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« Les Tourmentés » : Entretien avec le cinéaste Lucas Belvaux

« Les Tourmentés » : Entretien avec le cinéaste Lucas Belvaux

Lucas Belvaux Les Tourmentés Style : Cinéma Date de l’événement : 17/09/2025

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Dans son actu ciné de cette semaine, LillelaNuit vous invite à découvrir Les Tourmentés de Lucas Belvaux (Pas son Genre, Chez Nous) adapté de son propre roman au titre éponyme. Ce long-métrage, qui est à la fois un thriller, un film noir, de terreur, propose un regard fort sur notre société. Porté par Niels Schneider, Ramzy Bedia, Linh-Dan Pham, et Déborah François, Les Tourmentés est l'un des événements du cinéma français de cette rentrée. Entretien avec Lucas Belvaux par LillelaNuit.

« Les Tourmentés » : Entretien avec Lucas Belvaux

Que vous apporte, fondamentalement, de passer d’un médium à un autre, d'adapter votre roman au cinéma ? Que cela va-t-il apporter aux spectateurs qui vont venir voir le film ?

Lucas Belvaux : Pour ce que cela apporte aux gens, il y a plusieurs réponses ou plutôt une réponse en plusieurs parties. Jespère que le film fera environ 300 000 entrées, peut-être un peu plus. Un échec serait autour de 200 000, ce qui reste déjà pas mal. Pour le livre, c’est considéré comme un succès : entre les deux éditions, le grand format et celle en livre de poche, on en a vendu 50 000 exemplaires, ce qui est très bien. La différence, c’est que même si le film est un échec, il y aura quand même une différence d’environ 150 000 personnes. Donc un public beaucoup plus large aura accès à l’histoire, et parmi ce public, beaucoup n’auront pas lu le livre. Au moins, eux, auront vu le film.

Ensuite, j'ai remarqué lors des avant-premières qu’il y a toujours une partie du public qui a lu le livre. Pour eux, c’est presque une approche intellectuelle : ils se demandent comment j’ai fait, ce que j'ai fait des personnages, c’est un plaisir supplémentaire. Ça peut vraiment être un plus. Après, il y a aussi ceux qui ont peur d’être déçus, mais ils viennent quand même. C’est assez amusant à voir. Je pense qu’il y a quelque chose d’un jeu intellectuel, un peu comme faire des mots croisés ou jouer aux échecs. Pour moi, ce que ça m’apporte, c’est du plaisir : le plaisir de faire un film, de travailler avec des acteurs. Même si c’est la même histoire, ce n’est pas grave, c’est aussi un plaisir intellectuel d’adapter une histoire, de trouver des correspondances.

Pour moi, ce que ça m’apporte, c’est du plaisir : le plaisir de faire un film, de travailler avec des acteurs.

Lucas Belvaux, réalisateur

Avez-vous cherché à trouver de véritables équivalences cinématographiques au roman ? Ou bien, avez-vous plutôt essayé de vous en éloigner, de partir vers autre chose ?

Lucas Belvaux : Je sais qu’un film, c’est un objet différent d’un livre. Donc, je savais que ce ne serait pas la même chose. J’ai appris ça avec Claude Chabrol, qui disait qu’il ne faut pas adapter les chefs-d’œuvre. Ce qu’il voulait dire, ce n’est pas qu’il faut adapter de mauvais livres, mais qu’il faut les adapter pour de bonnes raisons. Il ne faut pas adapter un livre pour sa forme, son style ou son écriture, parce que ça, justement, ça ne s’adapte pas. Ce qui fait la différence entre un chef-d’œuvre et un livre moyen, c’est le style. Par exemple, Madame Bovary raconté par un auteur moyen, ce serait beaucoup moins bon. Et c’est pareil pour la plupart des grands textes. Donc, cette dimension purement littéraire, il faut l’abandonner tout de suite. Je le savais, donc je me suis dit que tout ce qui relève de l’intérêt purement littéraire du livre, il fallait l’oublier. À partir de là, il s’agit de construire un objet nouveau, fondé sur l’histoire et les personnages. Et au fond, ce sont eux, l’histoire et les personnages, qui sont les plus intéressants, les plus importants. Ensuite, selon le médium, la forme change. Elle aide à raconter, elle permet d’accrocher le lecteur ou le spectateur. Mais ce sont deux choses différentes, donc il faut trouver des formes différentes pour chacun.

Déborah François joue un rôle important dans le film puisqu’elle est la compagne de Skender, que joue Niels Schneider. Malgré cela, le film repose avant tout sur un trio. Le cœur du récit, c’est ce trio : Ramzy Bedia, Niels Schneider et Linh-Dan Pham. À quel moment vous êtes-vous dit que ces trois acteurs seraient capables de porter ensemble le cœur du film, sans le déséquilibrer ?

Lucas Belvaux : Que l’un prenne le dessus sur les autres ?

Oui, c’est ça. Et aussi qu’il n’y ait pas, tout simplement, une erreur de casting.

Lucas Belvaux : On n’est jamais totalement sûr de ça. Mais ce qui était très rassurant, c’est que Ramzy avait déjà tourné avec chacun des deux autres. Linh-Dan et Niels, eux, ne se connaissaient pas personnellement, mais Ramzy avait joué avec Niels dans D’Argent et de Sang. Je savais qu’ils s’étaient très bien entendus et qu’ils étaient contents de retravailler ensemble. Il avait aussi travaillé avec Linh-Dan, un peu sur Astérix, L'Empire du Milieu,  mais surtout sur une série télé qu’ils avaient faite il y a quelques années. Là encore, ils s’entendaient très bien. De toute façon, Ramzy est un bon camarade, et les deux autres aussi, d’ailleurs. Donc je savais que, sur ce trio-là, je n’aurais pas de problème relationnel. Il n’y avait pas de rivalité, pas de question d’ego ou de "qui est la plus grande star". Ce sont vraiment des camarades de jeu, même si je n’aime pas trop ce mot. Ce sont surtout des professionnels, là pour travailler, et leur ego ne prend pas le dessus. J ai déjà travaillé avec d’excellents acteurs dont l’ego était très lourd à gérer, et ce n’est pas le cas ici. Donc, assez rapidement, j’ai été rassuré sur ce point-là. Après, c’est vrai qu’on peut toujours se tromper sur un casting… On ne peut jamais être totalement certain.

Vous prenez quand même des risques, parce que, nous n'avions jamais vue Linh-Dan Pham interpréter un personnage comme celui-là.

Lucas Belvaux : Une actrice, c’est une actrice. Elle joue. Et Linh-Dan a quelque chose, physiquement, on sent qu’il y a une intensité. Elle avait déjà fait un film qui n’a rien à voir, De battre mon cœur s’est arrêté, où l’on percevait déjà une vraie dimension dramatique. Plus récemment, il y a trois ans, elle a tourné dans un film américain, Blue Bayou, où elle incarne une femme atteinte d’un cancer. Elle y est excellente, et là encore, ça n’a rien à voir avec Astérix. Tout ça montre qu’on peut savoir, malgré tout, si un acteur ou une actrice est vraiment solide. Et dans ce cas, le risque est moindre. Le vrai risque, c’est plutôt humain : que ça ne colle pas entre les gens. Mais ça, on ne peut jamais le prévoir. C’est une question d’alchimie, de confiance mutuelle. Et ça peut basculer en une seule journée. C’est très fragile, ce sont des rapports humains avant tout. Moi, en général, je n’ai pas trop de problèmes avec les acteurs, mais ça m’est déjà arrivé. J'ai été acteur, donc je sais ce que c’est un acteur, c’est une position très exposée, vulnérable. On se met en danger. Le public ne voit pas le metteur en scène, il voit les acteurs. Si un acteur est mauvais, sur les réseaux sociaux, personne ne dira que c’est la faute du réalisateur. Bon, un peu quand même, le Rassemblement adore me critiquer, se moquer de moi, mais je sais pourquoi, et ça ne me touche pas tant que ça. En général, un metteur en scène reste plutôt à l’abri. Sur les réseaux sociaux, ce sont les acteurs qui prennent tout de plein fouet. Et ils le vivent de manière personnelle. On les reconnaît dans la rue. Moi, quand je sors, on ne me reconnaît pas, je suis tranquille. Ou alors ce sont des cinéphiles, des gens qui ont aimé mes films, et ils sont gentils. Un acteur, lui, peut vraiment se prendre des coups, au sens figuré, mais parfois presque au sens propre. Ça arrive. Ils sont exposés. Ils le savent. Ils sont conscients de cette vulnérabilité. Et donc, il y a forcément une forme de fragilité qu’il faut respecter.

Il faut en prendre soin, faire preuve de bienveillance. C’est pour ça, je crois, que les acteurs et les actrices aiment bien travailler avec moi. Ils savent qu’ils sont dans de bonnes conditions pour créer, pour jouer. Et moi, je les aime bien. Ils le sentent. Je suis vraiment admiratif de ce qu’ils font. Ça se passe bien, en général. Mais on n’est jamais à l’abri d’un dérapage.

Votre film est à la fois un thriller, un film noir, presque un film d’horreur. Mais en même temps, c’est aussi un film sociétal, un film politique. Est-ce que le cinéma de genre vous donne la possibilité d’aborder certains sujets que vous ne pourriez pas traiter, ou que vous n’auriez peut-être pas envie de traiter, de manière frontale ?

Lucas Belvaux : Oui, je pense que le genre a toujours eu cette fonction. Quel que soit le genre, que ce soit la comédie, les romans noirs, ou les films noirs, il a souvent servi à aborder des sujets « en contrebande », sans les nommer directement. Selon les époques, la politique ou l’économie empêchaient de parler librement de certains sujets. Parfois, ni le métier, ni l’économie, ne permettaient d’aborder certains thèmes, parfois c’était la censure politique. Alors on créait un film ou un roman de divertissement, qui permettait, en contournant ces restrictions, d’aborder des réalités plus profondes. On racontait ainsi l’histoire à travers un objet de divertissement, vendu comme tel. Aujourd’hui, comme on bénéficie d’une certaine liberté, on peut sortir un peu du genre en cours de route et dire : « Voilà, ce que je veux vraiment raconter. »

Pour ma part, ce film parle de ce qui me préoccupe, notamment du libéralisme, du capitalisme, du rôle de l’argent. Mais aussi, comme tout le monde, de la vie, de l’amour, de la mort. Pour le spectateur, on va raconter ça à travers une chasse à l’homme, ce qui reste captivant. J’aime bien cette démarche. C’est un peu l’esprit de Chabrol, d’ailleurs, je suis dans une période Chabrol en ce moment. Chabrol disait que ce qui importe, c’est que le spectateur sorte de la salle un peu différent de ce qu’il était en entrant. Je trouve que c'est une démarche belle et juste. On invite le spectateur à venir se divertir, mais derrière ce divertissement, il y a matière à réflexion. C’est un peu ça, le côté militant ou peut-être même un peu le rôle du prédicateur ou du malicieux qui fait passer un message.

Chabrol disait que ce qui importe, c’est que le spectateur sorte de la salle un peu différent de ce qu’il était en entrant.

Lucas Belvaux, réalisateur

Est-ce qu'aujourd’hui, vous avez un peu plus de difficultés, ou en tout cas, moins de moyens financiers...

Lucas Belvaux : Oui, mais je reste privilégié par rapport à beaucoup de mes collègues.

Oui ! Mais, par exemple, le fait que vous ayez pu aborder et filmer des sujets vraiment brûlants, comme dans Chez Nous, où vous montrez ce qu’on appelait à l’époque le Front National, fait un peu peur ? Est-ce qu’on se dit, « Oh là là, Belvaux arrive » ?

Lucas Belvaux : Non, non, je ne pense pas que ça se joue là-dessus. À chaque fois, c’est un nouveau projet, donc les gens ne sont pas sur leurs gardes. Ils voient qu’il n’y a pas vraiment de raison d’avoir peur. C’est plutôt une question économique, c’est ce qui décide en grande partie. C’est surtout l’économie qui régit tout, c’est une question de positionnement sur le marché. Là, je suis à la limite basse de ce qu’on appelle les « films du milieu », c’est-à-dire les films avec un budget entre 3 et 8 millions d’euros. Moi, je tourne autour de 3,5 à 3,7 millions d'euros, alors qu’avant, j’étais à 4,5 millions. Ce type de films est aujourd’hui le plus difficile à produire.

C'est en train de disparaître ?

Lucas Belvaux : Ce type de films est en train de disparaître, et j’espère vraiment que ça ne va pas continuer comme ça, qu’on va réussir à inverser la tendance. Parce que ces films, ce sont des projets où on ne perd pas énormément d’argent quand ils ne fonctionnent pas, et c’est justement là qu’on peut se permettre d’essayer des choses nouvelles ou de construire un public. Moi, je pense avoir un public, même s’il est modeste. Il y a une base de spectateurs qui connaissent mes films et viennent les voir, et ça devrait un peu rassurer. Je ne demande pas des budgets faramineux, mais au moins de pouvoir conserver cette marge de manœuvre. Mes films ont plutôt de bonnes audiences à la télévision quand ils passent, donc j’espère pouvoir continuer dans cette voie. Mais c’est compliqué, oui. Le problème du cinéma, c’est que ça coûte très cher, souvent trop cher. Quand j’écris un roman, ça ne coûte quasiment rien à personne, même l’édition, ce n’est pas très cher. Du coup, on peut prendre plus facilement des risques.

Parlez-nous un peu de la manière dont vous collaborez avec Frédéric Vercheval sur la musique. La bande-son est vraiment excellente.

Lucas Belvaux : Oui, la musique est vraiment très bonne. Je travaille avec Frédéric depuis Pas son genre. La rencontre a été facilitée par Patrick Quinet, car je ne connaissais pas Frédéric avant. Au départ, on avait un autre compositeur, mais ça ne fonctionnait pas, il n’arrivait pas à s’adapter au film. En urgence, il a fallu trouver un musicien belge, et Patrick m’a présenté Frédéric. Frédéric est un vrai professionnel de la musique de film. Il comprend vite ce qu’on attend, il répond à la commande, ce qui est important car la musique de film est une musique de commande. Il faut être modeste, accepter que sa musique soit coupée, retravaillée, changée. Il faut aussi savoir inventer un nouvel univers musical pour chaque film, parfois changer complètement d’orchestration. Par exemple, sur Pas son genre, je lui avais demandé une ambiance légère, presque de comédie musicale à la Jacques Demy, tandis que pour ce film, on a cherché plus de sons contemporains, des atmosphères sans mélodie, plus flottantes. Le musicien de film doit avoir une grande connaissance théorique, harmonique, orchestrale, et savoir réagir vite. La force d’un grand compositeur, comme Morricone, c’est aussi dans ses orchestrations originales, l’usage de sons et d’instruments inattendus qui créent tout de suite une ambiance forte. On échange beaucoup. Avant le tournage, je lui envoie des références, des ambiances, on travaille sur des maquettes, on ajuste. Pendant le montage, il vient voir le film, et on affine la musique pour qu’elle ne soit pas redondante, mais qu’elle apporte une tension ou une distance par rapport à l’image.

Les infos sur Les Tourmentés

Les Tourmentés de Lucas Belvaux avec Niels Schneider, Ramzy Bedia, Linh-Dan Pham, Déborah François...

Sortie le 17 septembre 2025
Durée : 1h53

Synopsis : Ça vaut quoi la vie d’un homme ? D’un homme comme lui. Un homme sans rien. Skender, ancien légionnaire, le découvrira bien assez tôt. "Madame", veuve fortunée et passionnée de chasse, s’ennuie. Elle charge alors son majordome de lui trouver un candidat pour une chasse à l’homme, moyennant un très juteux salaire. Skender est le gibier idéal. Mais rien ne se passera comme prévu...

Entretien réalisé par Grégory Marouzé le 10 juillet 2025 à Lille.
Retranscription de l'entretien par Camille Baton.
Affiche, photos et film-annonce : UGC Distribution
Remerciements : UGC Ciné Cité Lille 

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