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Journal d’une Femme de Chambre : Après Les Adieux à la Reine, Léa Seydoux retrouve Benoît Jacquot

Synopsis : Début du XXème siècle, en province. Très courtisée pour sa beauté, Célestine est une jeune femme de chambre nouvellement arrivée de Paris au service de la famille Lanlaire. Repoussant les avances de Monsieur, Célestine doit également faire face à la très stricte Madame Lanlaire qui régit la maison d’une main de fer. Elle y fait la rencontre de Joseph, l’énigmatique jardinier de la propriété, pour lequel elle éprouve une véritable fascination.

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Après Paulette Goddard et Jeanne Moreau, c'est Léa Seydoux qui incarne Célestine au cinéma.

 

Critique : Lille La Nuit se penche cette semaine sur la dernière réalisation d’un réalisateur français prolifique, passionnant, admiré de beaucoup, moins aimé d’autres, mais qui ne laisse pas indifférent : Benoît Jacquot !

Nous avions quitté le cinéaste sur une déception : 3 Cœurs nous avait semblé largement en deçà de ce que Benoît Jacquot est capable de proposer en terme de cinéma. Si le film est loin d’être honteux, il n’est clairement pas du niveau d’un artiste qui, depuis une trentaine d’années, se trouve être l’un des plus doués pour filmer les actrices, les élans du cœur, l’amour et ses violences, la passion, la sensualité. Nous préférons nous souvenir de son avant-dernier film, Les Adieux à la Reine : une œuvre passionnante, riche, foisonnante, historique mais romanesque.

Jacquot s’attaque aujourd’hui à une nouvelle adaptation du roman d’Octave Mirbeau, Journal d’une Femme de Chambre et c’est assez gonflé. Il s’agit de la troisième adaptation cinématographique du Journal, après celle de Jean Renoir, interprétée en 1946 par la sublimissime Paulette Goddard et la transposition de Luis Buñuel, scénarisé par Jean-Claude Carrière, et incarnée par notre Jeanne Moreau nationale.

Pourquoi Benoit Jacquot s’est-il donc senti autorisé à signer une nouvelle adaptation de l’œuvre littéraire, après deux prestigieuses versions qui font aujourd’hui autorité ? C’est la question que nous avons posée au cinéaste lors de sa venue à Lille.

Benoît Jacquot : « Cette autorisation dont vous parlez, je me la suis donnée justement en me souvenant que le Buñuel et le Renoir, d’après le même livre, sont aussi différents qu’il est possible. Donc, je me suis dit, après avoir eue cette envie de faire moi-même ce film, qu’un troisième serait éventuellement aussi différent des deux autres, que les deux autres l’étaient entre eux. »

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Benoît Jacquot à Lille, le 11 mars 2015. Photo © Alexandre Marouzé/AMview

 

Ce qui m’a immédiatement marqué c’est à quel point l’écho avec ces temps-ci est frappant ! Je dirai que c’est même plus précis que ça. Ça donne le sentiment que ce qui s’est passé tout du long du XXème siècle et jusqu’à maintenant, commence là ! Sur ce mode-là.

Benoît Jacquot, Journal d’une Femme de Chambre

Mais ce qui nous a questionné dès le départ, c’est de savoir pourquoi, intimement, Jacquot a-t-il voulu en signer cette nouvelle version ? Quel sens a pour lui, en 2015, de filmer l’histoire d’une servante à l’orée du XXème siècle ? Y-a-t-il des thèmes communs, des résonnances entre ce texte un peu lointain et notre monde, notre époque ?

B.J. : « C’est ce qui m’a frappé tout de suite, en dehors du fait qu’il s’agit d’un livre qui s’occupe d’un personnage féminin d’un point à un autre, décisif de son existence et constamment. Ce qui est quand même quelque chose que j’ai (je dis ça modestement) reconduit assez souvent d’un film à l’autre. Ce qui m’a immédiatement marqué c’est à quel point l’écho avec ces temps-ci est frappant ! Je dirai que c’est même plus précis que ça. Ça donne le sentiment que ce qui s’est passé tout du long du XXème siècle et jusqu’à maintenant, commence là ! Sur ce mode-là. Ce type d’ostracisme, de ségrégation tous azimuts avec un discours radical qui se constitue autour de ça et des pratiques sociales radicales de maître à esclave ont commencé à se constituer en France, et dans les alentours à cette époque-là. Plus précisément au début de l’affaire Dreyfus, au début du XXème siècle. Et tout ce qui s’est passé ces deux dernières années n’a fait que me conforter dans cette sensation. »

On est frappé de voir à quel point des thèmes de notre actualité se trouvent dans Journal d’une Femme de Chambre : les inégalités sociales, entre hommes et femmes, le racisme, l’antisémitisme… Autant de sujets qui, s’ils étaient déjà présents dans l’œuvre de Buñuel, prennent une dimension un peu plus forte, si on ose dire, quand on met l’adaptation de Jacquot en parallèle avec les derniers événement sociaux, politiques qui ont frappé la France et l’Europe ces derniers mois.

D’un point de vue de la mise en scène, Jacquot suit son héroïne, Célestine, comme il le faisait avec de précédents personnages comme Valérie (Virginie Ledoyen) dans La Fille Seule. Il ne la lâche pas ! Quasi constamment caméra-épaule Jacquot en fait un personnage d’action, en rupture avec le monde figé et conservateur qui l’entoure. Une notion intéressante de suspense imprime le film, renforcée par thème musical de Bruno Coulais - très influencé par Bernard Herrmann, le compositeur attitré de Alfred Hitchcock -.  En voyant Célestine, son urgence, sa révolte, on pense à la Rosetta du film de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Mais il est vrai que les cinéastes belges s’étaient grandement inspirés des réalisations de Jacquot pour leur long-métrage. Ils produisent d’ailleurs Journal d’une Femme de Chambre. Juste retour d’ascenseur.

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Fascination, passion, répulsion : Journal d'une Femme de Chambre c'est du pur Benoît Jacquot.

 

La force du cinéma de Benoît Jacquot, c’est surtout le choix des acteurs et sa précision dans leur direction. Si on excepte une erreur de casting monumentale (fait assez rare pour être signalé) avec la présence d’un Vincent Lacoste totalement à côté de la plaque - qu’on a l’impression de voir débarquer du plateau des Beaux Gosses de Riad Sattouf -  le reste de la distribution est un sans faute. Pourtant Jacquot associe de façon assez téméraire des tempéraments et types de jeux contradictoires - Rosette : habituée du cinéma de Rohmer, Léa Seydoux, Vincent Lindon, Patrick d'Assumçao, Clotilde Mollet, Mélodie Valemberg, … - dont on pourrait croire, ce qui n’est jamais le cas, qu’ils pourraient faire perdre de sa cohérence au film :

B.J. : « Ben si j’avais peur de ça, je vais vous dire mon cher ami, je ne ferai pas de films. Parce que la mise en scène, c’est ça ! Pour moi. C’est s’approcher le plus possible d’un maximum de reliefs pour en faire un paysage, une cohérence. Voilà ! Ça m’intéresse que tout soit contradictoire, opposé, hétérogène. Par exemple, un film où tout le monde joue pareil, parle pareil, il n’y a rien qui me barbe le plus.  C’est marrant même des films que j’admire beaucoup, de cinéastes que j’admire beaucoup, me paraissent absolument rébarbatifs si je pense à moi-même qui fait des films. Quand je faisais mes premiers films, on me parlait beaucoup de Robert Bresson. Ben moi, c’est même pas la peine d’y penser. Et je continue à admirer beaucoup Robert Bresson. Mais ce sentiment qu’il n’y a qu’une seule voix qui est jouée par hommes, femmes indifféremment (ce qu’il appelait ses modèles) ça va pour lui mais ça ne m’intéresse pas. »

Quand j’ai tourné avec Léa, comme ça s’est passé avec quelques autres, je passais mon temps à être surpris par ses gestes, ses regards, une qualité, un mouvement d’expression, par une façon de bouger, d’être là.

Benoît Jacquot, Journal d’une Femme de Chambre

Et puis, il y a la présence de Léa Seydoux. Nouvelle star du cinéma français et international, prochaine James Bond Girl dans Spectre ; actrice qui navigue entre le cinéma d’auteur de Kechiche et celui plus mainstream de Christophe Gans, elle est de quasi tous les plans du film de Jacquot. Qu’a saisi Benoît Jacquot de la mystérieuse Léa Seydoux - qu’il avait déjà dirigée dans Les Adieux à la Reine - ?

B.J. : "Pour moi, c’est très important quand je tourne une première fois avec une actrice avec qui j’ai trouvé un terrain d’entente, de le faire au moins une deuxième fois. Pour vérifier, parce que c’est tellement miraculeux. C’est pour ça que ça reste mystérieux. Parce qu’une actrice n’excelle pas selon qu’on lui dit : tu feras ci, tu feras ça. Au contraire ! Une actrice est bonne ou excellente ou merveilleuse à la mesure de ce qu’elle apporte de surprenant à celui qui lui a demandé de faire ceci ou cela. Quand j’ai tourné avec Léa, comme ça s’est passé avec quelques autres, je passais mon temps à être surpris par ses gestes, ses regards, une qualité, un mouvement d’expression, par une façon de bouger, d’être là. Ça me paraissait à la fois très singulier et très efficace. On m’a attribué beaucoup cette qualité dans Les Adieux à la Reine, comme si ce n’était pas elle. C’était elle, évidemment. Donc, d’une certaine façon, je voulais montrer que ça pouvait recommencer. »

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"Je passais mon temps à être surpris par ses gestes, ses regards" - Benoît Jacquot au sujet de Léa Seydoux.

 

Journal d’une Femme de Chambre, s’il n’est pas le film le plus abouti de Jacquot, n’en demeure pas moins passionnant car il fait la synthèse de tout son cinéma. On y retrouve sa passion des acteurs, ses thèmes de prédilection, l’élégance de sa mise en scène, ses qualités de scénariste et d’adaptateur (en collaboration, ici, avec Hélène Zimmer, réalisatrice il y a peu d’un film intéressant sur la jeunesse : A 14 Ans).

Si vous ne connaissez pas le travail de ce cinéaste, on ne saurait que trop vous conseiller de voir Journal d’une Femme de Chambre. Il s’agit d’une bonne porte d’entrée pour découvrir une œuvre passionnante, singulière, parfois exigeante, mais néanmoins tout à fait abordable.

Journal d'une Femme de Chambre Réalisation : Benoît Jacquot Scénario : Benoît Jacquot et Hélène Zimmer, d'après le roman de Octave Mirbeau.
Photographie : Romain Winding Musique originale : Bruno Coulais
95 mns. Sortie le : 1er avril 2015

Affiche, photos du film et bande-annonce © Mars Distribution

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