Magistral ! Le projet Birdwatcher est sûrement un des plus aboutis qu’ait mené Michel Portal et il est peu dire qu’il les a multipliés. Sur disque, c’est à Minneapolis qu’il l’a enregistré avec la rythmique de Prince, Sonny Thompson et Michael Bland, s’entourant aussi à l’occasion d’Airto Moriera aux percussions ou encore de François Moutin à la contrebasse.
C’est avec un groupe bien différent, présenté comme son quintet New-yorkais qu’il se présentait sur la scène du théâtre municipal Raymond Devos. On y retrouvait Bojan Zulfikarpasic au piano, Eivind Opsvik à la contrebasse, Tom Rainey à la batterie et Tony Malaby saxophone ténor seul rescapé de l’enregistrement. L’entente de ce dernier avec Michel Portal est palpable, il faut les entendre rayonner tour à tour sur les magnifiques compositions que le basque le plus célèbre du jazz français nous a réservées. Passant de la clarinette basse au saxophone alto au grès de ses inspirations c’est bien lui le leader, il dirige littéralement le groupe, donnant des instructions par gestes à ses partenaires ultra réactifs. Tom Rainey, notamment ne perd pas ses mains de vue et se cale sur le rythme qu’il imprime constamment.
Mais plus que la complicité rythmique des musiciens, c’est la qualité de la musique qui frappe d’entrée. On y entend des oiseaux, du vent, des espaces et même de la lumière qui percent les nuages. Les deux solistes déploient leurs superbes sonorités, faisant vibrer les notes pour introduire des variations micro tonales à la manière des musiciens indiens. L’effet est saisissant et les compositions y gagnent une grande force évocatrice.
On atteint avec ce groupe, la quintessence du Jazz, de l’improvisation maîtrisée. Tous les musiciens font preuve d’une technique impressionnante et d’une grande créativité sans pour autant se marcher sur les pieds. A la batterie, Tom Rainey imprime une pulsation collective. Son jeu à main nue est remarquable et l’on a l’impression qu’il a joué cette musique toute sa vie. Tout en énergie son partenaire de rythmique, Eivind Opsvik peuple l’espace de lignes de basse nerveuses, donnant à chaque instant de nouvelles pistes à ses partenaires mais n’empiétant jamais sur leur interventions. Au piano enfin, Bojan Z est rayonnant, parfaitement à l’aise dans cet univers, il est le moteur du groupe et c’est vers lui que se tourne Michel Portal pour impulser un changement de rythme. Jouant à la fois des claviers électriques et du piano, il joue un rôle de lien dans le groupe et n’oublie pas de régaler le public de ses superbes solos, surtout au piano préparé. Tony Malaby est énorme au saxophone et il fallait bien ça pour tenir la comparaison avec le leader. A la limite du registre de sa clarinette basse ou exultant à l’alto il est son premier serviteur, jamais à court d’idée et faisant preuve d’une maîtrise impressionnante. Sur quelques pièces il s’installe même au bandonéon n’y perdant rien de sa concision ni de son imagination.
On aurait du mal à extraire des morceaux du lot, tant tout au long du concert, on est pris à la gorge par la beauté. Mais les grands musiciens savent garder une corde à son arc. Le deuxième rappel est superbe, enlevant l’embouchure de sa clarinette basse pour prendre un solo lumineux, Michel Portal finit de nous émerveiller tout à fait. Pour conclure, il donne le titre basque de la composition et sa traduction « une lumière dans le brouillard » l’accompagnant d’un « comprenne qui voudra ». Belle devise !
Les revoilà... le quartet d’Erik Truffaz avec Patrick Muller aux claviers, Marc Erbbeta à la batterie et Marcello Gullianni est un habitué des scènes mondiales et l’on se rappelle les avoir entendus ici dans le théâtre municipal de Tourcoing à l’occasion déjà du Tourcoing jazz festival planète.
Et bien, ils ont vieilli, quelques cheveux blancs en témoignent bien moins que la maîtrise totale de leur musique. Si le concert démarre par un titre du nouveau projet du trompettiste, « Arkhangelsk » l’essentiel du répertoire sera composé de titres plus anciens et emblématiques du groupe comme « The Dawn ».
Leur musique y a gagné en interaction et se connaissant sur le bout des doigts les musiciens se libèrent davantage. Truffaz, tout en flegmatisme, joue moins qu’avant et laisse exploser l’énergie des trois autres. Patrick Muller maîtrise parfaitement son sujet et livre de longs solos sur chaque morceaux. L’enthousiasme de Marc Erbbetta n’a, lui, pas bougé d’un pouce. Avec son jeu de batterie à vous dégoûter des boites à rythmes et ses interventions vocales surréalistes, il est celui qui dynamise la formation. A la basse, Marcello Gullianni, s’occupe de la pulsation et nous livre un solo spectaculaire sur « Bending News Corners ».
La musique clairement électronique du groupe est intéressante, mais le public assis est encore sous le choc du concert de Michel Portal, et n’est donc pas dans les meilleures dispositions pour en profiter. Il faut un petit délai avant que les titres énergiques du quartet fassent leur effet. Petit à petit, les têtes commencent à bouger et les balcons se laissent envoûter par les longues boucles rythmiques mais au bout d’une cinquantaine de minutes les musiciens font mine de quitter la scène pour le premier « faux rappel » de la semaine. L’effet escompté est produit et au retour l’ambiance décolle vraiment, chacun des musiciens y mettant du sien avec une mention spéciale pour Marcello Gulianni.
C’est alors que la première surprise du concert arrive, le quartet entame une version instrumentale immédiatement reconnaissable de « Je t’aime moi non plus ». On attend déjà la suite et on salive en entendant à la fin du morceau le riff de « Smoke on the water ». Mais non, les musiciens saluent, les lumières s’allument, c’est fini. Dommage, car on peut parier que beaucoup ont continué à fredonner le tube de Serge Gainsbourg toute la nuit…