glauque où un homme entre la vie et la mort cherche une issue pour s’en sortir. Nous accédons à sa pensée. Dans the Lost Room, les personnages sont retenus dans une cabine de bateau où vont apparaître plusieurs fictions en parallèle. Enfin The Hidden Floor raconte les derniers instants de vie d’hommes et de femmes, victimes d’une inondation dans un restaurant abandonné. Les trois extraits de spectacle, proches du film d’horreur sont, d’un point du vue esthétique, éminemment cinématographiques. Les changements de décors se font à vue, les coulisses sont apparentes comme s’il s’agissait d’un plateau de tournage. Les situations basées sur des péripéties et sur des accidents évoluent sur un fil. À chaque instant, un rien peut basculer jusqu’à ce que tout vole en éclat et revienne à la normale comme si de rien était.

Dans chacun des récits, les personnages, désadaptés au monde, semblent chercher une issue dans les couloirs labyrinthiques de leurs pensées, de leurs fantasmes et de leurs réminiscences souvent sujettes à la distorsion. Leur inconscient s’expose dans des gestes intempestifs et symptomatiques révélant leur souffrance et leur impuissance. Ils sont poussés dans leurs retranchements, à la croisée de leurs pulsions, pris dans un système dont ils tenteraient tous de fuir. Le mouvement échappe comme un spasme. Chez tous les personnages, une faille, un manque, une béance met en lumière le malaise de l’existence, la tragédie du désir.

Un spectacle inspiré du cinéma du début du XXème siècle

La danse rappelle la gestuelle convulsive et saccadée mise en scène dans le cinéma comique du début du XXème siècle. Les personnages ont des attitudes passionnelles et de délire. Les difformités, démembrements, contorsions et contractures des corps participent au grotesque et à l’étrangeté des situations. Les exagérations de performances corporelles et les tics des personnages donnent au spectacle un esprit burlesque rappelant l’âme d’un Chaplin ou d’un Keaton. Les interprètes ont l’aspect troublant et fascinant des clowns car les dislocations sont assimilées à la folie traduisant les frissonnement d’une société anxiogène. Ils provoquent l’angoisse et le rire nerveux, le second en réaction à la première. La gestuelle au rythme débridé est cartoonesque car la vitesse fait apparaître de manière presque stroboscopique l’immense capacité du corps à se régénérer. Tantôt souple comme des poupées de chiffon, tantôt raide comme des automates dont certains membres semblent détachés du reste du corps, les danseurs ont un caractère marionnettique venant souligner l’expression de la rupture entre l’esprit conscient et l’inconscient corporel. Le surnaturel et le fantastique rappellent les prouesses de Georges Méliès. Plusieurs situations et images esthétiques se superposent. Un reflet dans une fenêtre, une disparition, une réapparition de certains personnages, et l’aspect marionnettique de la gestuelle marquent une obsession du double, une attitude paranoïaque. Franck Chartier et Gabriela Carrizo proposent une perception en forme de chocs.

Tous les interprètes sont des artistes hallucinants, à la fois danseurs, acrobates et comédiens. Teintée de son humour noir, la compagnie Peeping Tom a bel et bien un univers qui lui est propre. Tryptich apparaît comme un miroir grossissant pour mieux mettre en exergue les errances et les angoisses humaines.

Image : The Lost Room © Rahi Rezvani, Nederlands Dans Theater

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