"L'Inconnu du Lac": un thriller gay et lumineux - Actualité

Synopsis : L'été. Un lieu de drague pour hommes, caché au bord d'un lac. Franck tombe amoureux de Michel. Un homme beau, puissant et mortellement dangereux. Franck le sait, mais il veut vivre cette passion.

Cette semaine, le choix de Lille La Nuit.Com se porte sur le dernier fim d’Alain Guiraudie, le cinéaste de “Pas de Repos pour les Braves” et du “Roi de l’Évasion”.
Il revient aujourd’hui avec “L’Inconnu du Lac” qui navigue entre le film d’amour, le film érotique, la comédie (on rit souvent). Mais aussi le thriller et le film d’horreur.

Oui, c’est vrai, il y a des meurtres dans “L’Inconnu du Lac”. Il y a un tueur. Il y a une noyade. Il y a du sang. Il y a la mort. Nous n’en dirons pas plus.
Mais paradaxolament, cette histoire sombre se déroule sous un soleil de plomb et une belle lumière de crépuscule.

Dans ce lieu de drague, où la mort rôde, les hommes font l’amour avec capote ou pas. Evidemment la passion, le plaisir, l’amour s’acoquinent avec la mort. Et la question du sida est évoquée en filigrane.
Alain Guiraudie dit: “Je vois souvent que ça coule de source au cinéma, les mecs mettent un préservatif, comme s’il y avait un accord tacite qui régnait dans la société à ce sujet. J’avais moi aussi tendance à évacuer cette question alors que dans la réalité, elle se pose souvent. Il n’y a pas tant d’évidence. On trouve des hommes très hygiénistes, d’autres très laxistes. Le sida a beaucoup rapproché la mort de l’amour. Il a plané et plane encore sur nos rapports amoureux. Il les a même considérablement modifiés, même s’il ne représente plus le même danger qu’avant. Quelque chose (et pas rien) s’est perdu dans la façon de faire l’amour, dans l’idée de s’abandonner totalement à l’autre. Franck se situe dans cette tradition « romantique », il va jusqu’au bout de l’expérience. Il vit son envie sur le moment, sans penser à rien d’autre qu’à prendre son pied avec l’autre. Peu importe où ça le mène. S’il prend le temps d’y réfléchir, ce n’est certainement pas dans les moments forts de sexe. Dans ce projet, ça s’imposait, c’est tellement « l’amour à mort ».” *

Guiraudie fait le choix de filmer le sexe frontalement (le film est interdit aux moins de 16 ans). Et notamment une scène de fellation. Une telle scène fait scandale lors du Festival de Cannes en 1986 lors de la présentation du film de Marco Bellochio “Le Diable au Corps”, avec la belle Maruschka Detmers.
Il n’y a pas de scandale lors de la projection à Cannes de “L’Inconnu du Lac”. Il est vrai que le film n’est pas présenté en compétition officielle mais dans la sélection “Un Certain Regard” (où Guiraudie reçoit le prix de la mise en scène). Peut-être que “L’Inconnu du Lac” est-il ainsi moins dangereusement exposé…

Cette représentation du sexe est évidemment le premier sujet abordé par les médias (même si on loue très vite les grandes qualités artistiques du film). D’autant plus que Guiraudie filme le sexe entre hommes. - Il est d’ailleurs intéressant de noter la forte présence cette année de l’homoxexualité à Cannes. On la retrouve notamment dans le film d’Abdellatif Kechiche, “La Vie d’Adèle” (Palme d’Or), où on montre aussi le sexe sans filtre. Au moment des débats autour du “mariage pour tous”, le cinéma confirme une nouvelle fois qu’il est bien connecté au monde, à notre société, à son évolution. -

Guiraudie dit ceci: « En terme de sexualité, j’ai toujours tourné autour du pot. Je ne me suis jamais vraiment confronté à la représentation de ma propre sexualité. Les premières scènes de sexe, de corps à corps, d’étreintes amoureuses et de baisers que j’ai filmées, dans Le roi de l’évasion, ont lieu entre un homme et une adolescente. Il était peut-être temps pour moi d’en venir aux choses sérieuses. De représenter les choses de l’amour... Pas l’amour pour rigoler, l’amour-amitié comme je l’ai souvent fait... Mais l’amour- passion. Dans L’Inconnu du Lac, je voulais me coltiner vraiment à ce que c’est que d’avoir quelqu’un dans la peau : jusqu’où ça peut aller ?
Du coup, je suis parti d’un monde que je connais très bien, pour en tirer tous les fils qui m’intéressent : le soleil, l’eau, la forêt, des éléments érotiques forts et lyriques en quelque sorte. Et puis l’amour, la passion, c’est la grandeur des sentiments mais c’est surtout le sexe. Je voulais m’y confronter réellement, d’une manière différente, en faisant se côtoyer, au sein de mêmes séquences, à la fois l’émotion amoureuse et l’obscénité du sexe, sans opposer, comme on le fait souvent, la noblesse des sentiments d’un côté, et le fonctionnement trivial des organes de l’autre.
Ça demandait aussi une plus forte implication des comédiens et la question s’est vite posée de savoir jusqu’où ils iraient... Mais aussi jusqu’où je désirais vraiment les emmener. » *

Soyons clair: “L’inconnu du Lac” n’est pas un film pornographique.
Tout est justifié dans le film de Guiraudie. A aucun moment, on ne se sent agressé. Tout simplement parce que rien n’est vulgaire. D’ailleurs Guiraudie n’est pas un cinéaste trivial. Il évoque de grands maux de notre société comme la solitude (avec l’émouvant personnage d’Henri, merveilleusement campé par Patrick d’Assumçao).

Évidemment, on voit que Guiraudie a tourné dans une grande économie de moyens (le film se déroule dans trois ou quatre décors). Mais il tire profit de ce handicap comme certains petits maîtres de la série B américaine. Son regard sur le désir et l’amour atteint ici une portée universelle.

“L’Inconnu du Lac” est surtout un beau film d’un point de vue plastique. Superbe photographie de Claire Mathon, forte présence des sons ambiants (les oiseaux, les avions, le vent, …) qui se substituent à une bande originale de film plus classique. Saluons le beau travail de Philippe Grivel sur le son. Il faut saluer également le talent et l’engagement des deux acteurs principaux, Pierre Deladonchamps et Christophe Paou. Ils sont pour beaucoup dans la grande sensualité que dégage le film.

* Propos repris du dossier de presse.

“L’Inconnu du Lac” a également reçu la Queer Palme du Festival de Cannes.
Film interdit aux moins de 16 ans.

Versailles et Saint-Cloud : l’affiche du film retirée.

Les autres sorties de la semaine.