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Valerie June à la Péniche

Lorsque Valerie June arrive sur la scène de La Pénichecomble depuis longtemps, on admet un moment de stupéfaction absolue. Elle accoste sur une scène préalablement parfumée (une première ?) et éteint immédiatement toutes les discussions par sa présence et sa beauté. Extrêmement charmante, vêtue d’une robe splendide rehaussée d’un collier scintillant, chaussée d’improbables boots émeraude dont dépassent élégamment d’étranges chaussettes impeccablement appariées. Bagues de la même couleur à chaque index, fard à paupières assorti, une classe folle. Entourée de trois instruments seulement, une guitare, un banjo qu’elle appelle Mum et un ukulélé/banjo, le baby.

Acoustique, solo, folk, blues, voix. Rien d’autre. Surprenant et pas vraiment annoncé. Autant dire que l’exercice est très très périlleux, même si on oublie que la voix très particulière de Valerie provoque autant d’adhésion que de démission. Il faut du vocabulaire musical, un songwriting impeccable pour tenir la scène, d’autant que la musique du Tennessee et des Appalaches à laquelle on ne cesse de la relier n’est pas une culture parfaitement maîtrisée de ce côté ci du bastingage… C’est sans doute l’un des écueils majeurs de la prestation : il faudrait être littéralement baigné de cette culture là pour ne pas avoir l’impression, parfois dérangeante, de ne pas avoir totalement accès à ce que propose Valerie June.

La voix est absolument splendide, elle passe du chuintement au cri de rage sans le moindre écart de justesse, du feulement à la plus pure des mélodies sans la moindre difficulté, aussi atypique, dans un tout autre registre que Youn Sun Nah, entre Dolly Parton et Billie Holiday comme elle aime à se décrire elle-même. On est, au sens propre, hors du commun. De ces voix qui provoquent sans nul doute le frisson et la stupéfaction. On a le sentiment d’être directement en présence des grandes figures de la musique américaine des années 30, à peine enregistrées en direct sur d’introuvables acétates, dont les fantômes hantent les recoins du bateau, au temps des Drinkhouses du Sud et des Juke Joints. Mississipi John Hurt, Elizabeth Cotten, The Carter family sont les noms qu’elle cite volontiers. Intemporelle. Organic moonshine roots music.

Dans le registre instrumental, sans démériter, l’étendue du registre reste assez limité, difficile de s’en sortir seule. On se prend à songer un instant qu’un lieutenant ne serait pas inutile, un(e) instrumentiste complet qui pourrait enrichir l’ensemble, comme le travail incroyable que fait Gerry Leonard, par ailleurs guitariste de David Bowie, derrière Suzanne Vega sur scène. Il lance des boucles rythmiques, c’est un guitariste aussi fantastique que discret et il rehausse sans nul doute le talent de la new yorkaise. On ne peut s’empêcher de penser que la rondeur d’une basse ici, un zeste de cymbale là…une touche de piano, des arpèges de guitare feraient briller le tout d’un éclat céleste. Les mêmes réflexions que lors de l’écoute d’un album tout en fausse patte, Pushin against a stone, articulé autour d’un single au fond assez trompeur, le très arrangé You can’t be told : guitares, solo, trompettes, ce soir, on en est loin.

Le charme opère, l’assistance est des plus recueillie, on entend les talons claquer, la climatisation, le moindre choc tant l’écoute est empreinte de retenue. Valerie June sait gérer les moments de tension, qu’elle incarne physiquement en crispant des poings qui conjuguent force et fragilité dans des mouvements d’une grâce réelle. Un moment de lucidité nous oblige à songer aux mêmes chansons sans cette présence, sans ce charme, ce sourire, pour conclure que non, ce ne serait pas pareil. On ne peut guère reprocher à un artiste de jouer de son charisme, d’autant qu’il est naturel mais on n’écoute jamais que des disques… Lorsque le concert se clôt, on ne peut nier un soupçon de lassitude, l’heure écoulée malgré les anecdotes très drôles sur la météo qui n’a pas reçu le mémo pour que la température monte, la pluie, sa maman très rock’n’roll bardée de tatouages. Nul doute que Valerie June a fait le métier et sans doute dans d’autres conditions que cette jolie scène et ce public conquis d’avance, c’est une authentique artiste avec un propos. Elle quitte définitivement la scène en chantonnant, modestement, discrètement, comme si on allait la retrouver tranquillement au bar, le travail accompli avec classe, un peu triste. Workin’ Woman Blues.

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