LillelaNuit est allé à la rencontre de Raphaëlle Wicquart, directrice du Théâtre Massenet. Après plus de dix ans passés aux côtés des publics, elle porte aujourd’hui un projet clair : continuer à faire de ce petit théâtre de 100 places au cœur du quartier de Fives, un tremplin pour les compagnies émergentes. Militant, ouvert, curieux, le lieu programme théâtre, danse, cirque, marionnette ou performance, en veillant à rester accessible à toutes et tous. Après un an et demi de travaux et une saison itinérante, l’équipe s’apprête à rouvrir ses portes. Un nouveau départ, fêté par une grande journée festive et une saison 2025-2026 qui mettra en valeur l’émergence, le jeune public et l’ancrage fort du théâtre dans son quartier.
Le théâtre massenet, Une salle culturelle de quartier tournée vers l’émergence
Peux-tu nous présenter en quelques mots le Théâtre Massenet ?
Nous sommes une association qui gère les activités du lieu. Le bâtiment appartient à la Ville de Lille qui est notre principal financeur. Ce n’est toutefois pas une régie directe : nous disposons d’un cahier des charges et d’un projet sur lesquels nous sommes attendus et financés, sans que la Ville n’ait de droit de regard sur la programmation. D’autres financeurs viennent également soutenir notre action.
Le Théâtre Massenet fonctionne comme n’importe quel autre théâtre, avec une saison culturelle de septembre à juin, rythmée par l’accueil de spectacles tout au long de l’année. Nous accueillons également des résidences. Même lorsqu’aucun événement n’est visible pour le public, des artistes travaillent au sein du théâtre.
Comment choisissez-vous les projets ou compagnies qui rejoignent votre programmation ?
Notre particularité est d’être un lieu professionnel : nous ne faisons pas partie du réseau de la pratique amateur, qui suit une autre logique tout à fait légitime. Nous collaborons exclusivement avec des compagnies professionnelles ou en voie de professionnalisation, en mettant l’accent sur celles dites “émergentes”. En quelque sorte, nous jouons le rôle de tremplin. Passer par le Théâtre Massenet permet ensuite d’ouvrir des portes : nous sommes identifiés par les compagnies, les tutelles, les financeurs et le réseau des salles publiques, qui viennent y repérer de nouvelles compagnies. Cet accompagnement me tient particulièrement à cœur : soutenir l’émergence, surtout d’artistes régionaux, fait partie de notre mission. C’est aussi une réalité liée à nos moyens, car nous restons un petit lieu.
On défend un théâtre qui fait réfléchir, qui parle du monde actuel, qui parle de sujets tout à fait contemporains.
Raphaëlle Wicquart, directrice du Théâtre Massenet
Dans notre accompagnement de l’émergence, nous avons une ligne artistique claire : nous sélectionnons les projets que nous accompagnons. Les demandes sont très nombreuses. D’ailleurs, si beaucoup de lieux s’intéressent à l’émergence, nous sommes quasiment les seuls à en faire notre cœur de mission. Nous représentons souvent la première porte d’entrée pour les compagnies, même si nous ne pouvons malheureusement pas répondre à toutes les sollicitations. Ce choix nous permet de viser une réelle exigence artistique dès l’émergence et de repérer les talents de demain. Notre programmation reflète cet engagement : on défend un théâtre qui fait réfléchir, qui parle du monde actuel, qui parle de sujets tout à fait contemporains.
Une saison mélange théâtre, danse, cirque et expositions : comment définis-tu l’identité du théâtre Massenet ?
On est très identifié comme militant, féministe, queer.... Notre vocation, c’est vraiment de trouver des spectacles qui nous font grandir. Mais on a aussi envie d’aller chercher des œuvres qui font rêver et qui permettent simplement de passer un beau moment. Cette sensibilité est toujours présente. C’est pour ça qu’on programme du théâtre, du cirque, de la danse, des arts de la marionnette, du théâtre d’objets et de la performance. Aujourd’hui, ce qui est clair, c’est que notre axe, c’est l’émergence et ces disciplines-là. Dans ma programmation, je veille donc à défendre toujours ces formes artistiques, mais aussi à ce qu’il y en ait pour tout le monde. Parce qu’évidemment, on porte ce que je viens de décrire, donc on pourrait penser que ça s’adresse uniquement à un public très “théâtreux”. Mais non : bien sûr il y a des propositions pour eux, mais pas seulement. On fait en sorte que chacun puisse s’y retrouver.
Des travaux au renouveau : garder le lien avec le public
Après un an et demi de travaux et d’itinérance, quel est le sentiment de l'équipe à l’approche de la réouverture du théâtre ?
On a extrêmement hâte. On est même assez surexcitées. Maintenant, il ne reste plus qu’à espérer que le soleil soit de la partie pour que la fête soit exactement comme on l’a imaginée. Bien sûr, comme dans tout préparatif ou toute fin de chantier, il y a toujours un peu de stress de dernière minute. Mais globalement, tout est sous contrôle.
Quels ont été les principaux défis durant cette période de travaux et d’itinérance ?
Pendant la période des travaux, le grand défi, c’était de garder le lien avec le public, de continuer à construire quelque chose malgré ce contexte particulier. Il ne fallait absolument pas perdre le contact avec le quartier. Le projet de la discomobylette programmé dans le cadre de notre fête de réouverture, mais aussi les nombreuses autres actions, programmations dans l’espace public et partenariats avec différentes structures ont permis de maintenir ce lien. On a même vu certaines personnes en situation de précarité, qui avaient perdu leurs repères, mais qui continuaient à venir dans les autres lieux où nous programmions. Le lien est resté, et ça, c’est quelque chose de très fort.
L’autre enjeu, c’était évidemment de soutenir les artistes, de ne pas fermer complètement. Au final, on est resté fermé un an et demi. Ce n’était pas forcément prévu comme ça au départ — comme souvent dans ce genre de chantiers — mais finalement, c’était pour le mieux.
Alors on est allé solliciter différentes structures de la Métropole pour qu’elles accueillent notre programmation. On a donc mis en place une saison itinérante, toute la saison dernière et la moitié de la précédente. On a travaillé avec des lieux proches de nous par leur taille et leurs moyens — comme La Manivelle Théâtre, Le Nautilys, ou le Théâtre de l’Aventure — mais aussi avec d’autres espaces qui nous ont ouvert leurs portes, comme le 188, ou encore des lieux un peu plus grands qui nous ont fait confiance, tels que Le Grand Bleu ou Le Prato. Grâce à eux, nous avons pu maintenir une programmation riche et variée.
Cela nous a aussi permis de renforcer notre visibilité auprès de ces structures, qui ont témoigné leur confiance dans notre projet. On a pu tenir une saison complète, accueillir des résidences et en conserver quelques-unes essentielles que nous ne voulions pas abandonner. Et au fond, cela a même ouvert les portes d’autres structures encore plus rapidement aux artistes : au lieu de les accueillir seulement chez nous, on les a directement placés dans des lieux plus importants, ce qui a été formidable pour eux. Évidemment, il y a eu de la frustration, mais tout cela nous donne encore plus hâte de fêter la réouverture.
Une fête de réouverture très attendue !
Tu peux nous en dire plus sur le projet de la discomobylette qu’on retrouvera lors de la fête de réouverture ?
Pendant toute la période de fermeture pour travaux, on a lancé dans le quartier une artiste qui circulait sur une discomobylette. Je vous laisse imaginer : à l’arrière, elle passait des vinyles, avec son casque boule à facettes, et elle se baladait en incarnant un personnage de voyageuse.
Elle distribuait des cartes postales à l’effigie du quartier, que nous avions créées spécialement. En fait, on avait lancé un appel à des photographes bénévoles, et ce sont leurs clichés qui ont servi à fabriquer ces cartes. Ensuite, l’artiste faisait remplir les cartes par les habitants rencontrés en se promenant dans les rues, les parcs, etc.
Ce projet aboutira à une exposition regroupant toutes ces cartes postales et leur diversité, qui sera présentée lors de la Fête de la réouverture. Pour l’occasion, la Gazinière Compagnie revient avec sa mobylette !
La fête de réouverture promet d’être un grand moment : qu’est-ce que vous avez voulu transmettre à travers cette journée ?
Oui, on l’attend depuis longtemps, cette réouverture ! L’idée, c’était vraiment de marquer symboliquement ce retour au bercail : le théâtre réouvre, grand ouvert, et tout le monde est le bienvenu. On voulait que les habitants sentent que c’est leur théâtre, le théâtre de leur quartier. C’est pour ça qu’on ouvre, par exemple, avec une exposition de cartes postales réalisées autour du quartier, qui habillent nos murs et rappellent : “vous êtes ici chez vous”. Le visuel que nous avons choisi pour la saison illustre bien cet esprit : une petite maison qui foisonne et s’ouvre dans toutes les directions.
Pour la fête de réouverture, on voulait un événement à l’image de notre projet : à la fois familial, festif, et représentatif de nos choix artistiques et de nos esthétiques. Concrètement, il fallait cocher toutes les cases : parler aux familles, aux enfants, mais aussi à un public adulte plus festif.
L’idée, c’était donc une grande fête “tout-en-un”, à la fois dedans et dehors. Si le soleil est au rendez-vous, on bloque la rue Massenet pour la transformer en rue festive, avec de grandes tablées, des bars extérieurs, des stands de partenaires du quartier, des jeux pour enfants, un atelier d’illustration avec Fanny Pinel — notre illustratrice de saison — et des espaces où l’on peut se poser en famille.
Côté spectacles, on retrouvera la fameuse discomobylette de la Gazinière Compagnie, qui déambulera dans le quartier et viendra entraîner les habitants vers la fête. Il y aura aussi une fanfare, deux numéros de cirque proposés par de jeunes compagnies repérées via un appel à projets, et l’inauguration officielle en présence du maire et des élus.
À l’intérieur du théâtre, nous avons prévu deux sessions de blind test orchestrées par Error404, une maîtresse de cérémonie fabuleuse, qui apportera beaucoup d’énergie et d’humour. Enfin, la journée se conclura par un spectacle intitulé Friterie mon amie, qui aborde le thème de l’hospitalité en temps de crise, sous une forme très généreuse, autour d’une friterie. Ce spectacle aura lieu dans le Jardin Lelong, à quelques pas d’ici.
Bref, c’est une grande fête de quartier, conviviale, ouverte, où on veut dire très simplement : on est là, on est de retour, et ce théâtre est pour vous.
Pour la fête de réouverture, on voulait un événement à l’image de notre projet : à la fois familial, festif, et représentatif de nos choix artistiques et de nos esthétiques.
Raphaëlle Wicquart, directrice du Théâtre Massenet
Une saison 2025-2026 dans le nouveau théâtre Massenet
Peux-tu nous donner un aperçu de la vision artistique de la saison 2025-2026 ?
C’est vraiment agréable de reconstruire une programmation dans nos murs. Retrouver nos marques, repenser nos usages, c’est un vrai plaisir. Les travaux changent beaucoup de choses dans ce que nous pouvons faire aujourd’hui.
Au départ, nous étions intégrés au centre social, qui est une structure recevant du public. Nos espaces d’accueil disparaissaient dès que nous n’étions pas en spectacle, pour laisser place aux activités du centre. C’était assez inconfortable, parfois frustrant. L’objectif des travaux était donc de séparer les deux équipements, pour que le théâtre dispose enfin de son propre hall. C’est un petit hall, mais chaleureux et accueillant, et c’est une vraie avancée pour nous et pour le quartier.
Les bureaux du théâtre ont également réintégré le bâtiment, alors que nous étions installés ailleurs pendant plusieurs années. Pour les artistes, pour nous au quotidien, et pour la sécurité, c’est un vrai confort. On a maintenant un hall qui nous appartient, et cela ouvre de nouvelles perspectives. Nous allons réfléchir à ce qu’il pourra accueillir, au-delà de la billetterie et des soirs de spectacles : des ateliers, des rencontres, des moments conviviaux… C’est aussi un moyen d’être plus visibles et identifiés dans le quartier.
D’autres aménagements ont été réalisés : un parvis commun avec le centre social, un nouvel accès PMR qui n’existait pas auparavant, des améliorations techniques dans la salle avec un nouveau gradin, de l’électricité remise à neuf et une mise aux normes plus globale. C’est un vrai pas en avant.
Pour cette saison, nous avons déjà prévu des expositions d’artistes locaux sur les murs du hall, tout au long de l’année. C’est un premier moyen de le faire vivre.
Quels spectacles avez-vous programmé pour illustrer tout ça ?
Du côté de la programmation, c’était enthousiasmant de repenser les projets avec ce “nouveau” théâtre. Nous démarrons avec la fête de réouverture, puis nous enchaînons avec le festival jeune public Pas Cap ?, qui s’étend sur toute la métropole. Nous en sommes à l’initiative, puisque nous animons un réseau de salles qui s’intéressent à l’émergence et à la création pour le jeune public. Chaque structure programme à sa façon, mais nous assurons la coordination, la cohérence des dates, des tarifs, et nous assumons tout le travail de communication.
Dans ce cadre, le Théâtre Massenet programme trois spectacles et un après-midi en famille. L’un de ces spectacles aura lieu à la salle des fêtes de Fives, car il nécessite un espace plus grand. Et l’après-midi en famille est une nouvelle expérience : il combinera un atelier d’arts plastiques et des visites du théâtre menées par des habitants du quartier, en duo parent-enfant. L’idée, c’est que des familles deviennent elles-mêmes les “guides en herbe” d’autres familles, après avoir été formées avec l’aide d’une association.
Enfin, dès décembre, nous retrouvons Théâtre Exchange, un rendez-vous professionnel important, qui fait partie de notre identité : un temps fort consacré aux artistes émergents et aux projets tremplins, mais qui reste aussi ouvert au public.
À partir de janvier, nous proposerons une programmation assez engagée. Elle s’ouvrira avec Antigone.s ou le droit de dire non, une réécriture très actuelle destinée aux adolescents (à partir de 9 ans), qui aborde des thématiques fortes comme la question noire et l’anticolonialisme.
Nous poursuivrons avec un drag show, dont ce sera la deuxième édition. L’an dernier, cela avait été un vrai succès, un moment festif et fort, que nous avons eu envie de renouveler. L’idée est de donner un cadre valorisant à ces performances, en sortant du format habituel des bars pour leur offrir un véritable écrin scénique.
Ensuite, nous accueillerons à nouveau un jeune public avec du cirque, grâce à Birdy Melody. Nous présenterons également Tristes en été, un projet autour des représentations normatives du corps féminin, en partenariat avec le Théâtre de la Verrière. Nos deux lieux se ressemblent beaucoup et il nous semblait important de mener ce travail en commun.
Nous aurons aussi le plaisir d’accueillir Latitudes Contemporaines pour une date de leur festival, ainsi que des impromptus et rendez-vous artistiques dans le quartier, sans oublier les expositions qui rythmeront la saison.
Toutes les disciplines sont représentées, sauf la danse dans la programmation (elle est présente uniquement en résidence). Mais on ne peut pas tout faire, et nous veillons à garder un bel équilibre.