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Curtis Harding à La Péniche

Difficile et un peu vain de prévoir la trajectoire d'un jeune artiste. En musique, les promesses deviennent rarement des certitudes. Et le talent n'est pas toujours récompensé à sa juste mesure. N'empêche, sur la tête de l'outsider Curtis Harding, on a envie de prendre des risques, de miser gros, très gros. Voire de faire tapis...

Un pari néanmoins calculé. Le bonhomme a en effet tous les atouts dans la manche pour remporter le jack-pot. Le charisme old-school d'un héros de la Blaxploitation. Une voix de velours, héritée d'une enfance vagabonde passée aux côtés d'une mère chanteuse de gospel professionnelle. Un carnet d'adresses bien rempli : précédemment choriste pour Cee-Lo Green ou Outkast, pote avec les ultra-cool Black Lips, louangé par Jack White ou Iggy Pop... Il y a pire références à mettre sur un CV.
Et, pour couronner le tout, un bluffant premier album, craneusement intitulé Soul Power. Un disque kaléidoscopique, d'une exceptionnelle richesse, où Curtis Harding s'approprie les différents styles et courants qui ont façonné l'histoire de la Black Music américaine. Sans qu'il ne soit jamais question de rétropédalage ou de mimétisme outrancier. Car Soul Power est, contre toute attente, un disque aux longs bras qui se conjugue au présent et remodèle le genre. Un formidable trait d'union entre un passé fantasmé et une modernité chargée de sensibilités contemporaines. Comme le déclare Curtis Harding, « la Soul n'est ni un feeling, ni un son, ni un mouvement, c'est une connexion ».

Précédé par des retours dithyrambiques de sa prestation aux dernières Transmusicales de Rennes, son passage à La Péniche de Lille, logiquement sold-out, faisait donc trépigner d'impatience. Quoi de mieux que l'intimité d'une petite salle pour un premier rendez-vous prometteur ?

Lorsque Curtis Harding monte sur scène, avec sa petite moustache, ses cheveux crêpus et ses lunettes noires vissées sur le nez, sa ressemblance avec le Stevie Wonder du début des années 70 saute aux yeux. Avec sa Stratocaster en bandoulière, on ne peut également s'empêcher de penser à un autre Curtis, l'âme des Impressions, le magnifique compositeur de la cultissime B.O. Superfly, Curtis Mayfield. Mais le jeu des comparaisons, des références s'arrêtera là. Car, celui qu'une certaine presse ne manquera pas de qualifier, par paresse, d'artiste vintage, montre très vite qu'il n'a pas pour but de « sonner » comme ses maîtres mais de témoigner d'un feeling personnel pour les musiques qu'il aime et qui l'ont nourri. L'américain qualifie d'ailleurs, assez humoristiquement, sa musique de « Slop N'Soul ». Slop désignant en argot sudiste un plat préparé avec des restes. Et il faut avouer que sa tambouille est savoureuse, digne d'un plat du jour. Imprégnant les codes de la musique noire traditionnelle de saveurs nouvelles et chaudement épicées.

En live, le merveilleux mépris des frontières musicales dont font preuve les compositions du jeune artiste est encore plus flagrant. La voix du jeune Curtis Harding est exceptionnelle de maturité. Incroyablement malléable. Tour à tour chaude et sensuelle ('I Need A Friend'), sombre et traînante ( 'Next Time') ou enragée ('Surf Up'). Convaincant et juste, évitant allégrement les écueils de la pure démonstration, le chanteur porte haut sa reprise du 'Ain't No Sunshine' de Bill Withers, morceau pourtant casse-gueule, trop souvent repris par des squatteurs de bande FM en souffrance d'un semblant d'étoffe.

L'approche de Curtis Harding, qui témoigne d'une profonde compréhension de la musique, bénéficie en outre de l'appui de sacrés tireurs d'élite. Qui, sur une base Rhythm N'Blues apparemment classique (orgue, guitare, basse, batterie, trompette), prennent bien soin de ne rien lisser, de ne rien aseptiser par de sauvages interventions électriques, une allure et un tempo n'hésitant pas à se frotter à la crasse du Garage Punk. Le mariage aventureux et réussi entre la sensualité de la musique noire classique et l'arrogance du Rock indé actuel.
En 1h10 de concert bien serré, Curtis Harding a su apporter la preuve arrogante de son talent. De bon augure pour celui qu'il est désormais malvenu de considérer comme un simple artiste découverte.

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